Fyctia
L'HIVERNAGE 2
Une heure trente plus tard, je ressors de ce cube sans fenêtre, lessivée, et rackettée de la moitié de ma paye, mais heureuse d'en avoir fini. Tout en enfournant le contenu de mon caddy dans le coffre de mon 4X4, je coche ma liste afin d'être sûre de ne rien avoir oublié. Là où je vis, je ne peux pas me permettre le moindre oubli, surtout en cette période funeste de Noël. La vérification faite, je ferme le coffre et pousse un gros soupir. Maintenant, direction la poste. Dernière étape de mon calvaire.
Deux cartons et un nombre incalculable de papiers remplis, je paie l'envoi dans un soupir de contentement. Ma sœur se chargera d'emballer le tout dans de jolis papiers colorés qui finiront en petit morceau dès le matin de Noël passé.
Maintenant, direction mon chez-moi et mon havre de paix. Je souris tendrement en pensant à ma petite maison, mes animaux, et fronce les sourcils, quand je me rends compte de tout le travail qu'il me reste à faire aujourd'hui. J'enclenche la première, qui passe dans un craquement sinistre et j'appuie sur l'accélérateur. Cette brave titine me tient compagnie depuis mes dix-huit ans. Je me la suis achetée avec l'héritage de maman, alors j'y tiens énormément. Mais je ne sais pas pourquoi, elle est de plus en plus fatiguée la pauvre. J'essaie de la préserver, mais, son ronronnement me cris grâce, et malgré tout mon amour pour elle, je sens qu'un de ces jours, elle va me réclamer de partir en retraite, de la remplacer par un véhicule plus moderne, plus jeune, comme celui de mon voisin, un truc énorme, sur roue, qui vrombit sa puissance quand la mienne vrombi de désespoir.
Chaque fois que j'entends le bruit régulier et bien huilé de ce monstre, j'ai envie de lui crever les pneus, mais je me retiens, difficilement, je dois l'avouer. Nous sommes deux à habiter cette ferme, et personne d'autre à des kilomètres à la ronde, personne d'autre à accuser de ce méfait, donc, impossible d'échapper aux représailles qu'il ne manquerait pas de me faire subir. Et en matière de représailles, je dois reconnaitre qu'il est plutôt fort. Mes fesses s'en souviennent encore.
Mais arrêtons de penser à lui en conduisant, je vais finir dans le décor ou bien me faire arrêter pour excès de vitesse. Je regarde ma vitesse quatre-vingt-dix en ville, de la folie ! Je me calme, et me force à respirer doucement, ne plus penser à lui, ne surtout plus penser à lui. J'allume le radio et une musique douce envahit les enceintes. Ha, de la douceur, dans ce monde brutal, ou père Noël et lutins vont régner en maitre pendant un mois.
Mais, je déjoue toutes les ruses des lutins et autres rênes à clochettes, je vais vivre en autarcie pendant toute cette période et je ressortirais heureuse et indemne de tout ceci, jusqu'à l'année prochaine bien sûr.
Je suis une guerrière, une habituée de la chose, depuis que j'ai dix ans je combats le mal, et que j'arrive a effacé cette période de ma vie. Sauf, bien sûr, le premier de chaque décembre. Et cela à cause de ce petit morveux de beau-frère, qui a mis ma petite sœur enceinte de mes adorables princesses.
Une Heure plus tard, me voilà arrivée au croisement, je mets mon clignotant et tourne sur le chemin boueux et enneigé qui serpente doucement vers mon chez-moi. De chaque côté des paysages blancs et purs, indemnes de pas, de routes ou autres nuisances technologiques.
Ce chemin je l'adore, il change de visage tous les jours, l'été envahi par les herbes vertes, l'automne rabougri et gelé, l'hiver blanc et cotonneux et le printemps piqueté de millier de couleurs différentes.
Je passe devant la petite forêt de sapins qui garde l'entrée de la propriété, le panneau annonçant l'existence de vie me guide doucement. "Laine de Francine – œuf frais" Cet écriteau, c'est moi qui l'ai fait avec mes nièces il y a quelques années. Je vois encore leurs petites mains colorées entourant le panneau de bois. Chaque fois que je le vois, une bouffée d'amour m'envahit. Je les aime ces deux petites pestes. Parce qu'elles sont peut-être mignonnes, mais ce sont de véritables diablesses en culottes courtes. Ma sœur me dit que j'ai une mauvaise influence sur elles, n'importe quoi. Je leur fais aime ce que j'aime et détester ce que je déteste, style mon voisin.
D'ailleurs, je passe devant son panneau à lui "Fromagerie Émilien – du bon, du bio, du goût", c'est un parfait crétin ce type. Son panneau est à son image, plastifié et industrialisé. Ces fromages, c'est de la crotte, son lait, du pipi de chat, ses confitures du caramel trop dur. Bon, je reconnais, je n'ai absolument pas gouté ses produits, c'est une question d'éthique. Hors de question de se rabaisser a goûté la concurrence et encore moins ces produits à lui. Tout est parfait chez lui, tout est à sa place, rien ne traine, je suis même certaine que ses bêtes doivent lui faire le salut militaire tous les matins en rangs bien rangé et sans bruit. Pendant que mes lapins font les fous à me rendre chèvre. Vilains jeux de mots, je sais, mais c'est l'effet qu'il me fait, je n'y peux rien.
Au détour du chemin, la ferme apparait divisée en deux par une clôture en bois, il y a ma partie à gauche et sa partie à droite. En fait au départ, il y avait une seule et même ferme. Jusqu'à ce que les frères Rabaillot se disputent et coupent l'héritage en deux parts égales. Donc, officiellement, j'ai acheté la partie gauche, et je devais avoir la partie droite à la mort de Blanche Rabaillot, mais ce type est arrivé de nulle part, un neveu éloigné, ancien militaire dans les forces spéciales (traduction, les fous du ciboulot) et il a décidé de reprendre l'exploitation, coté droite. Vous me direz, comme dans la pub twist gauche et trick droit ? Eh bien oui, pareil !
Et cela dure depuis deux ans. Je l’entends vivre à quelques centimètres de moi. La cloison qui sépare la maison est aussi fine que du papier. Je l’entends se doucher, il doit sûrement m’entendre lui aussi, pareil pour la chasse des toilettes, quand il descend les escaliers, quand il cuisine… Etc. Une seule chose nous différencie, les parties de jambes en l’air, il en a, moi pas. En ce moment, il est à fond dans la politique, il se tape la femme du maire. Une femme un peu dépressive, un peu ennuyeuse et surtout avide d’aventure autre que son mari. Quand je vois sa voiture garée sur le chemin, je rebrousse chemin et vais m’enfermer dans le grenier de la grange à foins, entre deux ballots, je bouquine en attendant que monsieur ait fini de tirer son coup. Les bruits au début c’est rigolo, mais à la longue cela devient un tantinet énervant.
Je gare titine devant chez moi, et je descends prudemment. L'air frais me saisit et l'odeur de la nature mouillée me titille les narines. Tout sourire, je contourne la voiture et ouvre le coffre afin de le vider. Je prends un sac dans chaque main et commence à monter les trois marches qui me séparent de la chaleur de mon antre.
- La guerre est déclarée ?
Je sursaute, et relève la tête vers la voix que je ne reconnais.
17 commentaires
maioral
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Il y a 6 ans
Faye-lana.m
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Il y a 6 ans
ElisaM40
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Il y a 6 ans
Camille Jobert
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Il y a 6 ans
Jeanne F.
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Il y a 6 ans
Mymy M. *Sakuramymy*
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Il y a 6 ans
Jeanne F.
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Il y a 6 ans
AlienLikeU
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Il y a 6 ans
AlienLikeU
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Il y a 6 ans
Jeanne F.
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Il y a 6 ans