David.J FRACTURE Chapitre 10 (1/2)

Chapitre 10 (1/2)

Chapitre 10 - Le Black-out


Le retour au commissariat fut un choc.

Dès qu’Étienne franchit le seuil, une chape invisible s’abattit sur lui. Il s’arrêta un instant, inspira profondément, mais cela ne changea rien. La pression était là, collée à sa peau, imprégnée jusque dans sa cage thoracique.

Au loin, un téléphone sonnait. Un son lointain, étouffé, quelqu’un avait oublié de décrocher. Il tourna la tête. Les bureaux étaient vides. Mais la sonnerie continuait.

Les néons grésillaient faiblement, projetant une lumière blême sur les murs. D’habitude, il n’y prêtait plus attention. Mais en cette fin d’après-midi, chaque flash semblait étrangement distordu, une faille prête à s’élargir. Les ombres s’étiraient avec la lumière déclinante, mouvantes, presque vivantes.

Son bureau était toujours le même. Papier en désordre, dossiers éparpillés, tasse de café à moitié vide. Une routine figée dans le temps. Pourtant, une vibration ténue résonnait en lui. L’espace autour de lui paraissait plus étroit.

Il se passa une main moite sur le visage, chassant la sueur à sa tempe. Son cœur battait trop vite, cognant dans sa poitrine. Un grondement sourd vibrait dans son crâne.

Il tenta de rationaliser. Stress, fatigue. Mais au fond de lui, il savait : quelque chose clochait.

Il serra les poings. Son corps entier était sous tension, chaque muscle prêt à réagir à une menace invisible.

Un bruit sec résonna derrière lui. Il sursauta violemment.

Une chaise venait de bouger de quelques centimètres sur le carrelage, raclant le sol dans un crissement désagréable.

Personne ne l’avait touchée.

Personne n’était là.

Ses tripes se contractèrent.

L’air était trop calme.

Ses doigts frôlèrent un document… qu’il ne reconnut pas. Sa propre écriture y figurait pourtant. Une note griffonnée. Mais il n’avait aucun souvenir de l’avoir écrite.

Il leva les yeux et croisa le regard de David, assis à son bureau, non loin du sien. Les traits tirés, des cernes profondes sous ses yeux d’un gris terne. La fatigue était évidente. Il y avait autre chose. Quelque chose d’insondable.

Un reflet indéfinissable dans son regard.

Un instant d’hésitation, imperceptible.

De l’inquiétude ?

Ou autre chose…

David ouvrit la bouche… puis ne parla pas immédiatement.

Il inspira. Lentement. Mais il n’avait pas l’air de respirer.

Pas de gonflement de sa poitrine. Pas de mouvement perceptible.

Le bruit de son souffle n’était qu’un enregistrement.

Un silence. Une attente. Il devait chercher ses mots.

Mais il savait déjà ce qu’il allait dire, non ?

Ses doigts tapotèrent contre sa cuisse, un tic nerveux qu’Étienne ne lui connaissait pas. Une fraction de seconde plus tard, il croisa son regard et stoppa immédiatement ce geste.

Un battement de cœur.

Assez pour qu’Étienne sente une alarme exploser dans son esprit.

Ce silence.

Cette pause.

Un détail infime, presque insignifiant, mais qui réveilla en lui une méfiance viscérale.

Il effleura son propre visage d’une main fébrile, comme pour s’assurer qu’il était toujours là.

Mais cette sensation… Ce vertige…

Quelque chose n’allait pas.

Quelque chose allait basculer.

— Étienne, tu dérailles.

La voix de David, calme, posée, s’éleva entre eux comme une barrière invisible.

Mais elle sonnait faux.

Pas d’accusation. Pas de colère.

Juste une tentative maîtrisée. Un effort pour le ramener à la raison.

Et pourtant…

Il y avait autre chose dans cette voix.

Un doute.

Une retenue.

Une prudence.

Son regard restait ancré dans le sien, immobile, mais agité d’une tension contenue.

David avait peur.

Pas seulement pour Étienne.

Mais de lui.

— Dis-moi que tu te rends compte à quel point c’est insensé, reprit David, sa voix plus tranchante cette fois. Dis-moi que tu vois bien que tout ça… ça n’a jamais existé.

Les mots explosèrent dans l’esprit d’Étienne comme un coup de tonnerre.

Ça n’a jamais existé.

Il eut l’impression que le sol se dérobait sous ses pieds.

Un vertige le prit, sournois, insidieux, s’insinuant dans ses os comme une maladie qu’il n’arrivait pas à identifier.

Ses oreilles bourdonnaient sous la pression.

Chaque battement de son cœur résonnait contre sa cage thoracique, cognant en rafales irrégulières, désordonnées.

Il était en train de se briser.

Le commissariat entier tanguait autour de lui, les murs s’éloignaient, se rapprochaient, distordus, trop grands, trop étroits, l’espace lui-même hésitait à rester cohérent.

Les néons au plafond grésillaient.

Trop vifs. Trop violents.

Leurs faisceaux perçaient son crâne comme des lames brûlantes, tranchant ses pensées en morceaux incohérents.

Des flashs.

Une rue déserte.

Des corps mutilés.

Des visages sans nom.

Il vacilla, serra les poings.

Un combat invisible se livrait en lui, une lutte absurde contre une force qui voulait l’engloutir, l’arracher à tout ce qu’il croyait être vrai.

— Je me souviens, souffla-t-il d’une voix tremblante, mais déterminée.

Ses propres mots lui semblèrent irréels.

Comme s’il parlait dans le vide.

Comme si sa voix ne lui appartenait plus.

David recula imperceptiblement.

Une fraction de seconde.

Une tension s’insinua dans les traits de son collègue. Son regard changea.

Furtivement. Subtilement.

Mais il changea.

Un éclat d’incompréhension.

Un doute.

Ou pire encore… une peur qu’il tentait de dissimuler.

— Tu es le seul à t’en souvenir, Étienne.

La phrase tomba.

Comme un couperet.

Comme un verdict.

Un frisson le parcourut, glacé, terrible.

— Le dossier n’existe pas.

Il ouvrit la bouche, incapable de formuler la moindre réponse.

— Le commissaire dit que tu hallucines.

Non.

C’était impossible.

Ses souvenirs… Il les voyait encore. Clairs. Nets. Réels.

Tout était réel.

Ça devait être réel.

Il refusait d’accepter le contraire.

— Renard dit que…

— Ne prononce pas son nom !

Le hurlement lui échappa.

Brutal. Instinctif.

Un rugissement animal, viscéral.

Une bête acculée qui refusait de mourir.

La pièce entière sembla frémir sous l’écho de sa voix.

Un silence tomba, compact, opaque, irréel.

Étienne sentit une douleur sourde exploser dans son crâne.

Une pulsation implacable.

Un battement profond, fort, intense.

Une vague de chaleur, oppressante, irrespirable.

Une fièvre qui lui brûlait les tempes.

Une pression invisible l’écrasa, lui broya le crâne tel un étau trop serré.

Tout s’embrouillait.

Les contours de la pièce ondulaient.

Comme un mirage dans la chaleur.

Comme une illusion déformante.

Le visage de son collègue…

Il s’effaçait.

Devenait flou.

Trop lisse.

Trop artificiel.

Une anomalie dans un décor qui n’aurait jamais dû exister.

L’air vibra autour de lui.

Un bourdonnement lointain, impossible à localiser, s’insinua dans chaque recoin du commissariat

Une fréquence basse.

Étrange.

Un son que personne d’autre n’entendait.

La gravité elle-même sembla vaciller.

Son corps bascula légèrement en avant, sans qu’il ne comprenne pourquoi.

Une faille dans le réel.

David…

David recula encore.

Son regard…

Son regard n’avait plus rien d’amical.

Il ne voyait plus en lui un collègue.

Il voyait un homme au bord de la folie.

Ou pire encore…



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1 commentaire

NohGoa

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Il y a 4 jours

Like de fin de concours : merci pour tout !
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