Fyctia
PREMIERE NUIT
Je me réveille en sursaut le souffle court et le cœur battant la chamade, tout en maudissant Paul, de m'avoir parlé de César.
Maintenant au lieu d’un fantasme ambulant il y en aura deux, qui vont venir s’inviter dans mes rêves. Je me lève toute flagada et passe dans la chambre d’à côté.
Je ne laisse que la lumière du couloir allumée et m’approche d’Émilien à pas de souris. Je me penche et l’observe attentivement. Il n’a pas l’air d’avoir de la fière. Sa figure si masculine et même un peu dangereuse avec cette cicatrice sur la joue, est devenue un brin ridicule entourée de toutes ces cloques d’enfants. Je le regarde, attendrie, il est paisible, ainsi endormi.
Comment était-il enfant ? Je suis persuadée qu’il était le même en plus petit, sérieux, jouant au chef des commandants avec tous ses petits camarades. Cet homme n’a peur de rien, et rien n’a l’air de le perturber. Il me fait penser à un roc inébranlable.
Je lève la main et doucement pose un doigt sur cette trace blanche qui barre sa joue. J’en suis le contour doucement en l’effleurant. J’ai le cœur qui saigne en la suivant, il a dû avoir mal et je ne sais pas pourquoi je n’aime pas cette idée. J’ai l’impression que dans sa vie il a dû se battre pour tout. Il donne cette impression, toujours sur ses gardes, à analyser avec calme toutes les situations qui se présentent.
Même cet été, quand mes petites chipies ont ouvert l’enclos des veaux pour les sauver de l’abattoir et qu’il a fallu courir après les petits bovins toute la nuit.
Il a hurlé, menacé, tourné en rond de l’autre côté de la barrière. Mais il est resté maitre de la situation, alors que moi j’étais paniquée, j’ai eu peur qu’il me frappe, qu’il frappe mes princesses, je ne savais plus quoi faire, me cacher, l’assommer, jusqu’à ce qu’il s’aperçoive de ma terreur. Il s’est brusquement arrêté de crier à pencher la tête sur le côté puis l’ordre à claquer.
- Vous et vos deux démons, avec moi. On doit les trouver et les ramener. S’il reste une nuit dehors, ils vont mourir, ils sont trop petits.
Et nous avons passé la première partie de la nuit à chercher ses bêtes dans les bois alentour. Face à nous, le noir complet, les bruits terrifiants des animaux de nuit nous faisaient sursauter et nous crions, toutes les trois, comme des filles que nous sommes. Pendant que lui, marmonné dans sa barbe. Je pense que mes deux nièces s’en souviendront de cette nuit surréaliste et terrifiante.
Grâce au flair de Satan, nous les avons tous retrouvés. Et c’est en fin de parcours que Monsieur Émilien a réussi à se venger. Près de la ferme, cette petite vermine, a claqué le derrière d’un des bébés, qui s’est emballé, et m’a foncé dessus, résultat des courses, je me suis retrouvée les fesses par terre, mes deux nièces complètement hilares et Émilien fier de lui. Mon postérieur a revêtu une couleur arc-en-ciel durant tout l’été. Et en prime, impossible de m’assoir pendant une semaine. Pour brosser les lapins, cela n’a pas été très pratique. Donc, depuis je me méfie de ses représailles.
J’ai voulu le détester pour cela, mais je le comprenais aussi. Avec tout le travail qu’il avait à faire, chercher des veaux en cavales n’a pas dû être très drôle, surtout, que tout était de ma faute et celle de mes deux chipies. À cinq et six ans, elles sont d’un tempérament aventureux et farceur.
Je soupire et doucement tourne les talons. Je descends boire un verre d’eau à la cuisine, puis remonte me coucher, toujours sans bruit.
Le lendemain, cinq heures trente, je me lève au radar, Satan et Flocon ont dormi dans ma chambre, et ils me sautent dessus dès que je pose un pied par terre.
- OK, je viens. Nous allons manger, mais arrêtez de me bavouiller dessus.
Je les repousse de la main, sort dans le couloir et jette un coup d'œil à Émilien, il dort toujours. Il a l'air vraiment fatigué, je referme la porte pour ne pas le réveiller et descends dans sa cuisine. Je cherche le café en ouvrant tous les placards. Une fois la mission café exécutée, je passe mon blouson et retourne chez moi afin de me changer. Dehors, tout est blanc et la neige tombe toujours en silence.
Je me précipite dans mon antre et je passe une salopette verte et respire un bon coup avant d'entamer ma journée de travail.
Dehors il fait un froid de canard et j'ai du mal à me mettre en route. Je nettoie les cages des lapins, fais sortir ceux que j'ai prévu de brosser aujourd'hui, puis passe du côté des vaches.
Elles sont toujours là, plus paisibles qu'hier, mais toujours aussi perverses.
D'ailleurs, Orageuse vient taper sur la barrière.
- Ne commence pas toi, sinon tu vas en baver aujourd'hui, je te préviens, moi aussi je peux être méchante.
Elle me fixe et se met à meugler, comme pour me répondre.
- Oui, c'est cela, fait la fière. Tu vas voir, si je ne te trais pas, tu vas souffrir, je peux te l'assurer. Alors, mets de côté ton égo et sois gentille avec moi.
Un dernier meuglement de frustration et la voilà partie à l'opposé de moi.
Je souris, fière de moi. Je prends la fourche et commence à distribuer les rations de paille. Puis je rentre dans l'arène et nettoie un peu.
À huit heures, j'arrête et toujours avec mes deux cabots sur les talons, je rejoins la maison. Je me déchausse, enlève ma combinaison et entre chez Émilien. Je sursaute, il est debout au milieu de la cuisine, en caleçon et tee-shirt le corps rempli de cloque rouge.
- Qu'est-ce que vous faites debout ?
- Tu me vouvoies de nouveau ?
Oups, il est vrai que je le trouvais moins intimidant allongé dans son lit à moitié mort, et le tutoiement m'est venu naturellement. Par contre maintenant, en position verticale, il m'impressionne de nouveau.
- Hier, vous étiez mal en point, mais cela a l'air d'aller un peu mieux on dirait. Tu n'as plus de fièvre ?
Il me montre une chaise, puis pose une tasse à café devant.
- Pain, beurre et confiture, cela te va ?
Qu'est-ce qu'il se passe ? Il est tout gentil d'un seul coup. Je m'assieds doucement et l'observe. Il a encore des cernes sous les yeux, mais il a l'air d'aller plus tôt bien.
- Oui, merci. Tu n'as plus de fièvre ?
- Encore un peu, mais c'est bon. Par contre, j'ai envie de me gratter en permanence.
Je glisse mon regard, le long de son corps, et constate qu'en plus des cloques il a un corps d'homme parfait. Hier soir, en le déshabillant je ne l'ai pas vraiment regardé, mais aujourd'hui en plein jour, mes yeux en profitent.
Je hoche la tête et prends ma tasse entre mes mains gelées.
- Je vais aller te chercher ce qu'il faut pour les démangeaisons. Par contre prend du doliprane pour la fièvre. Je vais te donner des moufles, pour ne pas que tu te grattes. Ma mère m'en avait mise quand j'ai eu la varicelle. C'était plutôt efficace.
- Des moufles ? Hors de question que je me balade avec ça au bout des bras.
- Dis, tu ne serais pas un de ces malades qui fait tourner en bourrique tout son entourage par hasard ?
Il hausse les épaules.
- Je ne sais pas, c'est la première fois que je suis malade.
6 commentaires
Nicolas Bonin
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Il y a 6 ans
kleo
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Il y a 6 ans
Catherine kakine
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Il y a 6 ans
Camille Jobert
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Il y a 6 ans
AlienLikeU
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Il y a 6 ans
Mymy M. *Sakuramymy*
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Il y a 6 ans