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RETOUR DE MAURICETTE
Ce qu'il est doux d'entendre ces injures, témoins de son désir pour moi, Francine, éleveuse de lapin et accessoirement terrifier à l'idée de susciter ce genre de sentiments chez un homme, et surtout chez lui.
Je me couche en silence. Je n'ose même plus respirer. Et cette nuit, mes rêves ont mis le feu à la paille de mes fantasmes et à mon corps.
Le lendemain, je me transforme en petite souris, je me lève en silence, je m’habille en silence, je prends mon café en silence et je sors en silence. La neige s’est arrêtée, mais il fait un froid de canard. Je me dirige en premier, vers mes lapins, je les bichonne pendant une demi-heure, puis, viens le tour des bêtes à cornes, que je n’aime toujours pas, nous nous tolérons elles et moi. Je nettoie, je refais leur paillasse, puis j’entends que l’on m’appelle. J’arrête de racler le sol et tends l’oreille.
- Francine, hou hou ?
Mazette, cette voix tonitruante je la connais ! C’est celle de Mauricette ! Attention bulldozer en approche. J’entends ses pas lourds résonner avant de voir la bête approcher. Dés qu'elle me voie, elle me sourit largement et s’exclame joyeuse.
— Me voilà de retour ! Je viens à point nommer les jeunes. Il parait qu’il y a du grabuge ici !
Je pose ma pelle, et passe sous les barrières pour la rejoindre. Elle me serre dans ses bras et me fait la bise sur les deux joues, en m’arrachant quelques cheveux au passage.
— Rien de grave Mauricette, c’est Émilien qui a attrapé la varicelle.
— Eh ben, il choisit bien son moment celui là, en plein mois de décembre ! Comme si l'on avait que cela à faire, s’occuper d’un type avec une malade de mômes.
Je me désincarcère de ses bras, elle est déjà en tenue de combat, bottes et combinaison de travail.
— Tu as gardé tes habits de lumière à ce que je vois ?
Elle me sourit, se regarde, puis revient vers moi.
— Je les ai gardés en espérant un jour pouvoir les remettre en attendant le petit bout qui pousse dans ma fille !
Je la pousse du coude, heureuse de lui voir son regard pétillant.
— Alors tu es heureuse ? J’espère que cette fois, cela se passera bien !
— On va tout faire pour ma belle, d’ailleurs samedi nous sommes de marché toutes les deux. Il ne faut pas que Céline se fatigue, alors toi et moi allons devenir un binôme inséparable. Tu verras, j’ai prévu des petites choses pour que nous puissions vendre notre stock plus vite.
Là, je fronce les sourcils, inquiète à l’avance de ce qu’elle a pu prévoir.
— C’est quoi exactement ton plan ?
Elle se met à ricaner, le regard pétillant.
— Tu verras, c’est une surprise. J’ai eu l’idée, en lisant "femmes actuelles". C’est un super magazine, il est bourré d’idée originale, je l’adore.
Des idées dans "femmes actuelles" ? Ce ne doit pas vraiment être méchant comme idée.
— Je ne savais pas que tu lisais ce genre de magazine !
Elle soupire, me tape sur l’épaule à m'en déboiter une articulation.
— C’est la retraite ma belle. Il faut bien s’occuper ! D’ailleurs en parlant de s’occuper, je vais passer à la traite, et toi tu vas t’occuper de tes lapins. Je t’appelle quand ce sera fini.
Je ne me le fais pas dire deux fois, je jette la pelle et me précipite hors de la grange, pour retrouver mes lapinons, tout doux et qui sentent bon, eux. Mais en passant la porte, j’entends Orageuse meugler après moi, je me retourne et lui envoie un petit coucou de la main ironique et murmure pour moi même.
— Eh oui, je te laisse avec "lactator", tu vas voir la différence, ma belle. Elle est tout, sauf délicate Mauricette, tu vas me regretter !
Une fois revenue dans mon petit monde, je change les litières, je donne des graines, je surveille les plus petits, je câline les plus vieux. Puis je récolte les poils aux sons de la musique. Le temps passe à une vitesse phénoménale et je ne relève la tête que sur les coups de midi, quand mon estomac se rappelle à moi.
Je ne suis même pas allée voir Émilien. À vrai dire, je suis terrorisée à la simple idée de croiser son regard. Je n’ai déjà pas bien dormi, parce que l’image de lui, tout nu dans la salle de bain, me revenait sans cesse, et une angoisse sourde me prenait les tripes à tous les coups.
Jusqu’à présent, j’avais réussi à éviter ce genre de truc malsain, mais là, je ne sais pas comment réagir.
Mon avenir je le voyais en vieille fille, toujours vierge à quatre-vingt-dix ans et heureuse de ne pas subit les lubies d’un mari, trop jaloux, trop caractériel. Mais voir Émilien dans cet état, a fait réagir mon corps que je bridais depuis des années. Si ma tête m’envoie des messages de détresse, mon corps, lui, réclame l’attention qu’il lui est dû à son âge. Mais hors de question de faire entrer un homme dans ma vie. Je me suis fait cette promesse le jour ou j’ai enterré ma mère et je n’y dérogerais pas une seule seconde.
Le couple pour moi est synonyme de souffrances et d’humiliation. Je ne veux pas devenir comme ma mère.
Vous me direz, les hommes ne sont pas tous comme mon père. Peut-être, mais, imaginez que je tombe sur un type comme lui ? Je fais comment ? Je subis, ou je meurs ? Non, il n’y a pas d’autre alternative, je dois fuir le sexe masculin et vivre comme je me le suis promis, libre et indépendante, sans entraves, sans mari, enfants ou autres liens émotionnels trop dangereux pour mon équilibre mental.
Voilà pourquoi, à mon âge je n’ai toujours pas couché avec un homme, et la seule pensée de la chose me terrifie. Les cris de ma mère, ses pleurs, ses gémissements d’angoisses qui me parvenaient de sa chambre le soir, m’ont vacciné de la chose jusqu’à la fin de ma vie. Je n’ai jamais vu mon père avoir un geste tendre pour elle ou même pour nous. Petite, j’avais l’impression d’être de trop dans sa vie, de le gêner. Je ne sais toujours pas pourquoi, toute cette souffrance, cette violence. Je ne l’ai pas revue depuis cette nuit de Noël. Et je crois que je ne pourrais jamais me retrouver en face de lui. Rien qu’à l’évocation de tous ces souvenirs, la petite souris que j’étais refait surface et aimerait se cacher dans un trou, pour disparaitre aux yeux du monde, pour ne plus avoir mal et souffrir.
Alors, m’imaginer avec Émilien est une chose impossible. Pourtant d’un autre côté, j’envie le couple que forme ma sœur avec son mari, celui de Céline et Paul aussi. Mais, devoir donner sa confiance à l’autre me paralyse et je sais que je n’y arriverais jamais. Pas après tout ce que j'ai subi.
Me battre pour le bonheur des autres, je sais faire, mais pour le mien, je n’y arrive pas, tout me tétanise et me terrifie. Et comment vivre avec quelqu’un s’il vous terrifie ? On ne le peut pas, alors, je me suis résignée à faire ma vie seule, mais apaisée et sereine.
Mais depuis qu’Émilien est devenu mon voisin, il perturbe mes bonnes résolutions et cela, il ne faut pas que je le permette.
11 commentaires
Jeanne F.
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Il y a 6 ans
Simon Saint Vao
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Il y a 6 ans
Jeanne F.
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Il y a 6 ans
AlienLikeU
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Jeanne F.
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Sylvie De Laforêt
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Jeanne F.
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Il y a 6 ans
Catherine kakine
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Jeanne F.
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Catherine kakine
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