Fyctia
LE MARCHE DE TOUS LES DANGERS
— Tu seras en mère Noël ?
Ho, mon dieu, je sens que je ne passerais pas inaperçue sur le marché. Moi, en lutin de calendrier olé olé, et elle, en mère noël ogresse de petits enfants pas sages. Parce que vu sa stature, elle fait plus tôt penser à la mère fouettarde qu'à la gentille mère Noël.
— Dépêche-toi, on t'attend.
Et plouf, elle raccroche. Je regarde une dernière fois mon costume, puis dans un soupir de condamnée à mort je m'en saisis et passe à la salle de bain. Je me douche, puis enfile de jolis dessous rouge vif en dentelle pour me donner du courage. Ensuite, pour avoir chaud, je mets un collant opaque noir bien épais, avant d'enfiler le leggins à rayures blanc et rouge. Puis je me saisis du corset vert et le passe. Il m'enserre la poitrine et la fait pigeonner vers l'avant. Je fixe ma poitrine désespérée, j'ai l'impression d'être sur l'étal du boucher, ma poitrine mise en avant pour cause de solde. Je passe ensuite la petite jupe verte, agrémenté d'une fourrure rouge qui s'arrête juste sous mes fesses. Dans le miroir, je me regarde, et je ferme les yeux. L'image qu'il me renvoie est proprement ridicule.
Je soupire, puis enfile le petit bonnet vert agrémenté d'une clochette, ainsi que de deux petites oreilles pointues qui couvrent les miennes, que je trouvait si jolies.
Le diable de Noël a encore frappé, je suis ridicule. Je ne veux même plus me voir dans la glace tellement la honte me serre l'estomac. Un petit coup de maquillage léger, du parfum, et me voilà devant les chaussures. Des escarpins rouge pétard d'une hauteur vertigineuse.
J'espère juste que le comptoir du chalet est assez haut et que l'on ne verra que le bout de mon nez sortir des fromages. Je mettrais mes pulls suspendus tout autour de moi, et peut-être que ses oreilles ridicules ne se verront pas. Je croise les doigts et envoie une prière silencieuse à ma bonne étoile, qui d'ailleurs, semble s'être barrée en vacances depuis un moment.
Je prends les chaussures dans une main, passe mes bottes fourrées à la place, et descends les marches à reculons (façon de parler).
Une fois dehors, protégée par mon blouson, je me dirige vers ma grange. J'attrape la cage de framboise, qui me fixe le regard exorbité.
— Je sais, j'ai l'air ridicule, mais si je ne me pointe pas habiller en lutin, Mauricette risque de me passer à la moulinette, ou bien de me faire cuire à la moutarde.
Framboise approuve, du bout de son nez qui gigote brusquement plus vite. Ses enfants se collent à elle soudain peureux.
— Allez, ce ne sera l'affaire, que de quatre heures. Et puis il fait nuit maintenant, personne ne me verra, et avec un peu de chance on se retrouvera au fin fond du marché.
Tous les quatre me fixent sans vraiment me croire. Je prends la cage et sors de la grange pour me retrouver nez à nez avec une ombre géante et noire devant moi. Je sursaute et pousse un cri.
— Bon sang, ce n'est que moi. Pas la peine de hurler !
— Tu m'as fait peur !
Mon cœur bat à toute allure et mes mains tremblent, la cage vacille. Émilien s'en saisit et d'un ton bourru il me dit :
— Qu'est-ce que tu fichais ? Cela fait dix minutes que je t'attends devant la voiture !
Il ne va pas falloir qu'il m'énerve celui-là.
— Cela ne se voit pas, je m'amuse à énerver le voisin !
Il grogne, puis se dirige à grande enjambée vers la voiture. À présent en pleine lumière je le vois habillé en tenue de travail. Un soupçon me prend aux tripes.
— Tu ne vas pas dans la grange ce soir ? C'est Paul qui va venir s'occuper des vaches.
— Je le sais, je ne suis pas bête.
Il ouvre la porte passagère et pose la cage sur le siège. Je le suis et me plante devant lui.
— Pourquoi es-tu en habit de travail ?
Il se retourne un sourire mystérieux sur les lèvres. Je le vois respirer à fond pour me répondre avant de fixer mon chapeau, mes oreilles puis mes jambes gainées dans mon collant rouge et blanc. D'un doigt, il me les désigne, une expression outrée sur le visage.
— C'est quoi, ça ?
Est-ce que je lui explique, ou bien je lui montre ?
J'ouvre ma doudoune en grand.
— Je suis le lutin de la mère Noël ! Et si tu oses rire une seule seconde je te jure que tu le regretteras.
Son regard monte, descend, puis refait le même chemin, la bouche grande ouverte.
— Je sais, je suis ridicule, mais s'il te plait n'en rajoute pas. Je suis déjà assez en colère sans que tu ne viennes en rajouter une couche.
Je me retourne et passe devant lui pour gagner le côté conducteur.
— Je reviens vers vingt-deux heures. Pas la peine de m'attendre pour manger, je prendrais un repas sur place.
Il n’a pas bougé d’un pouce, comme tétanisé. Il ressemble à un poisson pas frais aux yeux globuleux. Je lui fais un signe de la main, puis démarre. Il ne réagit même pas. Je dois être vraiment ridicule pour qu’il en reste sans voix. Je prends une profonde inspiration puis me dirige vers mon enfer personnel, le marché de Noël avec toutes les lumières, grelots, sapins et autres bidules débiles.
J’espère pour Céline que son mioche sera mignon, sinon, je demande à me faire rembourser.
Un quart d’heure plus tard, je suis tétanisée au volant de ma fourgonnette. Je ne reconnais plus le village, il étincelle de mille feux. Un joyeux Noël immense m’accueille à l’entrée et des sapins verts jalonnent la rue principale. Je traverse le village, toujours abasourdie jusqu’au parking transformé en village du père Noël. Deux rangées de baraques en bois tournent autour d’un immense sapin. Je me gare à l’extérieur, dans un état second, puis je descends de voiture. Je me dirige, comme un automate vers ce lieu de tous les maléfices. Des barrières en bois entourent la place et l’entrée nous accueille avec deux énormes rênes en polyesters. Je les dépasse en les regardant de travers. Voilà où passent tous les impôts que je paie, dans un village de Noël hors norme pour cette petite commune. Lundi, je déboule à la mairie, pour me plaindre.
— Salut Francine. Content de te voir parmi nous ! Je ne t’avais pas reconnu.
Je sursaute, un peu perdue au milieu de toutes ces lumières qui clignotent.
— Ho ! Salut, Didier, tu es là toi aussi ?
Il me renvoie un joli sourire.
— Oui, comme chaque année. Il faudra que l’on se fasse un truc un de ces soirs.
La tête, toujours dans les nuages, je hoche la tête, complètement ailleurs.
— D'accord, quand tu veux.
Je continue d’avancer vers le grand sapin au centre de cette foire. Je m’arrête devant, lève la tête pour voir en son sommet une étoile gigantesque. Il n’est pas encore illuminé, mais quand ils l’allumeront, on le verra de la lune.
— Francine, ma belle, tu es enfin là. Paul t’attend pour décharger la voiture. PAUL, la petite est là !
Mauricette hurle dans mon oreille et me réveille par la même occasion. Je me tourne vers elle les yeux encore dans le vague.
Elle est magnifique toute de rouge et blanc vêtu. Des petites lunettes perchées sur le bout de son nez. Une véritable mère Noël.
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