Fyctia
Chapitre 9 (1/3)
Chapitre 9 - L’entretien avec Renard
L’angoisse collait à la peau d’Étienne comme une seconde ombre, étouffante et oppressante, toujours là, tapie dans un coin de son esprit. Depuis qu’il avait poursuivi un suspect à travers des ruelles désertes avant de se retrouver brusquement ailleurs, sans aucun souvenir du moment où tout avait basculé, une seule idée le hantait : il perdait pied avec la réalité.
Ce n’était pas un simple trou de mémoire. Pas une simple absence.
Quelque chose lui échappait.
Quelque chose l’effaçait.
Il tenta une fois encore de reconstituer les événements. Une image floue lui revint… puis s’éclipsa aussitôt, effacée d’un geste invisible, insaisissable. Sa langue racla son palais asséché, un goût métallique en fond de gorge. Il ne savait plus s’il devait blâmer la fatigue, le stress ou quelque chose de plus insidieux.
Et s’il y avait une personne capable de lui apporter des réponses, une seule, c’était bien le Dr Victor Renard.
Son esprit était un puzzle éclaté, un amas de pièces qui refusaient de s’emboîter.
Et Renard détenait peut-être la clé.
Étienne se tenait devant la porte de son cabinet. Les contours rugueux de la façade, marqués par l’usure et le passage des ans, lui donnaient l’impression d’un lieu oublié, préservé d’une époque révolue.
La plaque gravée indiquait simplement Dr Victor Renard – Consultation privée, comme si le psychiatre tenait à préserver une certaine distance entre lui et ses patients.
Il hésita une seconde. Une fraction de trop.
Sa main se referma sur le bois froid.
Son cœur battait un peu trop vite, un peu trop fort. Une pulsation sourde martelait ses tempes. Il ne savait pas pourquoi il était nerveux.
Il inspira profondément et frappa.
Un bruit feutré, un mouvement derrière la porte. Une poignée qui tourne.
Puis, la voix grave et posée de Renard résonna, tranchant l’air comme une lame parfaitement affûtée :
— Entrez, Inspecteur. Je vous attendais.
Il n’avait pas pris de rendez-vous.
Et pourtant, Renard savait qu’il viendrait.
La voix du docteur était posée, neutre, teintée d’une étrange douceur calculée.
Étienne entra, franchissant le seuil avec réticence, un poids invisible s’accrochait à ses épaules. La porte se referma doucement derrière lui, dans un léger claquement qui résonna plus fort qu’il n’aurait dû.
L’air était différent ici.
Trop épais. Trop lourd.
La chaleur de la pièce était presque oppressante, en complet décalage avec le froid mordant de l’extérieur. Étienne sentit immédiatement cette sensation étrange, ce contraste artificiel qui donnait à l’endroit un parfum d’irréalité.
La lumière du jour filtrait à travers les stores, projetant des bandes pâles sur les murs. Au lieu d’adoucir l’atmosphère, elle semblait accentuer une tension latente, sculptant des ombres nettes et changeantes sur le sol. Celles-ci s’allongeaient et se déformaient au gré des mouvements imperceptibles de l’air, donnant à la pièce une étrange impression de vie.
Son regard balaya l’espace autour de lui.
Les bibliothèques massives, hautes jusqu’au plafond, regorgeaient de livres parfaitement alignés, d’une rigueur presque militaire. Pas un seul volume ne semblait déplacé, pas une couverture ne dépassait. Une perfection clinique, obsessionnelle.
Un léger parfum de bois ciré flottait dans l’air, enveloppant la pièce d’une odeur rassurante, domestique. Mais derrière cette façade ordonnée, une autre senteur, plus insidieuse, s’infiltrait lentement dans ses narines.
Du tabac froid.
Étienne plissa les yeux.
Pourquoi cette odeur persistante ?
Un détail. Infime.
Mais dans ce contexte, il prenait une ampleur démesurée.
Il sentit ses muscles se tendre imperceptiblement. Un sentiment familier. Celui d’être sur une scène de crime avant même qu’un meurtre ne soit commis.
Lentement, il avança, mesurant chacun de ses pas, absorbant chaque centimètre de la pièce.
Les fauteuils de cuir brun, patinés par le temps mais entretenus avec un soin méticuleux.
L’horloge ancienne au tic-tac feutré, régulier, presque hypnotique.
Le bureau massif, en acajou, couvert de dossiers soigneusement empilés. Trop soigneusement.
Étienne sentait le regard de Renard peser sur lui. Il leva lentement la tête.
Le psychiatre était déjà là, immobile, l’observant d’un œil affûté, comme un médecin scrutant un patient dont il connaissait déjà le diagnostic.
Un homme sûr de lui. Un homme qui contrôle.
Un prédateur qui attend son heure.
Étienne sentit une sueur froide lui glisser entre les omoplates.
Il ne savait pas encore ce qu’il était venu chercher ici.
Mais Renard, lui, semblait déjà connaître la réponse.
— Vous avez l’air fatigué, inspecteur.
Une phrase anodine. Presque bienveillante.
Mais dans ce décor saturé d’ombres mouvantes et de non-dits, elle tomba tel un couperet. Une porte invisible qui se refermait lentement, inexorablement, derrière lui.
Renard le scrutait toujours avec ce sourire énigmatique, une lueur d’amusement dans les yeux, il savourait à l’avance les réactions de son interlocuteur. Comme si chaque mot qu’il allait prononcer n’était qu’un écho d’une conversation qu’il avait déjà entendue, encore et encore.
— Vous avez des questions, supposa-t-il avec une douceur feinte, inclinant légèrement la tête.
Pas une vraie question.
Une affirmation.
Un jeu où il connaissait déjà toutes les réponses.
1 commentaire
NohGoa
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Il y a 16 jours