Fyctia
Chapitre 11 (1/2)
Chapitre 11 - Fracture dans la réalité
La nuit semblait peser sur lui, compacte, épaisse, une matière invisible qui engluait l’air. Les phares de la voiture découpaient la route en tranches de lumière froide, mais à la lisière du faisceau, tout semblait indistinct. Flou.
Étienne consulta l’horloge de bord.
20h12.
Une chape invisible s’abattait sur lui, pesante. Il conduisait en silence, les doigts crispés sur le volant, le regard sur la route, mais son esprit flottait ailleurs, à la dérive dans un maelström mental. Chaque battement de son cœur semblait résonner dans sa tête, un compte à rebours invisible, un écho sourd et lancinant qui martelait son crâne à un rythme irrégulier.
Un instant plus tard, son regard revint sur l’horloge.
19h05.
Il cligna des yeux. Un bug ? Il l’avait mal vue ?
Il n’aurait pas dû être là. Il le savait. Tout en lui hurlait de faire demi-tour, de rentrer chez lui, d’oublier cette sensation diffuse qui rampait sous sa peau. Il n’aurait pas dû retourner sur cette scène de crime, pas après ce qui s’était passé au commissariat. Mais quelque chose l’y poussait, une angoisse viscérale, un vertige insidieux qui s’accrochait à lui avec une intensité grandissante. Une sensation d’inachèvement, une note suspendue dans le vide, incomplète, faussement muette. Il devait comprendre. Il devait vérifier.
La rue était déserte quand il arriva, noyée dans un silence opaque qui semblait trop profond, trop artificiel. Pas un souffle de vent. Pas un bruit. Pas même le murmure lointain d’une voiture sur une avenue adjacente. L’immeuble se dressait devant lui, l’éclairage terne des lampadaires, sa façade lépreuse striée d’ombres mouvantes, lui donnaient une allure irréelle. Les fenêtres, sombres et closes, renvoyaient son propre reflet trouble, déformé par la condensation sur le pare-brise. Le cordon de sécurité barrait toujours l’entrée, tendu entre les montants de la porte, immobile, intact. Une tension vibrait sous la surface. Une infime dissonance, imperceptible mais bien réelle, s’insinuait en lui.
Il coupa le moteur, resta un instant immobile, les mains agrippées au volant, il espérait que quelque chose, n’importe quoi, le dissuade de sortir. Une intuition, un frisson instinctif que son esprit rationnel refusait d’écouter. Il ferma les yeux, prit une inspiration lente, contrôlée, puis ouvrit la portière. L’air extérieur était glacial, en contradiction totale avec l’étouffement de l’habitacle. Un choc thermique qui accentua le malaise.
Ses pas résonnèrent sur le bitume, creux, nets, l’espace autour de lui était vidé de toute substance. Son regard glissa sur la façade du bâtiment, examinant chaque détail avec une minutie absurde. Rien ne semblait différent. Pourtant, son estomac se tordait d’un pressentiment qu’il ne pouvait expliquer.
Il gravit les escaliers lentement, retenant son souffle sans s’en rendre compte. Chaque marche grinçait sous son poids, amplifiant l’étrange impression d’être observé, suivi. Arrivé devant la porte de l’appartement, il hésita. L’espace d’une seconde, il se demanda si quelqu’un, de l’autre côté, ne l’attendait pas. Il posa la main sur la poignée, perçut la légère fraîcheur du métal contre sa peau moite.
Puis il poussa la porte.
L’instant où elle pivota sur ses gonds, une sensation brutale s’empara de lui. Une anomalie flottait dans l’atmosphère. Il ne savait pas encore quoi, mais il le sentait jusque dans ses tripes. Un léger déséquilibre dans l’espace, une altération infime mais indiscutable, qu’il connaissait pourtant par cœur.
Il inspira lentement, traversant le seuil avec précaution. L’odeur du renfermé, mêlée aux relents d’alcool et de tabac froid, flottait toujours, mais avec une différence imperceptible. Moins âcre. Moins présente. Quelqu’un, ou quelque chose, avait tenté de l’effacer sans y parvenir totalement.
Son regard balaya la pièce. Chaque ombre, chaque détail, lui semblaient familiers et, pourtant, étrangers à la fois. Un paradoxe dérangeant. Les meubles étaient là, disposés comme l’autre nuit… enfin, presque. Il fronça les sourcils. Non. Il y avait un décalage, une variation infime dans leur position. Il scruta la pièce, cherchant ce qui détonnait. Puis il le vit.
Le fauteuil.
Face à lui. Comme s’il l’attendait.
Il était tourné vers la télévision. Il en était sûr.
Quelqu’un l’avait déplacé.
Ou pire encore…
Quelqu’un s’y était assis.
Une sueur froide. Il n’avait jamais été du genre à imaginer des changements là où il n’y en avait pas. Pourtant, une fissure insidieuse s’élargissait dans son esprit.
Il s’avança d’un pas, hésitant, et posa les yeux sur la table. Le verre de whisky était toujours là, dans cette scène, un artefact oublié.
Mais il n’était plus rempli de la même quantité.
Un détail.
Minuscule.
Infime.
Suffisant pour que son estomac se noue en un réflexe instinctif.
Il fixa le liquide ambré, cherchant dans sa mémoire une certitude qui lui échappait. Avait-il réellement noté ce détail ? Était-il certain de ce qu’il voyait ? Ou son esprit commençait-il à trahir ses propres perceptions ?
Il recula d’un pas, son souffle s’accélérant malgré lui. L’impression de flottement s’intensifia, la réalité elle-même se distordait autour de lui. Il avait besoin d’un point d’ancrage, quelque chose de tangible, une preuve indiscutable que ce qu’il voyait était bien réel.
C’est à cet instant précis qu’elle surgit dans son champ de vision.
L’arme.
Un revolver.
Posé là, à quelques centimètres du verre.
Il se figea, la nuque raidie par un mélange de stupeur et d’appréhension pure.
Il était certain qu’elle n’était pas là.
Une fraction de seconde, il eut l’impression que l’air autour de lui se contractait, l’espace lui-même retenait son souffle. Il observa l’arme posée sur la table.
Et une seconde plus tard… elle n’était plus là.
Il cligna des yeux, secoua la tête. Son regard revint sur la table.
Elle était revenue.
Exactement au même endroit.
Il n’avait pas rêvé.
Mais alors… comment ?
Et pourquoi ce revolver était-il là maintenant ?
Soudain, on frappa à la porte, deux coups secs, précis, résonnant dans le silence.
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