David.J FRACTURE Chapitre 11 (2/2)

Chapitre 11 (2/2)

Un frottement dans le couloir, léger, discret, un souffle d’air s’engouffrant sous une porte mal fermée.

Etienne pivota puis ouvrit la porte.

Un homme, la quarantaine, vêtu d’une veste usée, un bonnet élimé enfoncé sur la tête. Des traits tirés, une maigreur maladive, des cernes creusées par des nuits sans sommeil.

Son regard, fuyant, troublé, hanté.

Étienne le reconnut immédiatement.

Le témoin du troisième meurtre.

Celui qui lui avait parlé d’une silhouette étrange rôdant devant l’immeuble.

Un crispation lui hérissa la peau. Il sentit une pression invisible lui étreindre la poitrine, comme si l’air autour de lui devenait plus dense.

— Vous ? souffla-t-il, en s’approchant lentement. Qu’est-ce que vous faites ici ?

L’homme ouvrit la bouche… mais aucun son ne sortit.

Ses lèvres tremblèrent, sa gorge sembla se nouer sur des mots qu’il n’arrivait pas à formuler.

Étienne plissa les yeux. Une lueur indéfinissable passa dans le regard du témoin—de l’hésitation, de la peur, quelque chose d’autre encore.

— Vous m’aviez dit que vous aviez vu quelqu’un cette nuit-là, insista-t-il, sa voix plus ferme, plus pressante. Cette personne, vous la connaissiez ?

Un silence.

L’homme déglutit, secoua lentement la tête.

— Non… je… je crois que non.

— Vous croyez ?

L’homme passa une main tremblante sur son visage, comme s’il tentait d’effacer quelque chose d’invisible, une sensation désagréable, un souvenir incertain.

— J’ai… j’ai un doute, murmura-t-il enfin. J’ai l’impression que… que je me suis oublié.

Une alarme s’activa dans l’esprit d’Étienne.

— Expliquez-moi.

L’homme recula d’un pas, le regard fuyant, l’attitude nerveuse. Ses doigts crispés sur les manches de sa veste usée.

Il ouvrit la bouche une dernière fois. Mais ce ne fut pas une voix qui en sortit. Juste… un souffle, une expiration arrachée.

— Je… j’ai vu quelqu’un. J’en suis sûr. Mais maintenant… maintenant, je me demande si ce n’était pas moi qui…


Il m’a dit…


Il s’interrompit net.

Il vacilla.

Son regard changea.

Puis, dans un murmure étouffé, comme s’il parlait à lui-même :

— Non… il est déjà là.

Une fraction de seconde. Un battement de cils.

Puis…

Il n’y avait plus rien.

Pas un bruit.

Pas un mouvement.

L’espace qu’il occupait une seconde plus tôt était vide.

Le souffle d’Étienne se bloqua.

Un mur de glace s’abattit sur sa conscience.

Impossible.

Son regard balaya la pièce, fébrile, à la recherche d’une trace, d’un indice, de quelque chose.

Mais il n’y avait rien.

Aucune trace.

Aucun bruit.

Il ferma les yeux. L’espace d’un instant, il se raccrocha à cette idée que peut-être, il avait simplement rêvé.

Mais lorsqu’il les rouvrit…

Le silence l’enveloppait toujours. L’appartement était de nouveau vide.

Il l’avait vu. Il lui avait parlé.

Et maintenant, il n’existait plus.

Mais quelque chose n’allait pas. Les murs semblaient… plus proches ?

La lumière du lampadaire dehors… était-elle plus faible ?

Non. Tout était identique. Exactement identique.

Trop identique.

Un vertige le frappa, brutal, implacable. Il recula instinctivement, sa jambe heurtant violemment la table basse derrière lui.

Son souffle devint erratique.

La panique s’immisça en lui, comme une ombre rampante, une présence sourde qui s’enroulait autour de ses os, de ses nerfs, de son esprit.

Son cœur battait trop vite.

Ce n’était pas réel.

Ça ne pouvait pas être réel.

Un vrombissement sourd résonna dans ses tempes.

Il recula encore, jusqu’à heurter le mur.

Son téléphone vibra brusquement.

Le bruit lui arracha un sursaut violent. Il sortit l’appareil d’une main tremblante.

Un message.

Numéro inconnu.

Ses doigts crispés glissèrent sur l’écran.

“Vous commencez à comprendre, mais vous n’êtes pas encore prêt.”

Et là, il remarqua un détail.

Le message avait été envoyé il y a une heure.

Avant même qu’il ne revienne ici.

Un vertige le prit.

Son regard remonta lentement vers la table.

Le verre de whisky avait disparu.

Le revolver aussi.

Il ferma les yeux, cherchant un point d’ancrage dans cette réalité qui semblait lui échapper. Il inspira profondément, tenta de rassembler ses pensées éparses.

Il sentit un frémissement derrière lui.

Ce n’était pas une présence. C’était un vide. Une faille qui l’absorbait tout entier.

Il essaya de fuir. Son corps refusa.

Une ombre passa à travers lui, lui traversant la colonne vertébrale. Il suffoqua, incapable de bouger, une brûlure invisible perforant ses tempes. Un murmure lointain s’infiltra dans son crâne.

Il n’était plus seul dans son propre corps.

Une pression.

Un poids.

Un souffle, juste là, contre sa nuque.

Il voulut crier. Sa gorge était muette.

Un flash lui transperça le crâne. Une douleur fulgurante. Écrasante.

Le silence. Une bulle oppressante. Une chape de plomb sur sa conscience.

Étienne flottait dans le vide, l’esprit engourdi, fragmenté.

Plus de voix.

Plus rien.

Le noir.

Son corps se contracta brutalement.

Une onde implosa dans son crâne. Un fracas muet. Il était aspiré hors de lui-même.

Quelque chose lui arrachait l’âme.

Il suffoqua.


Flash.

Un bruit mécanique. Un bip, lointain.


Flash.

L’odeur du cuir.


Flash.

Un volant sous ses doigts.


Il ouvrit les yeux.

La route défilait sous ses pneus.

Il était en train de rouler.

Sa respiration s’emballa, saccadée, incontrôlable. Ses doigts tremblaient sur le cuir du volant.

Non. Impossible.

Il était debout. Il y a une seconde.

Dans cet appartement. Face à une scène qu’il essayait encore de comprendre.

Comment… ?

Ses mains sur le volant lui semblaient étrangères, dirigées par une volonté qui n’était pas la sienne.

Un haut-le-cœur le prit.

Il lâcha le volant un instant, son corps reculant violemment contre le dossier du siège.

La voiture dériva légèrement.

Un crissement.

Il agrippa le volant de justesse et le ramena droit, ses mains moites glissant sur le cuir.

— Putain…

Ses mains ne lui répondaient plus tout à fait. Elles avaient gardé une mémoire propre, une inertie qui ne lui appartenait pas.

Il inspira, profondément.

L’odeur du cuir, de la nuit froide. De la sueur. Trop réelle. Trop familière.

Mais pas la sienne.

Ses yeux affolés balayèrent l’habitacle. C’était bien sa voiture. Son vieux cabriolet. Son manteau froissé sur le siège passager.

Il scruta le pare-brise, tentant de reconnaître la rue. Mais tout était flou.

Un regard au rétroviseur.

Son propre reflet lui renvoya l’image d’un homme au bord de la rupture.

Pupilles dilatées. Peau livide.

Il eut une bouffée de chaleur. L’impression d’être hors de lui-même, de voir son propre corps conduire sans comprendre comment il était arrivé là.

Puis, son regard glissa sur le paysage nocturne.

Un panneau défila.

Rue Lambert.

Un goût de métal lui envahit la bouche.

Comme un souvenir trop ancien.

Il connaissait cette rue.

Il savait ce qui l’attendait là-bas.


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