Fyctia
UNE IDEE DE GENIE
— Oui ! sacrée Mauricette, elle dépote cette femme.
Je me suis cassée le derrière, ces derniers jours, pour maintenir à flot nos deux exploitations, et lui, il encense Mauricette, comme si, moi, je faisais du boulot de crottes de lapin.
Je le vois plisser les yeux, me fixer d’un étrange regard, puis il souffle.
— Je t’attends, on va manger !
— Heu ! oui, j’arrive.
Je serre Lisa, tout contre moi, comme si elle pouvait me protéger de lui, et de tout ce que je ressens au fond de moi, en ce moment. Je suis déçue, et surtout, mon cœur plein d’allégresse d’hier soir, viens de tomber d’un coup, sur le sol dur de mon désenchantement.
Je repose Lisa dans sa cage et j'enfile ma veste. Je respire un bon coup et me retourne vers lui. Je le vois grand, rassurant, et beau. Pour la première fois depuis des années, mon cœur se serre. Je ne connais pas cette sensation, et je ne l’aime absolument pas. J’ai envie de pleurer d’un coup et ma gorge se serre. J’arrive à sourire péniblement.
- Je suis prête, nous pouvons y aller.
Il met ses mains dans les poches, me renvoie mon sourire, indécis.
- OK, alors, on y va.
Et voilà comment en une seconde il a réussi à me retourner le cerveau et le cœur. Si jusqu’à présent, je ne faisais que rêver de lui, sans vraiment comprendre le pourquoi du comment. Maintenant, juste en le regardant, j’aimerais plus et cela me fait souffrir, et je ne comprends pas ce sentiment inconnu de moi il y a quelques jours.
Les jours suivants, ont ressemblé à celui-ci, entre mes lapins et ses vaches, son fromage et les repas qu’il ne manque pas de me préparer afin d’alléger mon labeur. Même le matin, il exige que je vienne chez lui pour prendre mon petit déjeuner, il m’attend de pied ferme, le broc de café à la main et le couteau à beurre de l’autre. Je sais qu’il se sent coupable de ne pouvoir nous aider, mais comme je lui rappelle tous les jours, il ne faut surtout pas qu’il infecte ses plaies, et une étable est tout, sauf propre. Donc, le midi, je mange avec lui, et lui donne la liste des tâches accomplies dans la matinée. Le soir, rebelote, je me lave chez moi, puis ressors dans le froid pour le repas. D'ailleurs, j'en ai marre de me geler les miches en permanence.
J’aime ces moments, ou je ne suis plus toute seule, mais je me sens mal à l’aise avec lui. Il y a une sorte de gêne entre nous depuis l’autre soir.
Et bien sûr, le samedi de tous les dangers est arrivé. Mauricette est venue comme tous les matins, pour la traite. Au moment de retourner chez elle, elle m’a lancé, en passant la tête par la porte.
— Je t’ai laissé la surprise sur ton lit, pour ce soir ! Et tu as intérêt à te pointer avec ma belle, sinon, gare à tes fesses !
Gloups, son regard me fixe froid et déterminé. Je déglutis péniblement, un coup de chaud vient me prendre le cœur. Elle reprend,
— Je ne veux pas rester là-bas jusqu'au premier janvier, alors, tu vas devoir te sacrifier.
Je la regarde un brin paniquer. Je m'imagine attachée à un arbre, pendant que l'on me lance des cailloux, condamnée pour ne pas avoir aimé Noël.
— Heu, me sacrifier comment ?
— Tu verras, je suis certaine que tu vas adorer. Et rassure-toi, moi aussi j'en ai un. Bon, je te laisse, je dois aller aider Paul avec les chalets. Et au fait, apporte un de tes trucs à poils, les gosses les aiment bien ces machins.
Elle me désigne un lapin.
— Moi, à part en sauce moutarde, je ne les supporte pas ces boules de poils.
Elle me fait un signe de la main, puis s'en va comme un coup de vent. Il va falloir que je me rappelle de fermer ma grange à clé quand elle sera dans les parages. Mauricette, je l'aime, mais parfois, elle me fait peur !
Je finis de brosser ma dizaine de lapins, puis je rentre manger. Émilien m'attend de pied ferme devant sa maison.
— Tu es en retard, j'allais venir te chercher.
Et la barbe, j'aurais aimé rester chez moi au chaud ce midi, au lieu de cela, il va falloir que je rentre me changer, puis ressorte dans ce froid sibérien, pour aller manger dans la maison juste à côté.
— Je préparais le stock pour le marché.
— Ha ! bien. Tu penses à prendre mes produits pour ce soir ?
Je gravis les marches jusque chez moi d'un pas lent et fatigué.
— Oui, c'est fait. Je m'en suis occupée hier soir. Il suffira de prendre le lait frais et je suis dans les clous.
— OK, tu te changes, je t'attends.
Je fais la grimace et je le vois qui me fixe le regard interrogateur.
— Tu ne veux pas manger ?
Je soupire,
— Oui, je veux manger, mais venir chez toi, chaque fois, c'est un peu gênant à la longue. Et puis il fait froid, j'en ai marre de me geler avant tous mes repas. Je pense que je vais prendre celui-ci chez moi, tranquillement.
Je le vois perdre son sourire, foncer les sourcils et pincer ses lèvres dans une mimique mécontente.
— J'ai cuisiné pour toi, tu ne vas pas me laisser en plan ?
Je suis indécise, d'un côté il est là devant moi tout penaud, et de l'autre, j'ai envie de rester chez moi au chaud.
— Bon, d'accord. Mais ce soir, après le marché je rentre chez moi et je n'en sors plus. Et demain matin aussi, je reste au chaud chez moi.
— Je cuisine mal ?
— Non, tu cuisines très bien, mais je vais t'avouer que devoir sortir dehors de bon matin pour prendre son petit déjeuner, cela refroidit légèrement l'envie. Pareil pour le soir.
Je le sens déçu.
— C'est vraiment gentil à toi de faire tous ces efforts, mais cela n'est pas nécessaire, je te l'assure.
— Cela me faisait plaisir de te faire à manger. J'ai l'impression de ne servir à rien, en restant enfermé ici.
J'ai le bout du nez qui commence à geler. Discuter le bout de gras par zéro degré ce n'est vraiment pas mon truc.
— Écoute, je reviens, et l'on en discute tranquillement chez toi. D'accord ?
Il me regarde l'œil triste.
— D'accord.
Il rentre chez lui, le pas trainant. Et moi je me précipite dans mon chez-moi tout chaud et tout doux. Une fois changée, je soupire puis enfile mon anorak. J'ouvre ma porte et le froid une fois de plus me fait grimacer. Je frappe à la porte d'Émilien et entre. Il m'attend assis, le regard dans le vide.
— C'est bon, je suis là !
Il relève la tête, me sourit, le regard, toujours dans le vide.
— Émilien, tu vas bien ?
Pas de réponse, il réfléchit intensément.
— Euh… si tu te prends la tête avec les repas, il ne faut pas. Je te jure que j'ai énormément apprécié ce que tu as fait depuis que tu es malade. Et manger chez toi me soulage bien, mais je ne dois plus te surveiller, maintenant, tu vas bien. Alors je pense que nous devrions reprendre nos vies chacun chez soi. Bientôt, tu n'auras plus de boutons, et je suis certaine que la semaine prochaine tu pourras reprendre tes activités normalement. Tu pourras même faire le marché, j'en suis persuadée.
Toujours aucune réponse, il me fixe le regard dans le vague.
— J'ai faim, qu'est-ce que tu nous as préparé aujourd'hui ?
Il sort enfin de son état comateux, une étincelle brille au fond de ses yeux.
— Je crois que je viens d'avoir une idée de génie !
9 commentaires
Manon Kaljar
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Il y a 6 ans
Sylvie De Laforêt
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Il y a 6 ans
AlienLikeU
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Il y a 6 ans
Jeanne F.
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Catherine kakine
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Jeanne F.
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Camille Jobert
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Il y a 6 ans