Fyctia
La mort d’un conducteur routier 2
Il travaille dur, cinq jours par semaine et quelques fois le samedi pour arrondir les fins de mois. Il est pratiquement toujours vêtu de sa combinaison de travail, car la menuiserie qui l’embauche n’est qu’à quelques centaines de mètres de sa demeure, qu’il parcourt souvent à pied. Sa femme, Mireille, est physiquement à l’opposé de lui, chétive avec une mine pâlotte et une expression toujours inquiète. Il faut dire que la nature ne l’a pas gâtée, car elle souffre d’asthme et de diabète, ce qui l’affaiblit considérablement et la rend prisonnière de ses traitements. La vie n’est pas simple pour elle. Malgré tout elle ne reste pas inactive et fait des ménages à domicile dans le voisinage, tout en accomplissant ses obligations familiales et en s’occupant de ses deux enfants. Car Stéphane a une sœur, Marion, dix-huit mois plus jeune que lui. C’est une très bonne élève qui occupe régulièrement la première place dans ses classements scolaires. Un petit honneur pour cette famille modeste. Plus tard, elle veut être vétérinaire, car elle adore les animaux depuis toujours. Bien sûr, ses longues études vont coûter très cher, mais elle est courageuse et loin d’être fainéante la gamine ! Elle saura participer, en temps et en heure, pour aider ses parents à subvenir aux dépenses occasionnées par ses ambitions. En attendant, elle s’applique du mieux qu’elle peut pour réussir sa scolarité et honorer la fierté de ses parents. Stéphane s’entend très bien avec sa sœur et ses parents. Ensemble, ils forment une famille heureuse et très soudée.
Assis derrière son bureau, tout en faisant ses devoirs, mais sans se laisser distraire, Stéphane peut voir de la fenêtre de sa chambre qui surplombe la rue, les va-et-vient routiniers du quartier. C’est ainsi qu’il vient d’apercevoir ses voisins et « camarades de classe », si l’on peut les appeler ainsi, des frères jumeaux de son âge, Alex et Rémi, à la chevelure rouquine et hirsute et au visage pâle criblé de taches de rousseur. Ils arrivent à leur domicile avec une bonne demi-heure de retard sur lui. Il est vrai qu’ils préfèrent rentrer à pied, plutôt qu’avec la navette, car cela leur permet de faire, en cours de route, quelques bêtises, dont ils sont friands et dont ils ont le secret. De toute façon, ils ne font pas partie des meilleurs de la classe et n’ont pas l’intention de le devenir, non plus. Ils écourteront le temps de leurs devoirs, s’il le faut, mais ne se priveront pas du temps consacré à leurs amusements. Comme Stéphane, ils ont été chahutés à cause de la couleur de leurs cheveux et la pigmentation de leur peau, mais tout est vite rentré dans l’ordre, car ils ont su se faire respecter par la force. Ils savent manier le poing quand cela est nécessaire et à deux, c’est quand même plus facile que tout seul.
Ils habitent la coquette maison juste en face, de l’autre côté de la petite ruelle. C’est une maison de construction traditionnelle, vieille d’une dizaine d’années, avec une terrasse couverte sur le devant donnant sur un petit jardin fleuri très bien entretenu. Sur le côté droit, un large garage fait face à une allée bétonnée qui mène au portail d’accès à la propriété. Le tout, entouré par un terrain planté de quelques arbres pour donner un peu d’ombrage.
Stéphane n’a pas de rapports très amicaux avec les jumeaux, mais par la force des choses et la proximité des demeures, il est parfois, contraint et forcé, de participer à leurs jeux, même si cela lui coûte un peu. En contrepartie, il espère toujours qu’ils lui apporteraient leur soutien si, un jour, il en avait besoin, ce qui ne s’est encore jamais produit jusqu’à ce jour. Mais pour lui, cela reste un bon investissement de ne pas les avoir contre lui.
Ses devoirs sont maintenant terminés, Stéphane referme livres et cahiers, prépare tranquillement son cartable pour le lendemain et se dirige vers la cuisine où l’attend un bon goûter préparé par sa mère. Sa sœur est enfermée dans sa chambre et plongée dans ses devoirs. Elle ne profitera peut-être pas de cette belle fin de journée ensoleillée, mais qu’importe, quand elle en aura terminé avec ses obligations scolaires, elle s’adonnera à ses passions de toujours, le dessin et la peinture.
En passant devant, Stéphane entrouvre la porte de la chambre de sa sœur et lui demande :
– Marion, tu me prêtes ta balle ? Mon ballon est crevé.
– Oui ! Mais fais-y attention et surtout ne la perds pas.
– Merci et ne t’inquiète pas, j’y ferai très attention.
Stéphane déguste ses tartines de beurre chocolatées, boit avec délectation son jus d’orange et sort de la maison. Balle sous le bras, il descend lentement l’escalier extérieur pour rejoindre la rue, en étant bien attentif au placement de ses pieds afin de ne pas manquer une de ses dix-neuf marches. Car il le connaît par cœur, cet escalier, pour l’avoir gravi et descendu des centaines de fois, et dans ce sens, si elle intervenait, la chute serait rude et douloureuse. Une fois en bas, il referme derrière lui le portillon métallique, sans serrure, qui couine et grince désagréablement en raclant le sol.
Le voilà dans sa rue natale au nom très provençal qui sent bon le thym et le romarin. La rue de la Farigoule, étroite et longue comme un jour sans pain et bordée de micocouliers dont les feuilles dan-sent au moindre souffle de vent. Elle est peu fréquentée, son seul trafic est celui des habitants qui entrent ou sortent des maisons qui la bordent de part et d’autre. Les gamins peuvent y jouer sans crainte, car les rares voitures y roulent à faible allure. Là, sur le trottoir, Stéphane se déplace, comme le font ses idoles les joueurs de basket, en faisant rebondir de la main sa balle sur le sol. Il adore ce sport qu’il regarde chaque fois qu’il le peut sur le poste de télévision, et dont les photos de ses champions sont placardées sur les murs de sa chambre. Ses parents lui avaient offert à Noël dernier un véritable ballon pour y jouer, mais il l’a malencontreusement crevé et doit se contenter de la balle de sa sœur en attendant qu’on le lui répare.
Il joue depuis quelques minutes maintenant, quand soudain une voix retentit sur le trottoir oppo-sé. C’est celle de Rémi, un des jumeaux d’en face, qui lui lance :
– Envoie-moi ta balle, Banane.
– Si tu m’appelles Banane, je ne joue pas avec toi.
– Allez, ne fais pas la gueule et envoie-moi ta balle.
Rémi est plus bête que méchant, contrairement à son frère Alex, qui est le dominateur du duo. Il se contente souvent de suivre et d’imiter son frère dans tout ce qu’il dit et ce qu’il fait. C’est un constat bien connu chez les jumeaux et Stéphane l’a bien compris. Aussi, plutôt que d’entrer en conflit avec lui, il préfère se plier à son désir, car après tout, il se dit qu’il est plus facile d’apprivoiser Rémi que son frère. Et puis, sait-on jamais, il pourrait aussi influencer Alex dans le bon sens et ce serait tout bénéfice pour lui.
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