Robcar Funeste engrenage La conséquence induite

La conséquence induite

Retour dix-sept ans plus tôt, à Saint Victor.


Depuis l’accident qui a coûté la mort à Paul Valmer, il y a six mois, rien ne va plus dans le quartier. Marcel Savin a été reconnu coupable pour homicide involontaire et n’a donc pas été poursuivi par la justice. Il est libre de tout mouvement, mais prisonnier de son esprit, il ne bouge plus beau-coup. Sa vie a profondément changé, il ne sort presque plus dans son jardin pour y choyer ses fleurs, de peur de tomber sous le regard des Valmer qui, de leur balcon en face, ont une vue plongeante sur sa maison. Il a quelque peu magouillé avec son assurance multirisque habitation, pour pouvoir payer les réparations de sa Triumph qui, aujourd’hui, est entièrement remise en état. Mais la foi n’y est plus, la vue de cette voiture lui fait remonter de mauvais souvenirs à la surface. C’est donc à contre-cœur qu’il a passé une annonce pour s’en séparer. Mais il n’a pas le choix, il ne s’imagine plus à son volant, partir en balade, chevelure au vent avec sa femme. Le rêve est terminé, c’est fini ! Il faut passer à autre chose, et sa femme est du même avis que lui.


De son côté, Mado est logée à la même enseigne, elle n’ose plus sortir faire ses courses chez les commerçants du quartier, de peur d’y rencontrer Mireille Valmer. Alors, elle s’est résolue à prendre sa petite voiture pour aller les faire dans la ville voisine. Ça lui permet aussi d’éviter les regards et les questions indiscrètes de ses voisins qui, eux aussi, ont été choqués par le douloureux événement. Rien ne va plus comme avant, la vie pour eux est devenue insupportable au quotidien.

Aujourd’hui, c’est un jour important pour les Savin. En effet, une personne, qui a répondu favorablement à l’annonce de Marcel, a pris rendez-vous avec lui pour essayer la Triumph et, vraisemblablement, repartir avec elle. Il faut savoir que ce type de véhicule est rare et très prisé, beaucoup de contacts se sont manifestés, preuve que la vente se fera rapidement. Ce sera un moment difficile à vivre pour Marcel, et cela l’angoisse déjà un peu. C’est avec la gorge serrée qu’il a rangé dans le coffre de la Triumph toutes les revues et les manuels d’entretien ou de montage qu’il avait accumulés au fil du temps. C’est certain, quand elle partira, la rupture sera douloureuse.

Quant à Mado, elle range consciencieusement toutes leurs affaires dans des cartons, car leur mai-son a récemment été vendue à un jeune couple, et les déménageurs doivent intervenir demain matin. La transaction s’est faite assez facilement, car le prix demandé n’était pas trop élevé. Ils souhaitaient vite la vendre pour quitter au plus tôt cette ville et tenter de se refaire une autre vie ailleurs. Ils ont d’ailleurs déjà posé leurs jalons sur une petite maison à Grandbourg, à deux cents kilomètres d’ici. Ils n’ont rien gagné au change, car les prix là-bas y sont bien plus élevés. Oh ! Elle n’est pas très grande, ni très jolie, et son jardin est tout petit, mais ils s’y sentiront mieux et leurs enfants aussi. Ces derniers ont terminé l’école depuis quatre mois, mais les deux derniers ont été un véritable calvaire pour eux, avec une mise en quarantaine par leurs camarades. Les enfants sont souvent impitoyables. Il était donc inconcevable qu’ils les retrouvent à la rentrée prochaine, un changement radical s’imposait aussi pour eux. Ils porteront longtemps le lourd fardeau de leur mensonge.


Le téléphone de Marcel sonne, il prend la communication :

– Allô ! Ah, c’est vous ? Oui, vous n’êtes plus loin, encore trois cents mètres, et c’est à droite. Je m’avance sur la route et vous fais signe, c’est quoi votre voiture, d’accord, à tout de suite.

Il ouvre en grand son portail et s’avance sur le trottoir pour réceptionner le futur acheteur de sa Triumph. La voiture attendue arrive, se gare au bord du trottoir, un couple en descend, salue Marcel et s’engage avec lui dans la propriété.

La Triumph est là, garée sur l’allée devant le garage, aussi resplendissante qu’avant le drame. À sa vue, les visages des visiteurs s’éclairent, ils sont éberlués par sa beauté.

– Elle est vraiment magnifique ! déclare l’homme en connaisseur.

– Pour ça oui ! ajoute sa compagne. C’est la plus belle que nous ayons vue jusqu’à présent.

– Certainement, renchérit l’homme, et je ne crois pas que l’on puisse trouver mieux.

Il en fait le tour complet en caressant la carrosserie, se baisse pour examiner le dessous de la caisse, se relève, plonge sa tête à l’intérieur pour admirer le tapis moquette, tâte le cuir moelleux de ses sièges, inspecte le coffre arrière, et ouvre le capot avant pour admirer l’état d’un moteur impeccable. Elle est vraiment parfaite, pense-t-il.

– Pourquoi la vendez-vous ? demande-t-il.

Il pose la question la plus embarrassante qui soit et que Marcel craignait par-dessus tout. Mais il s’y est préparé et sa fausse réponse est toute prête.

– Nous déménageons demain pour nous rapprocher de mon père qui est souffrant, et notre nouvelle maison est plus petite avec un garage, d’une seule place, qui ne peut pas l’accueillir. De plus, nous avons besoin de pas mal d’argent pour faire face aux frais médicaux et au placement de mon père en maison spécialisée. Croyez-moi, c’est à contrecœur que je m’en sépare.

– Je vous crois aisément monsieur, vu son état et l’amour que vous avez dû lui apporter pour la restaurer. Vous permettez que je l’essaye ?

– Bien sûr, je vous en prie, vous êtes là pour ça, les clés sont sur le contact.


La voiture démarre avec le couple à bord et s’engage dans la rue, laissant Marcel, seul sur le trottoir, contempler au loin sa voiture qui disparaît sans lui. Un quart d’heure plus tard, le couple revient, enchanté par sa balade, et convie Marcel à finaliser la transaction. Tout se fait assez rapidement, et la Triumph repart définitivement aux mains de son nouveau propriétaire.

C’est un véritable déchirement pour Marcel de la voir irrévocablement s’éloigner. Mais cette blessure sentimentale ne comblera jamais sa blessure morale. Il referme son portail, la porte de son garage, et referme en même temps un chapitre de son existence. La vie est ainsi faite, et il faut faire avec. D’un pas traînant et malheureux, il se dirige vers l’intérieur de sa demeure pour y aider sa femme à préparer le déménagement du lendemain.


En face, chez les Valmer, ce n’est pas mieux, c’est même pire, puisque la mère de Stéphane, veuve depuis peu, n’arrive plus à refaire surface. La perte de son mari, qui était son complément, son équilibre, sa raison de vivre avec ses enfants, l’a complètement déstabilisée. Elle va de dépression, en dépression, et se laisse véritablement dépérir. Elle en oublie de se soigner et se met sans cesse dans des situations telles, qu’elle a déjà été hospitalisée à plusieurs reprises. Les médecins sont in-quiets pour son état de santé qui s’aggrave de jour en jour. D’ailleurs, elle est actuellement entre leurs mains, alitée et sous perfusion, car très faible, elle n’a plus la force, ni la volonté de se soigner.

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