Fyctia
LE VOISIN 1
- La guerre est déclarée ?
Je sursaute, et relève la tête vers la voix que je connais que trop bien, celle de mon voisin. Il est sur sa terrasse, assis sur une chaise, les pieds sur la table basse, et une tasse à café entre les mains. Quelle idée de prendre le froid sur sa terrasse en plein mois de décembre ! Il me fixe le regard interrogateur. Et soudain, je me rappelle qu'il m'a demandé quelque chose.
- Pardon ?
De la tête, il désigne ma voiture, puis mes provisions.
- Vous faites l'écureuil ? Vous en avez un sacré paquet de provisions.
Non, mais de quoi il se mêle celui-là ? Je vais pour lui répondre, quand il se lève soudain, le regard colérique et paniqué.
- Vos monstres de nièces vont venir pour Noël, c'est pour cela les provisions ?
Les bras toujours chargés de mes deux sacs de plomb, mon sang se met à bouillir littéralement. Je fais craquer mon cou, respire à fond et entre en guerre.
- Premièrement, mes princesses ne sont pas des monstres. Deuxièmement, ce que je fais ne vous regarde absolument pas, et troisièmement allez vous faire voir chez les antilopes à queue plate.
Je le vois lever les yeux au ciel et ricaner.
- Encore avec vos métaphores à deux balles. Je vous signale que des antilopes à queue plate n'existent pas et surtout pas ici au cœur de nos forêts pyrénéennes.
Je pince les lèvres et lui lance un regard de tueuse.
- Peut-être que des antilopes, ici, il n'y en a pas, mais des queues plates je n'en serais pas si sûre que cela.
Puis, je le fixe droit dans les yeux, un sourire moqueur au coin des lèvres.
Il devient rouge pivoine, ses poings se serrent et sa mâchoire se contracte.
- Vous êtes complètement folle ! Je ne sais pas pourquoi j'essaie encore de communiquer avec vous !
Il se détourne et s'apprête à regagner son antre. Avant qu'il ne disparaisse, je lui crie.
- Je ne vous ai rien demandé moi ! Et sachez que je n'ai absolument pas envie de communiquer avec vous sous quelques formes que ce soit.
Sa porte claque violemment et je me retrouve toute seule, mes deux sacs, à bout de bras. Mes mains me font mal et je passe ma porte et les jette sur le sol du salon. Me confronter à lui m’épuise, et il n’est que onze heures du matin.
Le rangement des courses fini, je me précipite vers mon hangar. J’ai besoin de m’occuper l’esprit et les mains. Je traverse la cour enneigée et je pénètre dans mon refuge. Une douce odeur de foin me prend dans ses bras. L’enclos libre est toujours occupé, et mes petits pensionnaires s’ébattent librement. Tous les jours, par groupe de dix, je sors des cages mes petits lapins, afin qu’ils puissent courir et sortir de leurs cages. J’aime les voir sauter, courir et s'ébattre.
- Alors, les lapinous, comment allez-vous aujourd’hui ?
Seul le silence me répond, mais je sais qu’ils m’écoutent avec attention.
- Je viens de rencontrer le voisin en personne. Je l'ai traité d'antilope à queue plate, vous auriez été fier de moi !
Je m’approche de l’enclos et récupère Cassis, un lapin angora blanc. Il gesticule dans tous les sens.
- Calmos, mon grand, nous allons au brossage, après, je te laisserais tranquille. Ne t’inquiète pas.
Je le serre un peu plus fort contre moi, je le caresse, et le calme revient doucement entre lui et moi. Je me dirige vers le fond du hangar et entre dans ma pièce des papouilles, comme je l’appelle.
D’une main, j’insère un CD de musique.
- Alors, Cassis, aujourd’hui, classique, pour calmer les nerfs, cela te va ?
Je le soulève à bout de bras pour l’embrasser sur le bout du nez. Il me regarde de son regard rouge, sans doute se dit-il que je suis folle à lier. De toute façon, les gens me prennent pour une folle, à parler avec mes lapins, mais ce sont les seuls êtres vivants avec lesquels je peux communiquer depuis la mort de ma voisine blanche.
Je m’installe dans mon fauteuil, prends une brosse et coince Cassis sur mes cuisses.
- Bon, tu es prêt ? Je commence.
Et tout en le maintenant fermement, je commence à le brosser doucement. Je récupère petit à petit son poil si précieux pour moi. Les touffes douces et blanches s’accumulent pour former un petit nuage de douceur au creux de mon panier.
Je continue ma journée ainsi, entre brossage et musique douce, ou bien plus rythmée, suivant qui je brosse.
Mes petites boules de poils sont toutes différentes, certaines, comme Cassis aime la musique classique, d’autres un peu plus téméraires, apprécient la salsa, d’autres le rock. Mes lapinous sont tous différents, et je veux qu’ils se sentent le mieux possible, car de leur bien-être dépend mon bien-être à moi. Je vis de la qualité de leurs poils, que je revends à des grossistes en poils et laines en tout genre. J’en garde une partie pour moi que je file et tricote en pulls, gants, bonnets, écharpes et autres.
Je les revends sur les différents marchés locaux. Cet été, j’ai même ouvert mon exploitation à la visite et c’est avec fierté que j’ai pu apprendre à toute une classe de maternelle comment un beau et gentil lapin pouvait, s'il était entouré d’amour, nous fournir une laine douce, chaude et d’une couleur incomparable.
D’ailleurs, en parlant de marchés, il va falloir que j’appelle Céline, pour lui rappeler de passer prendre mon petit stock. Puisque je ne sors pas pendant les fêtes, elle se propose de vendre mes produits, en même temps que les siens. Elle est dans les brebis, le fromage, le yaourt, le lait. En cette période de Noël, le chiffre réalisé est important pour moi comme pour elle. Alors, il ne faut surtout pas louper cette période essentielle pour le chiffre d'affaires de nos exploitations. En échange, je fais les marchés pour elle l'été, pendant la période des rentrées des foins.
Je ne regagne mon antre que vers la fin de la journée, quand la nuit a tout envahi et que les cimes des montagnes se dessinent parmi les étoiles. Je resserre mon anorak autour de moi et presse le pas. Les meuglements des vaches de mon voisin se font entendre. La lumière est allumée et les portes entrouvertes. Je le vois qui gesticule en tous sens, une pelle à la main. Je ne l'aime pas beaucoup, mais je dois reconnaitre que son exploitation est propre comme un sou neuf. Il est tout le temps en train de nettoyer, brosser et son élevage ne sent pas aussi fort que certaines exploitations. La paille est changée régulièrement et dès qu'un brin de soleil apparait, il laisse paitre ses bêtes dans le champ derrière le hangar. L'été, quand elles sont au pâturage, cet endroit est passé au karcher et au désinfectant.
Je m'arrête pour le regarder. Cet homme m'intrigue au plus haut point. Il y a deux ans, il a hérité de sa tante Blanche, et a décidé de venir s'installer ici. À l'époque je l'ai pris pour un fou, mais force est de constater qu'il se débrouille plus tôt bien.
17 commentaires
Nicolas Bonin
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Il y a 6 ans
Simon Saint Vao
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Il y a 6 ans
maioral
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Il y a 6 ans
Faye-lana.m
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Camille Jobert
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Jeanne F.
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Mymy M. *Sakuramymy*
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Jeanne F.
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Il y a 6 ans