David.J FRACTURE Chapitre 10 (2/2)

Chapitre 10 (2/2)

Chapitre 10 - Le Black-out


Quelqu’un qui venait de découvrir quelque chose qu’il n’aurait jamais dû voir.

David s’approcha lentement, précautionneusement. Comme s’il avançait vers un homme au bord d’un précipice.

Étienne sentait la chaleur de son regard sur lui, pesante, intrusive. Chaque pas que son collègue faisait résonnait dans l’espace entre eux, trop net, trop précis, le silence autour s’était vidé de toute substance.

David tendit une main, posa doucement ses doigts sur son épaule, un contact léger, mais étrangement ancré dans la réalité.

— Étienne, il faut que tu…

Un flash.

Une onde déchira son crâne. Une douleur fulgurante. Écrasante. Une explosion silencieuse à l’intérieur de lui.

Il hurla. Mais aucun son ne sortit.

Le temps se dilata.

David n’avait pas bougé.

Ou alors… il avait déjà parlé ?

Sa voix flottait encore dans l’air, trop lente, un disque rayé.

L’instant se fragmenta.

Une fraction de seconde s’étira en une éternité oppressante.

Puis un néon explosa.

Et le monde bascula.

Le commissariat se tordit autour de lui.

Les murs se déplaçaient.

Un pas en avant… et il n’était plus au même endroit.

Son corps se rétracta en lui-même, comme aspiré vers l’intérieur.

Et au même instant, il vit. Juste derrière David. Une présence qui ne devrait pas être là.

Une silhouette, floue, figée entre deux battements de néon. Pas une ombre. Pas un reflet. Autre chose. Une entité qui le regardait.

Puis… plus rien.

Le néant.

Le silence absolu, épais, étouffant.

Un souffle.

Lent.

Lointain.

Où était-il ?

Depuis combien de temps ?

La lumière du néon éventra l’obscurité, projetant des ombres nettes sur les murs. Une lueur blanche, artificielle, qui agressait ses rétines comme une brûlure.

Il sentit son propre corps avant d’ouvrir les yeux.

Un poids sur sa poitrine. Un fourmillement dans ses doigts. Une impression d’être suspendu entre deux états, coincé entre le réel et quelque chose d’autre.

Le battement résonnait dans son crâne. Un écho. Implacable. Lointain, mais omniprésent.

Un battement qui n’était peut-être pas le sien.

Il cligna des paupières.

Une fois.

Deux fois.

Le monde se précisa lentement autour de lui.

Un bureau.

Pas le sien.

Puis il vit.

Une tasse de café fumante sur la table.

Quelqu’un était encore là… il y a une minute.

Le bois du meuble était usé, marqué par le temps et par les pressions successives de mains anonymes. Les murs, eux, étaient lisses. Stériles. Comme si aucun souvenir n’avait jamais eu le droit de s’y accrocher.

Une odeur persistait dans l’air.

Un mélange de papier vieilli, d’encre séchée… et quelque chose d’autre.

Qu’il n’arrivait pas à nommer.

Quelque chose de chimique.

Son souffle s’accéléra légèrement.

Il ne savait pas comment il était arrivé ici.

Ni combien de temps il était resté assis à cette place.

Il baissa les yeux.

Ses doigts tremblèrent légèrement lorsqu’ils effleurèrent le bois froid de la table.

Des papiers.

Éparpillés devant lui.

Des dossiers qu’il ne reconnaissait pas.

Son cœur rata un battement.

Et au milieu d’eux…

Un feuillet froissé.

Sa propre écriture.

Il sentit son estomac se nouer.

L’encre était noire, légèrement baveuse, elle n’avait pas eu le temps de sécher correctement.

Des mots griffonnés en bas de la page.

“Ne lui fais pas confiance.”

Et une adresse.

C’était celle du troisième meurtre.

Mais il ne se souvenait pas l’avoir écrite.

Il ne se souvenait même pas avoir eu un stylo en main.

Comment était-ce possible ?

Ses phalanges se crispèrent sur le papier.

Il l’avait écrit.

Il le savait.

Même s’il ignorait quand.

Même s’il ignorait pourquoi.

Sa respiration se fit plus courte, plus erratique.

Il sentit une vague remonter en lui.

Un sentiment ancien. Primal.

Un instinct qu’il avait enterré depuis longtemps.

L’instinct.

Ce papier… cette adresse…

C’était une direction.

Un message qu’il s’était laissé à lui-même.

Une réponse.

Ou un piège.

Le néon projeta une ombre mouvante sur le mur.

Étienne ferma les yeux.

Une fraction de seconde, il eut l’impression que le sol basculait sous lui.

Que son propre corps n’était plus entièrement là.

Une sensation de chute sans mouvement.

Son cœur cogna plus fort contre sa cage thoracique.

Une main invisible pressa sur sa nuque, glaciale, intrusive.

Un murmure lointain, presque inaudible.

Peut-être une illusion.

Peut-être un souvenir.

Il inspira profondément.

Lentement, il se leva.

Ses jambes étaient plus lourdes qu’elles n’auraient dû l’être. Son dos protesta, raideur familière mêlée à une tension plus profonde, plus ancienne. Il resta un instant debout, vacillant légèrement, avant de retrouver son équilibre.

Le papier était toujours là, froissé, trempé de sueur, serré dans sa main.

Il ne savait pas où il allait.

Pas vraiment.

Mais il devait comprendre.

Et surtout…

Il devait savoir s’il était toujours en train de rêver.

Ou si le cauchemar avait franchi la barrière du sommeil.

Il fit quelques pas dans le bureau vide. Derrière lui, les néons grésillaient encore, seul témoin de son hésitation. Le silence lui collait à la peau.


Il s’arrêta près du mur, là où son manteau était accroché. Le tissu lui sembla plus lourd qu’à l’habitude, il avait absorbé la fatigue des jours précédents. Il l’enfila sans y penser, machinalement, les gestes ralentis.

Puis… il scruta l’adresse griffonnée dans sa main.

Les lettres semblaient trembler à la lumière blafarde, comme si elles cherchaient à s’effacer d’elles-mêmes.

Ses doigts se crispèrent autour du papier.

Une voix en lui criait de faire demi-tour. Une voix familière, rationnelle, qui lui rappelait qu’il y avait peut-être encore moyen de revenir en arrière, de ne pas franchir la ligne.

Mais ses pas le portèrent malgré lui vers la sortie.

Il traversa le couloir vide, passa devant la salle d’interrogatoire éteinte, longea les bureaux désert. Tout était mis en veille. Même le temps semblait hésiter à suivre.

Il s’arrêta, l’espace d’une seconde, juste devant la porte du commissariat.

Son regard glissa un instant sur la vitre, où son reflet, pâle, paraissait flotter dans l’obscurité du couloir derrière lui. Ses traits semblaient tirés d’un autre visage. Il n’était plus tout à fait sûr d’être lui-même.

Ses doigts effleurèrent la poignée froide.

Pas encore.

Juste une seconde de plus.

Dehors, la ville semblait suspendue, calme artificiel avant l’orage. Un calme trompeur, trop propre, trop lisse.

Puis il poussa la porte.

Un coup de vent glacé balaya la rue. L’air nocturne s’engouffra dans ses poumons, aussi tranchant qu’un rasoir. Il inspira malgré lui, comme on se jette à l’eau.

Le bruit lointain d’une sirène, des phares qui glissent sur les murs, un volet qui claque au loin. Tout semblait trop net. Trop présent.

Ne pas savoir.

C’était ça, le pire. Ce vide entre les faits, ce battement qui échappe à la logique.

Il devait le constater de ses propres yeux.

Il devait savoir ce qui l’attendait là-bas.

Étienne avança jusqu’à la voiture, s’installa derrière le volant. Resta un moment sans bouger. Le silence pesait.

Puis il mit le contact.

Il démarra quand même.

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