David.J FRACTURE Chapitre 8 (1/2)

Chapitre 8 (1/2)

Chapitre 8 - Le premier bug visible


Une chape d’humidité étouffante s’accrochait aux façades des immeubles, imbibant les murs et rendant l’air poisseux, saturé d’une tension invisible, suspendu dans l’attente de quelque chose d’indicible. Tout semblait figé, la ville elle-même retenait son souffle, engluée dans une torpeur oppressante.

Étienne gara sa voiture un peu plus loin que la fois précédente, par instinct, par précaution. Un choix dicté par quelque chose de primal, un pressentiment diffus qui lui soufflait de ne pas suivre exactement les mêmes traces. Il coupa le moteur, mais ne bougea pas immédiatement. Ses doigts, crispés sur le volant, enlaçaient le cuir avec une rigidité presque douloureuse, comme s’ils s’y agrippaient pour ne pas sombrer. Son regard, lui, restait figé, hypnotisé, incapable de se détourner de l’immeuble qui se dressait devant lui.

L’appartement du troisième meurtre.

Le simple fait de formuler cette pensée dans son esprit lui laissait un goût amer sur la langue, une sensation désagréable qui lui nouait l’estomac. Un courant d’air glacial s’infiltrait par l’interstice de la fenêtre conducteur. Il se raidit, l’espace d’un instant, avant d’inspirer profondément. Ses poumons se gonflèrent d’un air chargé d’humidité, presque poisseux, puis il expira lentement, pour calmer le chaos intérieur qui menaçait de le submerger.

Il devait y retourner.

Il devait voir par lui-même.

Les événements de la journée tournaient sans relâche dans son esprit, formant une boucle infernale, un écho lancinant dont il ne parvenait pas à s’extraire. Chaque détail, chaque conversation, chaque regard échangé avec David ou Renard revenait en boucle, s’entremêlant dans un flot incessant d’images et de sons. La sensation oppressante que quelque chose lui échappait était devenue insupportable.

Son poing se referma lentement sur le levier de vitesse. Il ne pouvait pas rester là, paralysé par l’angoisse et le doute. Il devait avancer. Il devait se confronter aux ombres de la veille.

A la disparition des dossiers.

A David.

Au regard opaque de son chef.

Tout semblait conspirer contre lui, tisser une toile insidieuse autour de sa perception, l’encercler lentement, méthodiquement. Comme si une main invisible cherchait à effacer les preuves, à remodeler la réalité jusqu’à le faire douter de lui-même. Chaque élément qu’il croyait solide, chaque certitude sur laquelle il s’appuyait, s’effritait peu à peu, un édifice rongé par un lent travail de sape. Les fondations de son raisonnement se fissuraient, le poussaient vers une conclusion qu’il refusait d’accepter.

Mais il ne devait pas céder.

Ce qu’il avait vu était réel.

Le cadavre.

Le verre de whisky.

La marque sous le sternum.

Il pouvait encore sentir l’odeur du sang, ce parfum métallique qui s’accrochait aux murs, qui s’infiltrait dans les pores, imprégnait les vêtements et les pensées. Il lui suffisait de fermer les yeux pour revoir chaque détail de la scène, chaque pli du tapis, chaque goutte figée sur le parquet. Cette scène avait existé. Il n’était pas fou.

Mais alors… pourquoi tout semblait-il s’effacer autour de lui ?

Il fallait qu’il en ait le cœur net. Vérifier que tout était toujours là, que l’appartement existait encore tel qu’il l’avait laissé, qu’aucune force extérieure n’avait altéré la scène, modifié les indices, effacé les traces. Il devait confronter la réalité, la forcer à lui prouver qu’il n’était pas victime d’une illusion.

Un doute insidieux lui rongeait l’estomac.

Et s’il poussait la porte… et ne retrouvait rien ?

Si la pièce était vide ? Si le verre de whisky n’avait jamais existé, si chaque preuve tangible s’était volatilisée comme une hallucination dissipée au réveil ?

Ses phalanges blanchirent sur le levier de vitesse. Une tension sourde lui contractait la mâchoire, un pressentiment glacial lui nouait l’échine. Tout son être lui criait de ne pas y aller.

Mais il n’avait plus le choix.

Il ouvrit enfin la portière.

L’air lui sembla plus froid que quelques minutes plus tôt, en l’espace d’un battement de cils, quelque chose avait changé imperceptiblement autour de lui. Une sensation infime, presque imperceptible, mais bien réelle. L’atmosphère elle-même retenait son souffle, suspendue à son mouvement, prête à basculer dans un précipice d’incertitude.

Il balaya la rue d’un regard rapide.

Les bâtiments étaient toujours là, identiques. Pourtant, un détail le dérangeait. Les façades étaient les mêmes. Mais pas tout à fait. Un motif répété une fois de trop. Mal ajusté. Un décor répliqué à l’infime détail près… sauf un.

Était-ce son imagination qui lui jouait des tours ?

Ou était-il en train de perdre pied ?

Le cordon de sécurité était là.

Presque à la même place.

Presque à la même inclinaison.

Presque.

Barrière dérisoire entre le crime et l’oubli.

Il flottait légèrement sous l’effet d’un courant d’air imperceptible, frémissant comme un avertissement silencieux. Une frontière fragile entre ce qui avait été et ce qui n’aurait peut-être jamais dû être.

Mais était-ce vraiment le même ?


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1 commentaire

NohGoa

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Il y a 16 jours

Allez, hop Like !
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