Robcar Funeste engrenage La mort d’un conducteur routier

La mort d’un conducteur routier

En 1997 à Saint Victor, une petite ville du sud de la France.


Dans la cour de l’école communale de garçons, un grand bâtiment grisâtre aux volets de bois verdâtres et brûlés par le soleil, la récréation bat son plein. Les élèves se défoulent dans des actions aussi désordonnées que bruyantes. Le brouhaha, généré par cette pagaille, envahit les rues environnantes, donnant un surplus de vie à cette commune. Il est vrai que dans ces petites villes de province, hormis le carillon de l’église, qui sonne inlassablement l’avancée inexorable du temps, il n’y a pas beaucoup d’ambiance. Sauf le jeudi, jour où le marché s’étale sur la place de la Mairie, lui donnant un air de fête et parfois le samedi, quand un mariage est pratiqué à l’église.

Le soleil a du mal à se frayer un chemin au travers du feuillage épais des platanes couvrant la cour d’une ombre bienfaitrice en ce beau jour de printemps. Seuls, quelques rayons lumineux y parviennent. Ils semblent plantés dans le sol, comme des lames de sabre luisantes, offrant un décor mystique en ce lieu où les enfants chahutent et grouillent dans la confusion la plus totale.

Seul, à l’écart de ce tumulte, un garçon assis sur les marches de sa classe est penché sur un jeu électronique qu’il tient entre ses deux mains. Son nom est Stéphane Valmer. C’est un enfant de onze ans, pas très grand ni très fort pour son âge, au visage blafard, aux yeux couleur bleu piscine et à la frange épaisse et noire retombant sur son front. Il est vêtu sans extravagance et passe facilement inaperçu au milieu des autres, d’autant qu’il est solitaire, réservé et timide, voire renfermé. Ces faiblesses caractérielles lui valent souvent d’être pris pour un souffre-douleur par ses camarades de classe, ou de jeu, qui le considèrent volontiers comme une tête de Turc, en le maltraitant physique-ment, voire pour un bouc émissaire, en lui faisant endosser la responsabilité de fautes qu’il n’a pas commises. Malgré ses apparences d’enfant retardé, Stéphane est très intelligent et ses résultats scolaires, plus qu’encourageants, en attestent, avec des classements qui n’excèdent jamais la cinquième place. Ses aptitudes scolaires engendrent un peu de jalousie autour de lui, sentiment qui vient, défavorablement, s’ajouter à son comportement de faible. S’il apprécie peu la confrontation physique, en revanche, Stéphane, apprécie beaucoup la confrontation intellectuelle. C’est la raison pour laquelle il préfère, sans aucun doute, les longues heures de classe aux courtes minutes de récréation. De plus, en classe, chacun est à sa place, comme sur un échiquier, sans promiscuité, avec en prime l’ordre et la discipline, qui pour lui, de toute évidence, manquent cruellement à l’extérieur.


Alors qu’il est pleinement concentré sur sa console de jeux, il a attiré les regards d’un groupe de trois élèves, à l’allure dévergondée et en quête de mauvais coups, qui s’approche de lui. L’un d’eux, le plus grand, et vraisemblablement le plus fort, lui demande sur un ton moqueur :

– Qu’est-ce que tu fais Banane ?

– Je ne m’appelle pas Banane, répond Stéphane sur un ton révolté.

– Stéphane ou Banane, c’est pareil pour moi. Je t’ai demandé ce que tu faisais, et puis d’abord, qu’est-ce que tu as dans les mains ?

– Ça ne te regarde pas.

– Réponds-moi, ou je te casse la gueule, Banane.

– Un jeu électronique, répond Stéphane pour éviter tout conflit.

– Fais voir ce que c’est, montre-moi ce truc.

– Non, tu ne vas pas me le rendre.

– Donne-moi ça, ou je te le prends de force.

Stéphane ne répond pas et baisse la tête. L’élève se précipite alors sur lui pour le lui arracher des mains. Dans un geste réflexe rapide, Stéphane s’enroule comme un cloporte dans sa coquille, faisant le dos rond, les bras plaqués au corps et prisonniers entre son buste et ses cuisses. L’assaillant se jette alors sur lui et tente, désespérément, de lui prendre son bien, mais Stéphane résiste. Voyant qu’il ne peut y arriver seul, il demande du renfort à ses acolytes. Ils sont maintenant trois à tenter de lui arracher son bien, mais sans succès, car la position en boule de Stéphane ne le permet pas. Qu’importe, pensent les trois agresseurs, en changeant de méthode, il finira bien par lâcher son jeu. Les voilà maintenant en train de lui asséner, à tour de rôle, des coups de poing et coups de pied.

L’institutrice chargée de la surveillance, qui est occupée à l’opposé de la cour, ne voit pas la scène. La situation est en train de se dégrader et s’aggraver sérieusement, pour Stéphane. Mais, il est sauvé par le son de la cloche qui, tel celui du gong qui sonne la fin du round dans un combat de boxe, signale la fin de la récréation, mettant ainsi un terme à l’hostilité. Les trois élèves belliqueux s’écartent, Stéphane se relève, se secoue, réajuste sa tenue, vérifie qu’elle n’est pas endommagée, et range son jeu, tant convoité, dans la poche de son pantalon. Sans un mot, tout ce petit monde rejoint, silencieusement, sa classe respective.

Les dégâts corporels constatés sont mineurs, justes quelques égratignures et, certainement, quelques bleus qui apparaîtront plus tard. Mais qu’importe, Stéphane sait encaisser, il a l’habitude de ce genre de situations qui, malheureusement pour lui, sont assez fréquentes. Il les supporte tant bien que mal, car il sait qu’elles sont temporaires et qu’elles finiront bien par cesser avec le temps. Si aujourd’hui il se sent parfois en position d’infériorité, vis-à-vis de certains autres garçons, cela ne l’empêche pas de savoir ce qu’il vaut, et surtout ce qu’il veut.


La journée scolaire est terminée, la grande porte de l’école s’ouvre, et béante, laisse s’échapper cette horde d’élèves qui se précipitent à l’extérieur, comme libérés d’une prison. Les uns partent à pied, avec leur sac à dos, seuls ou en groupe, les autres, comme Stéphane, prennent la navette scolaire qui va les déposer devant leur domicile.

Celui de Stéphane est assez sobre, avec une architecture des plus simplistes. Elle s’apparente à un gros cube en matériaux durs et au crépi jaunâtre, composé de deux appartements superposés. Au niveau supérieur, un balcon à la rambarde pleine et lézardée qui occupe toute la largeur de la façade, surplombe le minuscule jardin en friche du rez-de-chaussée. L’accès à l’étage se fait par un escalier latéral maçonné et assez raide, avec une rambarde du même style que le balcon. C’est là-haut que la famille Valmer habite, depuis douze ans, dans un quatre-vingts mètres carrés qu’elle loue.


Le père de Stéphane, prénommé Paul, est un peu comme lui, un homme assez calme, arrangeant et qui évite tous les conflits. De taille et de corpulence, moyennes, son visage jovial aux traits relativement doux, lui donne un air sympathique qui rassure et inspire aussitôt la confiance. Menuisier de métier, il a pu meubler à peu de frais son habitat, car ses revenus sont relativement faibles et pour faire face à toutes les dépenses, il doit gérer correctement son budget et faire des économies.

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