Jeanne F. FRANCINE ET EMILIEN A LA FERME LES REMORDS

LES REMORDS

Ce sont des coups sur la vitre qui me font réagir.


César me fixe, inquiet.


- Tu vas bien ?


Je baisse la vitre et lui envoie un pauvre sourire.


- Oui, tout est OK.


- Tu sais, je ne peux pas l’arrêter, il n’a rien fait. Mais si tu veux je peux l’enfermer en salle de dégrisement pour cette nuit ! je pourrais dire qu’il a trop bu ! Mais en échange, toi et Céline vous arrêtez de pleurer.


César est trop gentil comme gendarme. Et avec son uniforme, il en jette. Il ne ressemble pas du tout "aux gendarmes de Saint-Tropez". Il est grand, les cheveux châtain clair, son œil affuté de gendarme pétille toujours. Nous avons le même âge tous les deux, et je me sens bien avec lui. Il me rassure. D’ailleurs, rien qu’à le voir, je me calme doucement et ses paroles se frayent enfin une place jusque dans mon cerveau.


- Céline pleure ?


Il hoche la tête gravement.


- Paul me dit qu’en ce moment elle est à fleur de peau. Il pense que sa grossesse lui rappelle de mauvais souvenirs. Elle a peur de perdre encore une fois le bébé.


Un sentiment de culpabilité vient m’assaillir, et les larmes se remettent à couler sur mes joues.

Je suis une amie horrible. Je ne vois que mon propre malheur et pas le sien. Céline doit être terrorisée et moi je fais des histoires pour un marché de Noël. Je me sens ridicule et minable en cet instant.


- César, merci d’être venue, mais je dois y aller. Et je suis désolée pour tout ce que j’ai fait.


Il secoue la main.


- Tu voulais sauver ton amie, je trouve cela admirable. Mais tu devrais l’appeler pour discuter de ce qu’il vient de se passer.


- Je le ferais, mais il faut que je rentre, j’ai besoin de réfléchir à tout cela.


- Ok, comme tu voudras. Tu sais que je suis là moi aussi, si tu veux en parler.


Il me regarde sérieusement et je sais que je peux compter sur lui.


- Oui, je sais. Mais je dois juste dormir, je suis fatiguée, j’y verrais plus clair demain.


Il hoche la tête, les sourcils froncés.


- Je passerais te voir demain soir.


J’opine de la tête, trop lasse pour l’en dissuader.


- D’accord, je t’offrirais un café. Je te ferai de la tarte au citron si tu veux.


Un large sourire éclaire son visage.


- Si tu me dis cela, je vais te demander en mariage un de ces quatre matins.


Sa plaisanterie me fait sourire et c’est le cœur un peu plus léger que je repars chez moi.


Il y a très peu de personnes au courant de mon passé. Il y avait blanche, mon ancienne voisine, puis Mauricette, la mère de Céline, et bien sûr Céline. Il y a aussi César. C’est lui qui est venu m’annoncer que mon père était sorti de prison plus tôt que prévu. Au lieu des dix ans prononcés, il n’en a fait que cinq. Un lamentable gâchis, cette histoire.


En tuant ma mère, il nous a tués moi et ma sœur du même coup. Nous nous sommes retrouvées du jour aux lendemains orphelines. Avec cette impression étrange que notre père était un monstre, un tueur sanguinaire. Mais cet autre sentiment coupable que malgré tout nous l’aimions, il était notre père et le seul parent qu’il nous restait. De cette période funeste, j’en garde des sentiments confus et difficiles à analyser. Je déteste mon père, il nous a rejeté ma sœur et moi, un soir de Noël, en même temps qu’il a ôté la vie à ma mère.


Pendant toutes ces années, il n’a donné aucune nouvelle. Même après sa sortie de prison, il nous a effacées de sa vie. Je ne veux pas forcément le voir, mais, mon cœur de petite fille aurait aimé qu’il essaie de me retrouver, juste pour avoir l’impression d’être aimé par lui. Mais rien, je sais qu’il a refait sa vie, qu’il a des enfants, une femme et sûrement une maison.


Je ne comprendrais jamais comment, en ayant fait ce qu’il a fait, il peut encore respirer et être heureux. Moi je n’y arrive pas. Les hommes me font peur et je n’arrive pas à leur faire confiance. À vingt-huit ans, je suis toujours célibataire et n’ai jamais laissé approcher un seul homme. Ma sœur plus petite que moi, ne te rappelle pas vraiment cette période, et tant mieux pour elle. Grâce à cela, j’ai deux petites nièces que j’adore. Mais pour moi, je sais que cela n’arrivera jamais. Aucun homme n’aura la patience de m’apprivoiser, je suis trop compliquée dans ma tête. Moi-même, j’ai du mal à faire le tri, alors si un homme devait partager ma vie, il n’y comprendrait rien.


Dès que je sens une situation de violence envers moi, mes gestes de survies refont surface. Je deviens petite souris, comme avant. Je rase les murs, et je vais me réfugier dans mon lit sous mes couettes. Et j’attends sagement, les yeux fermés, et le souffle court que l’orage passe.


Toute à mes réflexions, je ne remarque qu’au dernier moment que je me trouve devant chez moi. Je coupe le moteur, et soupire un grand coup. Il va falloir que j’appelle Céline. Je vais le faire le marché de Noël. Peut-être que cela me fera du bien. Je dois le voir comme une sorte de thérapie, un moyen d’affronter mes peurs.


C’est le cœur un peu plus léger que je rentre chez moi, ou Flocons m’attend avec impatience. Après mettre rafraichi, je passe voir les lapins. Tout le monde va bien. Je rentre les poules pour la nuit, puis après avoir tout contrôlé j’éteins et m’apprête à rentrer chez moi.


C’est, à ce moment-là, que j’entends les vaches du voisin meugler nerveusement. Je jette un coup d’œil de l’autre côté de la clôture, mais tout est fermé et bien en place, les lumières sont éteintes. Il n’est pas dans les parages. D’ailleurs, c’est étrange, d’habitude à cette heure, il est avec ses bêtes pour la traite. Je vais vérifier si sa voiture est toujours là. Elle est bien à sa place habituelle sous l’abri en bois. Tout cela est étrange. Aujourd’hui, c’est le jour des bizarreries.


Je n’y pense plus jusqu’à ce que je m’apprête à appeler Céline et Paul pour m’excuser sur le coup, des vingt et une heure, quand Satan, de l’autre côté de la cloison se met à hurler à la mort.


Ce chien je le déteste. Car, bien sûr sa dulcinée, Flocon se met elle aussi à hurler à la mort, enfin elle essaie, car cela s’apparente plus à un aboiement un peu plus long que d’habitude.


J’attends un peu, mais Émilien n’a pas l’air de faire taire son chien. Je scrute par les fenêtres à la recherche de vie extérieure. Mais rien, toujours, aucune lumière dans la grange, ni autour d’ailleurs. L’inquiétude commence à monter en moi. Ce n’est vraiment pas normal que Satan soit à l’intérieur alors que son patron n’est apparemment pas chez lui.


- Vient flocon, nous allons zigouiller ce clébard de malheur.


Je prends ma grosse veste en laine et sors dans la nuit d’encre. À côté, pas un bruit, pas une seule lumière. Et toujours Satan qui hurle à la mort et qui maintenant se met à gratter à la porte. Il va finir par y faire un trou s’il continue.


Je descends mes marches pour remonter celles d’Émilien. Devant la porte, je suis indécise. Si je le réveille, je lui dis quoi ? Ne dis pas de bêtise Francine avec le raffut que fait ce chien, cela m’étonnerait qu’il dorme, ce cher voisin.


Je frappe une première fois, puis attends.

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11 commentaires

Nicolas Bonin

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Il y a 6 ans

C'est très bien mené.

Simon Saint Vao

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Il y a 6 ans

Rebondissement

Faye-lana.m

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Il y a 6 ans

J'aime bien ton histoire, tu as de très bonnes idées et ton style est accrocheur. Une pointe d'humour sans pour autant délaisser le caractère un peu plus "dramatique" qui se révèle un peu plus au court des derniers chapitres. En résumer je trouve que tu offres de la crédibilité à ton récit en le rendant "vrai" par certains détails du quotidien en construisant tout de même un univers original à tes personnages. L'histoire d'amour que tu projette est à la fois prévisible mais attendu avec impatience.

AlienLikeU

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Il y a 6 ans

Dur dur son passé

Jeanne F.

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Il y a 6 ans

Merci. Tu vas voir sa vie va se compliquer, et l'esprit de Noël va la percuter de

Catherine kakine

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Il y a 6 ans

J'adore ... Qu'est ce que tu m'as fait rire ... C'est génial .... Gare d'avoir la suite

Jeanne F.

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Il y a 6 ans

Un message comme je les aime, qui re-booste la fibre de l'écriture. Heureuse que cette histoire te plaise. Je passe sur la tienne demain.

kleo

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Il y a 6 ans

Je pense qu il est arrive quelque chose a ce pauvre Emilien.... petit retour donc Comme toutes tes histoures, j adore ton style, tes dialogues sont frais et me font bien sourire. Tu reussis toujours a nous maintenir en haleine sur ton histoire si bien que nous sommes déçus lorsqu il n y a plus de chapitres. Ton ecriture est fluide... bref tu as un veritable talent et je suis une de tes fans Alors continue ainsi et vite la suite !!!!!!

Mymy M. *Sakuramymy*

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Il y a 6 ans

Ohhhh c est horrible ce qu'il s'est passé avec son père ! Et je veux savoir ou est son voisin :O il n'était deja pas dans son assiette dans le précédent chapitre :O

Jeanne F.

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Il y a 6 ans

Merci d'être passée me lire. En espérant que la suite te plaise.
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