Robcar Funeste engrenage La mort d’un conducteur routier 3

La mort d’un conducteur routier 3

Stéphane lui lance la balle, qui dans un lobe parfait traverse la rue étroite qui les sépare. Rémi l’attrape en plein vol et la lui renvoie aussitôt dans un geste tout aussi précis. Les jumeaux aiment aussi ce sport, qu’ils pratiquent ensemble sur leur terrain avec un panier de fortune accroché à un arbre. Les échanges se multiplient et s’accélèrent, jusqu’au moment où Rémi rate la réception de la balle qui frappe le sol, rebondit, et passe par-dessus la clôture de son jardin. Immédiatement, Rémi fait volte-face et se dirige en courant vers la porte d’entrée de sa demeure, suivi par Stéphane qui lui emboîte le pas, afin d’être en mesure de récupérer sa balle. Sait-on jamais la réaction que pourrait avoir Rémi, il serait capable de la garder, pense-t-il.

Une fois dans le jardin, ils sont tous deux confrontés au père de Rémi, un homme d’une quarantaine d’années, répondant au nom de Marcel Savin. De taille moyenne et au physique musclé moulé dans un tee-shirt publicitaire, il a un visage taillé à la serpe, plutôt ingrat, surmonté de cheveux roux coupés en brosse, lui donnant un air militaire et peu sympathique. Il est debout, immobile, les jambes légèrement écartées, les mains sur les hanches, et contemple avec fixation le parterre de fleurs dans lequel la balle vient de terminer sa course, écrasant au passage quelques jeunes plants.

– À qui est cette balle ? lance-t-il à l’attention des enfants.

– Elle est à moi, monsieur, répond Stéphane d’une voix faiblarde.

– À toi ? Mais c’est une balle de fille, pas de garçon !

– Ma sœur me l’a prêtée, car mon ballon est crevé.

– Eh bien, elle a eu tort, car maintenant c’est sa balle que je vais crever.

– Non, monsieur, pas ça ! Elle ne va pas me le pardonner.

– Tu as vu dans quel état tu as mis mes fleurs.

– Je ne l’ai pas fait exprès, monsieur, ce n’est pas ma faute.

À cet instant de la conversation, Rémi intervient malgré lui :

– Ce n’est pas totalement sa faute papa, c’est aussi la mienne.

– Comment ça, la tienne ?

– Oui, il m’a lancé la balle et je n’ai pas pu la rattraper, alors elle a rebondi sur le trottoir et est passée par-dessus la clôture. Ne la crève pas, ça ne se reproduira plus, nous ferons attention la pro-chaine fois, c’est promis.

Devant cet aveu qui lui pose un dilemme, le père renonce à contrecœur à sa punition expéditive, et pour s’en tirer avec autorité ajoute :

– Bon, d’accord pour cette fois, mais je vous préviens, la prochaine fois, ce sera la crevaison assu-rée. Je ne veux plus voir cette balle dans mon jardin, c’est bien compris ?

Les deux enfants, penauds, acquiescent dans un hochement de tête et s’adressant à son fils il ajoute :

– Toi, rentre à la maison et va jouer avec ton frère.

Puis s’adressant à Stéphane il lui dit :

– Quant à toi, tu prends ta balle et tu enregistres bien ce que je viens de dire, car je tiens toujours parole. Allez, maintenant, dégage d’ici.

Stéphane s’exécute sans mot dire et disparaît rapidement du jardin. Il traverse la ruelle pour rejoindre sa maison, pousse le portail, monte prudemment l’escalier avec sa balle sous le bras, en pensant qu’il vient d’éviter un microdrame avec sa sœur. Il pense aussi qu’il a eu de la chance de jouer avec Rémi, parce qu’avec son frère Alex, l’incident ne se serait pas terminé de la même façon. Il ne serait certainement pas intervenu en sa faveur auprès de son père et, en ce moment, au lieu d’une balle gonflée, il tiendrait dans ses mains une vessie flasque.


Dix-sept ans plus tard, à Grandbourg, une ville importante du centre de la France.


La porte de la cabine, côté conducteur, s’ouvre. Un homme descend à reculons du camion et pose pied à terre. Il doit avoir la petite soixantaine, légèrement dégarni avec des cheveux clairs coupés ras. Son tee-shirt beige, recouvert d’un gilet de cuir sans manches ouvert sur la poitrine, laisse entre-voir une corpulence généreuse, mais pas grasse, plutôt musculeuse et légèrement enrobée, telle que l’on imagine les conducteurs de poids lourds. Son pantalon, type treillis à poches latérales, et main-tenu par un large ceinturon de cuir, tombe sur une paire de chaussures montantes à lacets, boucles et crampons, similaire à des Rangers . Il récupère un sac posé sur son siège, claque la porte et com-mande son verrouillage à distance à l’aide d’une zappette. Il fait, comme à son habitude, le tour de son long véhicule bleu, inspectant soigneusement le tracteur et la remorque. Cette petite vérification visuelle, faite à chaque arrêt, est devenue pour lui une manie. Elle le rassure sur l’état général de son véhicule avant le prochain trajet. Il se dirige ensuite vers la sortie du grand parking spécialement aménagé et sécurisé pour les gros véhicules, en prenant soin de bien refermer le portail d’accès derrière lui. De nos jours, il faut prendre un maximum de précautions contre les vols devenus de plus en plus fréquents sur les chargements routiers. Il traverse la rue avec son sac en bandoulière, longe le trottoir d’une démarche décontractée sur deux cents mètres environ, avant de s’engouffrer dans une petite ruelle étroite qui le mène à une habitation assez banale.


C’est une maison, mitoyenne par le garage, sans aucun caractère et construite sur un petit lopin de terre passablement aménagé. Arrivé devant, il pousse le portillon métallique, s’avance jusqu’à la porte d’entrée, l’ouvre, dépose son sac sur le sol et s’adresse à sa femme qui se trouve dans la cuisine.

– Mado, je suis de retour. J’ai récupéré ma remorque chargée et je dois la livrer demain en fin d’après-midi aux établissements Charvet. Je suis désolé, mais il faut que je reparte dans une heure au plus tard, j’ai juste le temps de me préparer.

– Ça fait cinq jours que je ne t’ai pas vu, j’ai encore passé un week-end seule et tu ne restes même pas une journée avec moi.

– Je sais, Mado, mais je ne peux pas refuser de travailler, sinon ils vont faire appel à quelqu’un d’autre et je risque de perdre beaucoup de contrats. Tu sais, c’est difficile en ce moment avec tous ces pays de la communauté européenne qui nous font concurrence à bas prix.

– Je comprends bien, mais ce n’est pas facile à vivre ces moments de solitude répétés, vivement que tu sois en retraite pour que l’on passe un peu plus de temps ensemble.

– Patience, elle approche, plus que trois ans et l’on pourra en profiter.

– Tu vas encore chez Charvet ? Il me semble que tu y as été il n’y a pas si longtemps.

– Tu sais bien que j’y vais toutes les semaines, il s’est donc passé une semaine depuis.

– Tu as raison, je finis par perdre la notion du temps à force de rester souvent seule.

– Tu me prépares un repas pour ce soir, s’il te plaît ?

– Oui bien sûr, je te mets une boisson avec, Célou ?

– Comme d’habitude Mado, deux canettes de bière. Bon, je vais prendre une douche.

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1 commentaire

Nine C

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Il y a 6 ans

Un petit coup de pouce au déblocage en espérant pouvoir bientôt découvrir ton histoire. Si tu disposes d’un compte facebook, n’hésite pas à rejoindre le groupe « fyctia groupe d’entraide ». On y fait de super rencontres et, comme son nom l’indique, on s’aide :)
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