Fyctia
La descente aux enfers 5
– Elle était convaincue que tout ce qui lui arrivait était les conséquences du drame qu’elle avait vécu étant jeune. S’il ne s’était rien passé dix-sept ans plus tôt, sa vie aurait pris une autre orientation et aujourd’hui elle serait encore en vie.
– Il a parfaitement raison, ajoute la tante Jeanne. Moi qui l’ai connu avant, je peux vous certifier qu’elle était différente. C’était une fille pleine d’entrain et qui mordait la vie à pleines dents. Elle était très studieuse et promettait beaucoup. Mon Dieu quel malheur !
– Que s’est-il passé alors par la suite ?
– J’ai essayé de la raisonner et de minimiser la situation, mais rien n’y a fait. Elle était convaincue qu’elle était maudite, que son enfant allait mourir et que sa vie était foutue. Elle est retombée dans son addiction aux médicaments et la suite, vous la connaissez.
– Non, pas trop, pouvez-vous m’en dire plus ?
– Avant-hier soir en rentrant, je l’ai trouvée allongée et inanimée sur le lit. À côté d’elle, sur le chevet, il y avait un verre de Whisky vide et deux tubes de comprimés ouverts, dont l’un contenait du Lexomil et l’autre du Prozac. J’ai immédiatement appelé les secours qui l’ont emmenée à l’hôpital, mais c’était trop tard, elle est morte pendant son transport.
Gaby replonge dans un sanglot saccadé. Edgar qui a suivi attentivement l’interrogatoire en profite pour demander à la tante :
– Et son frère, Stéphane, où est-il madame ?
– Je pense qu’il est chez lui en ce moment, je l’ai quitté ce matin vers neuf heures. Il n’habite pas très loin d’ici, ce qui me permet de faire la navette entre les deux, pour les consoler et les aider à faire face à leurs démarches et obligations.
– Il doit être effondré lui aussi ?
– Ne m’en parlez pas ! Dorénavant, il n’a plus de famille à part nous. Marion était sa petite sœur, mais elle a longtemps remplacé sa mère quand il était tout jeune. C’était aussi sa complice.
Maloire, qui a vu que Gaby reprenait ses esprits, lui demande sur un ton presque amical :
– Excusez-moi si je vous pose cette question, mais j’y suis obligé par simple routine et pour le dé-roulement de mon enquête en cours. Où étiez-vous, et que faisiez-vous, Marion et vous la semaine dernière ?
– En ce qui me concerne, j’étais toute la semaine à mon poste de vendeur au magasin de sport qui m’emploie, vous pourrez vérifier auprès du gérant.
– Et Marion ?
– Elle s’est partagée entre ses diverses occupations de toilettage, de cours d’arts graphiques et de présence dans sa galerie d’exposition. Vous trouverez tous les détails sur son carnet de rendez-vous, qu’elle tenait à jour.
– Merci, nous le consulterons avant de partir. J’ai une dernière question avant de prendre congé de vous. Quand et où auront lieu ses obsèques ?
– Lundi à onze heures, au cimetière de Beaulieu. Vous avez l’intention d’y assister ?
– Je ne sais pas encore, nous verrons plus tard.
Maloire ne sait vraiment pas pourquoi il a posé cette question qui lui est venue tout naturellement à l’esprit, sans qu’il n’ait aucune intention particulière. Certainement un réflexe de son subconscient qui lui a dit qu’il serait intéressant d’y assister. Après tout, pourquoi pas. Si ça ne rapporte rien, ça ne coûtera pas grand-chose, si ce n’est un peu de temps. Et du temps, il sait qu’il faut en prendre pour mener convenablement une enquête.
Edgar vérifie l’emploi du temps de Marion sur le carnet que lui a apporté Gaby. Une multitude de noms y sont alignés, suivis de termes professionnels relatifs au toilettage, ainsi que des rendez-vous divers. Il jette un regard à Maloire en secouant la tête dans un signe de négation, signifiant qu’il n’y voit pas de trou ou d’anomalie particulière. Marion a bien passé la semaine dernière à Beaulieu.
Tous deux prennent congé de Gaby et de la tante Jeanne en les remerciant et en réitérant leurs sincères condoléances.
Une heure plus tard, après avoir pris le temps d’avaler une petite collation au troquet du coin, ils se présentent devant le domicile de Stéphane, le frère de Marion. Ce dernier habite un logement situé au troisième étage d’un immeuble assez récent et très bien entretenu. Maloire enfonce le bouton de sonnette en vis-à-vis du nom de Stéphane Valmer. Une voix se fait entendre à laquelle ils se pré-sentent comme étant de la police. La porte se libère, Maloire et son adjoint entrent et montent à l’étage par l’ascenseur. Stéphane les attend sur le palier et les invite à entrer dans son appartement. Il n’est, physiquement, pas en meilleur état que son copain Gaby. Ses traits sont tirés, ses yeux cernés, sa mine défaite et pas rasée, ses cheveux décoiffés et sa tenue débraillée. Bref, l’apparence de quelqu’un qui n’a pas beaucoup dormi ces derniers temps.
– Bonjour, monsieur Valmer, je suis l’inspecteur Maloire, et voici mon adjoint l’inspecteur Caublet, nous avons quelques questions à vous poser.
– À quel sujet ? répond Stéphane avec un air apeuré.
– Ne vous inquiétez pas, rien de grave et rien qui vous concerne directement, réponds Maloire pour détendre l’atmosphère.
– J’étais en train de faire du café, voulez-vous en prendre avec moi ?
– Pourquoi pas, répond Maloire, nous venons juste de terminer notre déjeuner.
– Ça ne vous dérange pas si on le prend dans la cuisine ?
– Pas du tout, répond-il en le suivant.
– De quoi s’agit-il ? demande Stéphane, accompagné par le ronronnement du percolateur.
Maloire ne sait pas trop comment démarrer sa conversation. Doit-il commencer par la mort de Marion ou par ce qui l’emmène réellement, le double assassinat des Savin ? Dans les deux cas, l’approche est très délicate, mais après un court instant d’hésitation, il se lance.
– Eh bien, voilà, nous sommes passés en fin de matinée chez votre sœur où nous avons appris la triste nouvelle de sa récente disparition.
– Que lui vouliez-vous à Marion ? répond Stéphane, l’air surpris et interrogateur.
– C’est difficile à aborder dans les circonstances actuelles, mais il nous faut aller jusqu’au bout. Nous n’étions pas au courant de son décès et pensions l’interroger sur son emploi du temps de la semaine dernière.
– Et pour quelle raison ? demande Stéphane en arrêtant le percolateur qui venait de siffler.
– Parce que nous enquêtons sur un double assassinat qui s’est produit la semaine dernière, celui des époux Savin, vous les connaissez ?
– Bien sûr, que je les connais, ce nom hante ma mémoire depuis tout gamin. Je ne savais pas qu’ils avaient été assassinés, vous me l’apprenez et ça ne me fait aucune peine, croyez-moi, bien au con-traire, j’en éprouve une certaine joie, mais un peu tardive, et c’est bien dommage. Avec ou sans sucre, ajoute-t-il en déposant deux tasses supplémentaires sur la table, qu’il remplit aussitôt de café.
– Sans sucre, répond Maloire assis en face de lui et séparé de son interlocuteur par une table non débarrassée des couverts et restes d’un repas récent.
0 commentaire