Fyctia
La conséquence induite 5
– Nos investigations sur place nous ont amenés à questionner le voisinage environnant et les commerçants de proximité où la victime avait l’habitude de s’approvisionner. Le résultat est peu encourageant, mais demande à être approfondi. Dans l’ensemble, les voisins mitoyens n’ont rien vu, ni rien entendu, sauf une certaine Berthe Bastille, une vieille dame d’environ quatre-vingt-dix ans, à moitié impotente, qui demeure sur le trottoir d’en face, à environ une vingtaine de mètres. Elle ne sort jamais de chez elle, c’est sa fille qui lui fait les courses, et quand elle ne regarde pas ses feuille-tons à la TV, elle passe son temps le nez collé aux carreaux de sa fenêtre pour voir ce qui se passe dehors. Elle aurait vu un jeune homme entrer chez la victime le jour du drame. Témoignage à prendre avec beaucoup de prudence, car d’après ses voisins directs, elle radoterait un peu.
– Oui, bien sûr, mais comme vous le dites, à approfondir tout de même.
– Et les commerçants, que vous ont-ils apporté ?
– Rien de concret, si ce n’est que Madeleine Savin avait récemment déposé chez certains d’entre eux, une petite annonce pour trouver une aide à domicile.
– OK, c’est peu, mais c’est mieux que rien. Merci de nous faire parvenir vos rapports, afin que nous puissions les étudier et les joindre à notre dossier qui pour l’instant n’est pas très épais.
– C’est entendu, monsieur l’Inspecteur, dès qu’ils seront terminés, je vous les envoie.
Maloire remercie le Brigadier-chef pour son efficace collaboration, prend congé de lui et, avec son adjoint, regagne sa voiture. Maintenant qu’il connaît le chemin, il ne consulte plus son GPS et sans hésitation retrouve la ruelle où habitaient les Savin.
Il se gare, sort de sa voiture, s’adonne à son rituel maniacovestimentaire et cherche le numéro dix-sept, adresse que lui a indiquée le Brigadier-chef. Voilà, c’est ici ! Une plaque bleue en tôle émaillée est frappée du bon numéro. Il vérifie le nom gravé sur la minuscule plaque fixée au-dessus du bouton de la sonnette, Berthe Bastille et l’actionne.
Une voix nasillarde sortant d’un petit haut-parleur demande :
– Qui est-ce ?
– Bonjour, madame Bastille, c’est la Police, mais ne vous inquiétez pas, ce n’est pas pour vous, nous voulons juste vous poser quelques questions.
– C’est au sujet de la mort de la voisine ?
– Oui, c’est ça, madame, on n’en a pas pour longtemps.
– Je vous ouvre immédiatement.
Un grésillement retentit, libérant le pêne de la serrure et la porte s’ouvre. Maloire et son adjoint montent au premier étage par un escalier vieillot, dont la rampe en fer forgé est partiellement rouillée, et la main courante en bois couverte d’une couche de crasse séculaire. Il évite d’y poser sa main et se méfie de ce qui peut suivre. La dame les attend sur le palier. Maloire fait rapidement les présentations et sur l’invitation de cette dernière, ils se dirigent vers une pièce sombre tapissée de papier défraîchi et à la frise qui se décolle par endroits. Le mobilier, qui date du siècle dernier, est couvert de napperons jaunâtres encombrés d’innombrables bibelots poussiéreux. Un canapé peu accueillant aux coussins râpés trône au beau milieu de la pièce, réduisant son espace vital à un simple couloir de passage. Sur le mur d’en face, située entre deux appliques bancales, une porte-fenêtre, aux rideaux de dentelles d’une couleur indéfinissable, donne sur un balcon qui surplombe la rue. Postée à proximité, la vieille dame, voûtée par le poids des années, trépigne d’impatience. Cette visite de la police la réjouit au plus haut point, elle qui ne reçoit personne, hormis sa seule fille. Quelle occasion inespérée, et en plus, il s’agit d’un meurtre, comme dans ses feuilletons télévisés favoris, de quoi alimenter les conversations pendant longtemps.
Maloire s’approche et d’un mouvement de tête en direction de l’extérieur demande :
– C’est d’ici que vous avez aperçu un individu entrer chez madame Savin le jour du drame ?
– Oui, comme je l’ai dit aux Gendarmes, j’étais sortie pour arroser mes géraniums et j’ai vu deux hommes sortir de chez madame Savin, entrer dans une voiture marron et partir sur la droite en direction du centre.
– Oui, c’était nous qui venions de l’interroger.
– Je m’en doutais, car si je suis très âgée, j’ai encore une bonne vue, et il m’a semblé reconnaître votre allure, quand je vous ai vu arriver sur le palier.
– Bon, d’accord, mais ensuite ?
– Un jeune homme est sorti de chez le dentiste, je crois, il a traversé la rue et est entré chez madame Savin.
– Un jeune homme ? Comment en êtes-vous sûre ? Pourquoi pas une jeune femme ?
– Parce que je sais faire la différence entre l’allure d’un homme et celle d’une femme.
– D’aussi loin ? Vous êtes à une trentaine de mètres ici ?
– Oui, mais je suis sûre de ce que j’avance, je suis un peu dure d’oreille, mais j’ai de bons yeux.
– Pouvez-vous m’en faire une description ?
– Je l’ai déjà faite auprès des gendarmes.
– Je sais, madame, mais j’ai besoin de l’entendre à nouveau de votre propre voix.
– Il était de taille moyenne, assez mince, les cheveux courts châtain clair, il portait un bloujine et un blouson marron, mais il n’avait pas du tout l’allure d’un voyou. Sa démarche était très légère, presque féminine. Il devait avoir entre vingt-cinq et trente ans.
– S’il était en pantalon, à cette distance, la confusion est possible. Ça aurait bien pu être une femme aussi, car de nos jours, beaucoup d’entre elles portent un blue-jeans ?
– N’insistez pas Inspecteur, même en pantalon, les formes d’un homme et d’une femme sont différentes. Et je peux certifier que la personne que j’ai vue était bien un homme.
– D’accord. Vous dites que l’individu sortait de chez le dentiste, comment le savez-vous ?
– Je n’en suis pas sûre, il est sorti de la vieille maison en face, celle où se trouvent le dentiste et l’otorinorologique, je ne sais pas exactement comme on dit.
– Avez-vous vu son visage ?
– De profil au départ et puis je l’ai vu de dos.
– Réfléchissez bien, vous n’avez rien d’autre qui pourrait personnaliser son signalement ?
– Non, il portait un petit sac à la main, comme beaucoup d’hommes aujourd’hui, c’est tout.
– Ensuite, qu’avez-vous vu ?
– Rien de plus ! Il a traversé calmement la rue, est entré chez madame Savin et a disparu de mon champ de vision.
– Vous l’avez vu ressortir ?
– Non, je suis rentré, j’ai fermé ma fenêtre, j’ai regardé quelques minutes à travers les carreaux et je suis allé allumer ma télévision. Je suis revenue un peu plus tard, mais je n’ai rien vu.
– Vous sauriez le reconnaître si vous le voyiez à nouveau ?
– Pas son visage, mais son allure oui ! Comme j’ai reconnu la vôtre.
– Merci, madame, votre témoignage nous est très utile, nous allons vous laisser maintenant.
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