Fyctia
Chapitre 9 (3/3)
Chapitre 9 - L’entretien avec Renard
— Vous insinuez quoi ? Que je suis comme eux ? Que je suis… malade ?
Sa voix avait claqué comme un fouet, plus dure qu’il ne l’aurait voulu. Mais Étienne sentait qu’il était au bord d’un précipice.
Et Renard… Renard se tenait juste là, au bord du gouffre, l’attendant avec une patience infinie.
Un silence, pesant, maîtrisé.
Puis un sourire infime, presque imperceptible, effleura les lèvres du psychiatre.
— Malade ? Non.
Son ton était trop posé, trop sûr de lui.
— Mais vous avez déjà vu les premiers signes.
Il s’approcha légèrement, réduisant l’espace entre eux avec une aisance troublante.
— Vous sentez que quelque chose ne tourne pas rond.
Un battement.
— Que certains détails… ne collent plus avec votre mémoire.
Le cœur d’Étienne se contracta.
— Que votre monde, lentement, s’effrite à des endroits que vous ne pouvez pas encore voir.
Un frisson glacé lui parcourut l’échine.
Il aurait voulu rétorquer, contredire cette idée absurde.
Mais il ne pouvait pas.
Parce que Renard venait de mettre des mots précis sur une peur informe qui le hantait depuis des jours.
Cette sensation fugace que tout semblait… décalé.
Des visages qu’il reconnaissait sans en être sûr.
Des lieux qui lui paraissaient familiers, mais légèrement différents.
Des souvenirs qui lui échappaient alors qu’ils auraient dû être gravés dans sa mémoire.
Une fissure invisible.
À peine perceptible… mais grandissante.
Les pupilles d’Étienne se contractèrent.
Il savait.
Renard savait.
Le psychiatre se redressa avec un calme implacable, chaque phrase qu’il prononçait n’était pas une hypothèse… mais une vérité qu’il assemblait pièce par pièce sous les yeux d’Étienne.
Puis il avança.
Un pas lent.
Mesuré.
Presque prédateur.
Étienne eut un mouvement de recul instinctif, imperceptible, mais suffisant pour que Renard l’interprète.
— Ce que vous vivez, inspecteur, souffla-t-il d’une voix presque douce, c’est le début d’une vérité que vous avez toujours refusé d’admettre.
— Arrêtez vos conneries !
La voix d’Étienne déchira l’air.
Il sentait son propre corps se tendre, chaque muscle en alerte, chaque nerf à vif.
— Ce sont juste des coïncidences.
Il s’efforçait de mettre de l’ordre dans le chaos.
— Des erreurs informatiques.
Sa propre voix lui semblait distante.
— Des dossiers mal archivés.
Il serra les dents.
— Rien de plus.
Son regard s’accrocha à celui de Renard.
— Rien de plus.
Il voulait y croire.
Il devait y croire.
Parce que si ce que Renard sous-entendait était vrai…
Si ce monde pouvait se fissurer…
Si ses souvenirs eux-mêmes pouvaient être altérés…
Alors tout ce qu’il pensait être sa vie…
N’était peut-être qu’un mensonge.
Renard l’observait toujours, avec cette étrange tranquillité, un homme qui savait déjà comment cette conversation allait se terminer.
Un sourire presque… triste flottait sur ses lèvres.
— Continuez de vous convaincre, si cela vous rassure.
Sa voix était plus douce cette fois.
Presque… compatissante.
— Mais posez-vous cette question, inspecteur…
Un silence.
Un silence lourd.
Un silence qui pesait comme une lame prête à tomber.
— Et si la vérité était plus grande que votre enquête ?
Les murs du bureau semblèrent se resserrer.
L’air devint plus dense, plus lourd.
Le tic-tac feutré de l’horloge résonna, un glas.
— Vous êtes impliqué dans ces meurtres, lâcha enfin Étienne, la mâchoire crispée, d’une façon ou d’une autre, vous êtes au centre de tout ça.
Il s’attendait à une protestation.
À un sourire moqueur.
À une réplique acerbe.
Mais Renard… soupira.
Un soupir lent.
Fatigué.
Presque… avec lassitude.
— Si seulement c’était aussi simple.
Un frisson remonta la nuque d’Étienne.
Ce n’était pas une négation.
Ce n’était pas un mensonge.
C’était… autre chose.
Quelque chose de pire.
Son crâne pulsa violemment.
Trop de doutes.
Trop d’incertitudes.
Trop de fissures dans sa propre réalité.
Il devait sortir d’ici.
Reprendre le contrôle.
— Cette conversation n’est pas terminée, grogna-t-il en tournant les talons, la mâchoire serrée, les nerfs à vif.
Un pas.
Deux.
Le battement sourd de son cœur résonnait dans ses oreilles.
Puis…
Un murmure.
Presque imperceptible.
Mais il l’entendit pourtant distinctement.
— Vous ne vous souvenez pas encore…
Tic.
L’horloge s’arrêta net. Plus un bruit. La pièce elle-même retenait son souffle.
Renard sourit. Lentement.
— Mais ça viendra.
Le temps se suspendit.
Une fraction de seconde.
Juste assez pour que tout vacille.
Juste assez pour que le doute devienne insoutenable.
Étienne se leva, ajusta machinalement sa veste et, sans un mot, prit la direction de la porte.
Il la referma violemment derrière lui, son souffle court, son cœur battant un peu trop fort.
Un instant, il resta là, le regard vide, cherchant un point d’ancrage dans une réalité qui lui échappait peu à peu.
Puis il posa sa main sur son front, essayant d’endiguer la migraine lancinante qui lui vrillait les tempes.
Il ne savait plus quoi penser.
Il ne savait plus ce qui était vrai.
Il ne savait plus où s’arrêtaient les souvenirs… et où commençaient les illusions.
Mais une certitude le frappa de plein fouet.
Une pensée sourde, implacable, qui s’insinuait en lui.
Un venin lent.
Il n’était plus sûr de rien.
Et Renard… savait pourquoi.
1 commentaire
NohGoa
-
Il y a 8 jours