Robcar Funeste engrenage Le foyer et le pique-nique

Le foyer et le pique-nique

Dans un foyer pour l’enfance, dix ans plus tôt.


Sur la place de la Résistance, il n’y a pas grand monde. Les bancs de bois sont presque tous vides. Seule une dame âgée est assise à côté d’un sac en papier contenant des restes de pain, qu’elle jette aux pigeons qui trottinent sur le sol en picorant les miettes. C’est une toute petite place rectangulaire, plantée en son centre d’une statue, perchée sur un piédestal, représentant un Poilu armé, en mémoire aux combattants disparus pendant la Première Guerre mondiale. Elle est encadrée par une rue à faible circulation qui lui fait face et, sur le côté opposé, par une grille en fer forgé délimitant un petit parc public. Sur ses deux autres côtés se dressent des bâtiments anciens et austères, aux fenêtres hautes et étroites. C’est dans l’un d’eux que se trouve le foyer pour l’enfance, « Saint Antoine de Padoue ».


Après le drame qui a coûté la vie à leur père et précipité la fin de celle de leur mère, Stéphane et Marion Valmer se sont retrouvés dans ce foyer, situé dans une ville voisine, non loin de Saint Victor. Une bonne partie de leur enfance s’est déroulée dans ce lieu, partagée entre l’austérité du bâtiment et la beauté du petit parc, rapidement devenu leur aire de jeux favorite. Ils y vivent depuis sept ans maintenant, Marion a seize ans et demi, et son frère, Stéphane, bientôt dix-huit. C’est sa dernière année, puisqu’il va bientôt être majeur.


L’adaptation à ce nouvel environnement a été très difficile, et ajoutée au traumatisme subi, les conséquences sur les enfants ont été dévastatrices. Marion a littéralement décroché dans ses études, et après avoir redoublé la sixième, puis s’être accrochée dans les suivantes, elle s’est, à contrecœur, résolue à abandonner l’objectif d’entrer au lycée après le collège. Elle a péniblement clôturé ses études par un BEPC et s’est orientée vers un centre de formation animalier. La décision était sage puisqu’elle y a trouvé une ambiance moins stressante et une motivation qui lui faisait défaut. Mais son avenir est bouleversé, il a bifurqué et prit une orientation différente de celle espérée. Oublié le rêve de devenir vétérinaire, elle devra désormais viser bien plus bas, ce qui ne l’empêchera pas de s’occuper des animaux qu’elle aime, mais dans un autre contexte.

Si le foyer est devenu pour elle et son frère un second domicile, où l’on subvient à tous leurs be-soins, ils y sont logés, nourris, habillés, scolarisés et suivis périodiquement par un médecin, il n’a jamais pu remplacer la chaleur du milieu familial. Marion, qui est une fille très sensible, a beaucoup souffert de ce manque d’affection, même si leur oncle et tante Jeanne sont souvent venus leur rendre visite avec ses cousins. Pour elle, la perte de ses parents, a aussi été la perte de ses repères affectifs et sociaux. Bien sûr, elle s’est fait de nouvelles et bonnes amies, car dans les galères, les sentiments sont plus vrais et plus forts, mais elle s’est aussi renfermée sur elle-même, et devenue quelque peu sauvage. Elle a perdu cette spontanéité et cet avenant qui la caractérisait. Son regard a perdu cette petite flamme qui scintillait et lui donnait l’envie et la force d’avancer.


Aujourd’hui, elle est comme écrasée par une chape invisible qui l’empêche de s’épanouir. Au foyer, elle a participé à de multiples distractions, et celle qui a retenu toute son attention, c’est la peinture qu’elle pratique dès qu’elle a un peu de temps libre. C’est une discipline qui lui permet de s’isoler et d’exprimer ses sentiments et ressentis au travers de ses œuvres. Une sorte d’exutoire. Elle a, en fait, pas mal de talent et compte s’inscrire à l’École des Beaux-Arts, une fois sortie du foyer. Puis, plus tard, si cela est possible, elle essaiera d’exploiter son don artistique afin d’améliorer ses revenus. En attendant, elle suit assidûment ses cours de formation professionnelle de toilettage pour chiens, ce qui, pour l’instant, comble une partie de sa passion.


Stéphane, lui, a mieux encaissé le choc, même s’il en a beaucoup souffert aussi. Il s’est rapide-ment repris en se concentrant sérieusement sur ses études pour décharger son esprit des mauvaises pensées qui l’envahissaient. Ses résultats scolaires se sont améliorés et ont vite atteint le bon niveau qu’ils avaient auparavant. Aujourd’hui, il est en classe terminale au lycée et doit passer le BAC à la fin de ce mois de juin. Les garçons sont, dans l’ensemble, plus durs et moins sensibles que les filles. C’est la raison pour laquelle Stéphane s’est vite adapté à son nouvel environnement. D’autant qu’il s’y est fait de nouveaux camarades qui, eux, ne le charrient pas comme auparavant. Plus personne ne l’insulte ou ne le surnomme Banane. Finis aussi les bousculades ou chahuts violents, à présent, il est respecté et apprécié à défaut d’être aimé de tous. Il s’y est d’ailleurs fait deux très bons copains, Vincent Fleury et son cousin Gabriel Picard, dit Gaby. Un duo inséparable, que tous appelaient « Fleury et Gaby », mais aujourd’hui séparé, car Gaby, âgé de dix-neuf ans, a dû quitter le foyer, abandonnant avec un regret certain son cousin et son ami Stéphane. Ensemble, ils ont fait les quatre cents coups pendant toutes ces années d’internat, mais rien de bien méchant, juste de simples farces d’adolescent.


Vincent en était souvent l’instigateur, car il avait une imagination débordante. Cet adolescent au visage fin, blond aux yeux clairs, avait pour amusement favori le déguisement. Un rien l’habillait, un simple drap de lit sur les épaules et une serviette sur la tête, et le voilà en djellaba et keffieh, comme un véritable émir arabe. Il n’arrêtait pas d’amuser la galerie avec ses prestations et ses imitations. Chaque fin d’année, il organisait un petit spectacle où tous les pensionnaires participaient pour leur plus grand bonheur. Aujourd’hui, quand il n’est pas au lycée, il suit des cours de théâtre afin d’envisager plus tard une éventuelle carrière sur les planches. Sensiblement du même âge, il est dans la classe de Stéphane et doit aussi passer son BAC fin juin. Tous deux se motivent et s’entendent comme les doigts d’une main. Pareil pour son cousin Gaby, un grand garçon, brun au regard ténébreux et à la silhouette robuste qui inspire la méfiance. C’était un peu, et c’est toujours, leur garde du corps. Mais sous son apparence impressionnante, se cache en réalité un grand cœur. C’est avant tout un garçon chaleureux et prêt à rendre service à tout moment. Il a quitté le foyer à sa majorité, mais les retrouve souvent le week-end. De plus, il fricote un peu avec Marion, rien de bien sérieux pour l’instant, juste un simple flirt.

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