Fyctia
LA CREME
EMILIEN
César repart, en me saluant de la main, une expression de défi dans le regard. Je me redresse et bombe le torse. Moi aussi j’ai des muscles et je suis grand. Il ne me fait absolument pas peur, cet avorton. S’il veut la guerre, il l’aura.
La voiture s’éloigne et une voix de crécelle vient me vriller les tympans.
- Mais enfin, qu’est-ce qu’il se passe entre vous deux ?
Je me retourne, de très méchante humeur soudain.
- Il m’a mis une prune la semaine dernière !
- Ho ! Et bien, tu devais surement la mériter, César ne fait jamais rien à la légère.
Exact, il ne fait jamais rien à la légère, alors, pourquoi, venir ici, un bouquet de fleurs à la main ? Pourquoi aujourd’hui et maintenant ? Je trouve cela très étrange. Jusqu’à maintenant, il se tenait éloigné, alors pourquoi, aujourd’hui ?
Mais je ne me laisserais pas faire, je veux savoir, si ce que Paul m’a dit est vrai. Francine en pince pour moi ! Il va falloir que je retrouve face humaine, et ensuite je passe à l’attaque.
FRANCINE
L’eau dégouline sur mon corps et je me laisse porter par cette sensation de bien-être qui m’envahit. La chaleur détend mes muscles et le bruit de l’eau m’apaise. Je n’ai rien compris à ce qu’il s’est passé tout à l’heure, j’ai eu l’impression qu’Émilien et César avaient des comptes à régler tous les deux, et cette sensation étrange que j’en étais le point de départ. Mais je ne vois absolument pas ce que j’ai peu faire pour les mettre dans cet état.
Le bouquet de roses m’a fait énormément plaisir. C’est le premier que l’on m’offre. Jamais auparavant je n’en avais eu, et il trône bien en évidence sur la table de ma cuisine. De là, je vais pouvoir l’admirer dès que je rentre chez moi. Je souris et me dis que finalement il est bien gentil ce César.
Une fois habillée, je ressors de chez moi, en courant. Le froid me saisit. J’aurais préféré rester dans mon canapé bien au chaud. Mais Émilien a tenu à me préparer à manger, et moi je dois vérifier qu’il prend bien son traitement afin qu’il guérisse le plus rapidement possible. Je ne vais pas tenir longtemps, avec ce rythme de travail.
J’entre chez Émilien sans frapper, je le surprends à se gratter le dos. Je lui fais les gros yeux tout en enlevant ma doudoune.
- Si tu continues, tu vas te retrouver avec la peau trouée. Je vais t'apporter des moufles. Tu verras, ce sera plus pratique.
- Non ! Pas de moufles, c'est pour les gosses ces trucs-là.
Je le fixe, un sourcil levé.
- Ta maladie est une maladie de gosses, espèce de grand bêta.
Il me fusille du regard et grimace de dégout.
- Tu n'es vraiment pas gentille. Je suis malade et tu te moques de moi.
Je soupire, en plus de la maladie il redevient un enfant.
- Je ne me moque pas de toi, il ne faut pas que tu te grattes, c'est tout. Tu as déjà une belle cicatrice sur la figure, tu ne voudrais pas avoir en plus des cratères ?
Je le vois stopper net son geste, une casserole dans la main.
- Tu la trouves moche ma cicatrice ?
À vrais dire, non, elle lui donne un petit air dangereux qui renforce son charme.
- Non, je n'ai pas dit ça.
Son regard me scrute, il a les lèvres pincées. Je soupire encore une fois et essaie de trouver les mots justes pour ne pas le vexer. Mais rien ne me vient.
- Tu sais, la plupart des femmes aiment cette cicatrice, elle la trouve plus tôt sexy.
Le mot sexy me fait rougir instantanément. Je me dandine d'un pied sur l'autre et c'est d'une petite voix que je lui réponds.
- Je ne sais pas si elle est sexy. C'est moi, Francine ta voisine, je ne me suis jamais vraiment posée la question. Mais si tu dis que les autres la trouvent sexy et bien c'est que cela doit être vrai.
Je m'assois précipitamment, mal à l'aise, et surtout j'essaie de détourner la conversation.
- Alors tu nous as préparé quoi à manger ?
Je sens son regard sur moi, comme un vautour autour d'une carcasse. Je ne le regarde pas, je pousse un peu mon assiette, repositionne les couverts, fais glisser mon verre sur le côté, puis me racle la gorge.
- De la soupe de pois cassés, et bien sûr un plateau fromage de chez moi. Il me semble que tu ne les as jamais goutés.
Je relève brusquement les yeux sur lui. Il pose la casserole sur la table, prend une louche et me sers.
- Merci. Et effectivement, je ne les ai jamais goutés.
Bon sang de bon sang, je m'étais juré de ne jamais mettre dans ma bouche quelque chose venant de chez mon voisin. Et voilà que maintenant je vais devoir renier toutes mes convictions. Tout part en cacahuète en ce moment dans ma vie, et je commence à me demander si je vais survivre à ce Noël.
Trois heures plus tard, j'ai ma réponse. Je ne survivrais pas, ou bien c'est Émilien que je vais occire. Encore des coups de poing sur le mur et sa voix qui s'élève.
- Francine, ça gratte et je n'arrive pas à atteindre ceux du dos. Viens, j'ai besoin de toi.
Cela va faire deux fois que je me lève pour ses fichus boutons. La première fois, il ne comprenait pas l'écriture du médecin sur l'ordonnance, et maintenant la pommade. Je ferme les yeux de désespoir, puis soupire. Et de nouveau un coup sur le mur.
- Francine, tu m'as entendu ?
- Oui, j'arrive, une minute.
Je repousse mes couvertures, passe mes pantoufles, puis ma robe de chambre. Je descends à la cuisine, regarde mon thermomètre extérieur, -10 °, un cri de désespoir monte du fond de mes tripes à ma gorge. Et de nouveau ces coups sur le mur.
- Francine dépêche, je deviens dingue.
J'enfile mes bottes, passe ma doudoune et récupère des moufles en angora vert anis pour monsieur gratouille.
- Flocon, tu viens ma puce ?
Ma grosse boule de poil, enroulée, devant la cheminée, ouvre un œil, puis le referme aussi sec.
- Lâcheuse !
J'ouvre la porte et l'air froid me tétanise. Je me précipite au bas des marches et remonte celles d'Émilien. J'ouvre sa porte et la referme précipitamment, mais malgré la rapidité de ma sortie, le froid a réussi à entrer partout en moi.
- C'est toi Francine ?
Non, c'est le pape !
- Oui, c'est moi, j'arrive, soit patient un peu !
Je me déchausse, enlève ma doudoune et je monte les marches qui mènent à l'étage.
- Je suis dans la salle de bain.
Je bifurque et me retrouve devant un Émilien vêtu d'une simple serviette de bain autour des hanches. Quand il me voit, il se tourne et me présente son dos.
- Regarde, il faut mettre de la crème sur les boutons, mais je n'y arrive pas !
Je reste en arrêt devant ce dos parfait parsemé de cloques. Il me tend un tube de crème.
- Tiens, vas-y toi. Je vais finir par devenir fou sinon.
Comme un automate, je prends le tube de crème et me rapproche de lui.
- Fais attention à mes cloques quand tu poses la crème, ne me les éclatent pas.
Je ne dis rien, et je crois que j'en suis complètement incapable. Donc à la place, je hoche la tête. Je presse le tube et pose la pommade sur le bout de mon doigt, puis lentement, je me rapproche de ce dos immense et pose doucement mon doigt sur le premier bouton, face à moi. Mais un hurlement me fait sursauter.
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11 commentaires
Simon Saint Vao
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Il y a 6 ans
Manon Kaljar
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Il y a 6 ans
AlienLikeU
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Il y a 6 ans
maioral
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Il y a 6 ans
Mymy M. *Sakuramymy*
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Il y a 6 ans
Jeanne F.
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Il y a 6 ans
Camille Jobert
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Il y a 6 ans
Jeanne F.
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Il y a 6 ans
Mymy M. *Sakuramymy*
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Il y a 6 ans
Manon Kaljar
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Il y a 6 ans