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SOUVENIRS SOUVENIRS
- Gendarmerie de Formiguère, bonjour, que puis-je pour vous ?
- César ? C'est moi Francine. Il y a Paul qui séquestre Céline.
- Francine ? C'est quoi encore, que cette histoire ?
- Je te dis que Paul séquestre Céline, je viens de l'avoir au téléphone et elle pleurait. Je te jure. Je file la rejoindre, on se retrouve là-bas.
Je vais pour raccrocher, mais je l'entends qui me dit.
- Attends, tu paniques pour rien, on parle de Paul là !
- Oui, et alors. De toute façon, moi j'y vais. S'il y a un mort et que tu ne viens pas, ce sera de ta faute.
Et je raccroche, tout en me précipitant sur titine. Elle démarre au quart de tour et je dévale le chemin, à fond les gamelles. Je me demande comment je n'ai pas fini dans le décor.
Un quart d'heure plus tard, me voilà devant la maison de mon amie. Je saute de ma voiture et fonce tête baissée dans la maison.
- Céline ? Tu es où ?
Une voix masculine me répond, tranquillement.
- Dans sa chambre, elle se repose.
Je tourne la tête, et, que vois-je, Paul et César, en train de discuter le bout de gras, une bière à la main. La moutarde me monte au nez.
- Tu ne l'arrêtes pas ?
César secoue la tête et avale sa gorgée.
- Non, pas la peine.
- Comment ça, pas la peine ? C'est un dangereux kidnappeur. Il a fait pleurer Céline.
- Elle pleure parce qu'elle est enceinte, et que les hormones, ça fait pleurer pour rien.
Je serre les dents et monte les escaliers quatre à quatre, jusqu'à sa chambre. J'entre comme une possédée, le souffle court, et prête à la sortir de ce mauvais pas.
Je la trouve couchée, dans son lit, le visage triste et apeuré.
- Saperlipopette, je vais le tuer.
Elle sursaute, et me regarde complètement perdue.
- Pourquoi as-tu appelé la gendarmerie ? Tu es folle ou quoi ?
Là, c'est moi qui suis perdue.
- Tu pleurais et tu m'as dit qu'il te séquestrait !
Puis, d'un coup, elle passe de perdue à euphorique, elle arbore un sourire de compétition.
- Tu es trop mignonne, tu voulais me sauver ?
- Eh bien oui !
- Tu es une super copine, je t'aime, ma Francine. Viens ici, il faut que nous parlions toutes les deux.
Je m'approche d'elle, pas très rassurée. Ce n'est pas la gendarmerie que j'aurais dû appeler, mais un exorciste.
Je m'assieds sur le bout du lit et attends.
- Paul veut que je ne fasse rien jusqu'à l'accouchement, il ne veut pas que je travaille. Tu comprends, la dernière fois cela s’est mal passé, alors il veut mettre toutes les chances de notre côté.
- Je comprends, il a raison. Tu dois te reposer.
Elle hoche la tête, un demi-sourire aux lèvres.
- Je ne pourrais pas faire les marchés ce Noël, il me l'interdit.
Là, c'est la douche froide pour moi. Je réfléchis à toute vitesse, afin de trouver des arguments percutants à lui donner.
- Mais enfin, ce n'est pas travailler, les marchés. Et puis si tu ne les fais pas, on fait comment ?
- C'est ce que je lui ai dit. Mais, rester debout pendant des heures ce n'est pas indiqué dans mon état ! Je suis désolée, Francine.
Je ne sais plus quoi répondre, je réfléchis à une solution acceptable pour tout le monde.
- Paul peut le faire, il est plutôt mignon et c'est un bon vendeur, j'en suis sûre.
Elle secoue la tête au désespoir.
- Le marché est le soir, et il y a les bêtes à s'occuper. Il ne sera libre qu'à partir de vingt heures. Il va falloir que tu sois courageuse, et que tu fasses les marchés pour cette fois. Paul pourra venir te remplacer en fin de soirée si tu veux.
Je me mets à secouer la tête moi aussi au désespoir.
- Non, non, non, hors de question, je ne peux pas. La période de Noël j'hiberne, je ne pourrais pas supporter tout le tralala qui va avec. Je m'occuperais des bêtes le soir, et même dans la journée, s'il le faut.
- Et tes lapins, tu t'en occuperas quand ?
- La nuit, je m'en occuperais la nuit. J'en suis capable.
Céline me fixe, puis vient me prendre les mains.
- Ma chérie, je sais que cette période est difficile pour toi, mais tu ne sauras pas t'occuper de la traite des bêtes, et tout ce qui va avec. Le plus simple c'est que tu t'occupes du marché en début de soirée, c'est tout. Paul viendra dès qu'il le pourra, je te le promets.
Je la regarde, terrifiée. Moi, sur un marché de Noël, avec cette ambiance si particulière qui vous colle au corps. Les chants ridicules, les sapins qui clignotent de mille feux, les gens qui sourient niaisement. Tout cela ce n'est absolument pas pour moi. Cette ambiance va venir détruire le peu d'équilibre qu'il me reste dans la vie, et surtout faire remonter à la surface des souvenirs que je veux oublier.
- Francine, nous n'avons pas le choix. Il va falloir que tu prennes sur toi, ma chérie. Fais-le pour moi, pour le bébé. S'il te plait.
Mon esprit s’est mis en alerte et essaie de bloquer les milliers de souvenirs qui essaient de refaire surface. Ma mère et son sourire, le sapin qui clignote dans le coin du salon. J'ai même son odeur si particulière qui me revient aux narines. Il ne faut pas que j'y repense, il ne faut absolument pas que je laisse faire.
Et ma décision est prise, il est hors de question que je fasse ce maudit marché de Noël. Céline se débrouille comme elle veut, mais je n'irais pas. Moi j'ai fait tous ceux de cet été, maintenant c'est à son tour. Je me lève brusquement du lit et arrache mes mains de celle de ma traitre d'amie.
- Hors de question, je ne peux pas. Débrouille-toi, mais c'est ton tour. Alors, tu fais comme tu veux, mais moi je ne veux rien savoir.
Et je me précipite sur la sortie, honteuse de moi, mais surtout terrifiée de ce qu'il se passe à l'intérieur de moi. Une peur immense m'envahit, et mes vieux réflexes refont surface. Je rase les murs du couloir, comme une petite souris, sans bruit. Puis descends les marches tout aussi silencieusement. À l'étage, j'entends Céline m'appeler, me supplier. Mais je suis en mode survie. Il faut que je retourne dans mon antre, mon abri.
Arriver au bas des marches, Paul m'intercepte, lui aussi à l'air perdu.
- Francine, tu vas bien ? Quelque chose ne va pas ? Tu es toute pâle.
César, aussi c'est levé et attends.
- Je te préviens, je ne veux rien savoir. J'ai fait les marchés cet été, alors c'est votre tour. Tu n'avais pas qu'à la mettre enceinte. C'est de ta faute. Mais je ne ferais pas les marchés, hors de question.
Je ne sais pas si je suis cohérente, mais à le voir, je pense qu'il vient de comprendre et son visage se crispe de colère.
- Tu n'es pas sympa Francine. Tu devrais te réjouir pour ton amie au lieu de lui reprocher de bousculer tes petites habitudes. Tu es vraiment dégelasse.
Je le pousse et passe devant lui sans le regarder.
- Peut-être, mais c'est comme ça. Tu te débrouilles comme tu veux. Mais je ne fais pas les marchés de Noël.
Je cours pour arriver à la voiture et une fois à l'intérieur, une barrière se brise en moi et je me mets à pleurer. Les souvenirs affluent sans que je ne puisse les retenir. Ma mère au sol, le sang, les cris, puis ce silence funeste.
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Nicolas Bonin
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Simon Saint Vao
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Camille Jobert
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Il y a 6 ans