David.J FRACTURE Chapitre 6 (2/3)

Chapitre 6 (2/3)

— Bonsoir, inspecteur Larue, j’aurais quelques questions à vous poser.

L’agent qui menait l’interrogatoire s’écarta légèrement, croisant les bras en observant la scène.

L’homme hocha la tête, mais ses doigts s’entremêlèrent avec une nervosité palpable.

— J’ai déjà dit à votre collègue… J’sais pas grand-chose.

Sa voix était éraillée, marquée par l’usure de la fatigue et du tabac.

Étienne le détailla un instant. Sa peau trop pâle, ses joues creusées, les cernes violacées qui semblaient tatouées sous ses yeux.

— Vous habitiez ici ? demanda-t-il, adoptant un ton neutre mais direct.

L’homme hésita. Son regard glissa vers la fenêtre, comme s’il espérait que la nuit l’engloutisse et le soustraie à cette conversation.

— Pas vraiment… J’squatte de temps en temps. Chez des potes.

— Vous étiez là cette nuit ?

Un silence.

Il humecta ses lèvres, puis se racla la gorge.

— J’ai dormi ici, ouais. Mais j’ai rien vu, j’vous jure. J’suis rentré tard… P’têt autour de deux heures, j’sais plus trop.

Étienne échangea un bref regard avec l’agent en charge.

— Et avant ça ? insista-t-il. Vous avez vu quelque chose d’inhabituel ? Quelqu’un qui rôdait ?

L’homme baissa la tête. Son pied tapait nerveusement le sol.

— J’ai… Il inspira profondément. Y’avait un type.

Étienne s’immobilisa légèrement.

— Quel type ?

— J’sais pas. Il secoua la tête, les mains crispées sur ses genoux. Mais il était bizarre…

— Bizarre comment ?

— Il était là, et… d’un coup, plus là.

Le témoin releva enfin les yeux.

Un type qui disparaît ? Il avait entendu des témoins affirmer des choses étranges au fil des années, mais quelque chose dans le ton hanté de cet homme le fit hésiter.

Il inspira profondément, relâcha lentement l’air entre ses lèvres et détourna son regard vers l’appartement.

— Restez à disposition, on risque d’avoir d’autres questions.

L’homme hocha la tête avec une hâte suspecte.

Étienne s’éloigna, glissant une main dans la poche de son manteau, son esprit toujours accroché à ce détail absurde.

“Il était là… et d’un coup, plus là.”

Ne pas se laisser distraire.

Retourner à la scène du crime.

Une odeur de renfermé et d’alcool s’accrochait encore à l’air, bien que la pièce ait été passée au crible par les techniciens.

Son regard passa rapidement du corps à l’appartement, notant chaque détail avec l’instinct du flic qui sait où chercher. Mais il savait déjà ce qui allait capter son attention.

Son regard glissa vers la table basse.

Un verre.

Troisième scène de crime. Troisième verre.

Parfaitement centré sur un vieux sous-verre en cuir élimé. À l’intérieur, un fond de whisky ambré, intact, à peine troublé sous le faisceau tremblant d’une lampe torche.

Un détail trop net. Trop méticuleux.

Comme s’il avait été posé là après.

Comme un message.

Il s’approcha lentement, fixant le liquide avec une concentration absurde, comme s’il pouvait y voir une réponse cachée. Un pressentiment noua sa gorge avant même que la phrase ne tombe.

— Aucune empreinte.

La voix du technicien, neutre, presque lasse, s’éleva alors qu’il retirait ses gants.

Étienne jura à voix basse, rompant le silence figé de la pièce.

Mais il ne bougea pas. Son corps resta tendu, les mâchoires crispées sous la pression d’une certitude qu’il n’arrivait pas à formuler.

Troisième meurtre.

Troisième verre.

Toujours rien.

Quelque chose leur échappait.

Il détourna les yeux du whisky et s’agenouilla près du cadavre. Le parquet glacé sous ses genoux lui sembla étrangement rugueux, comme si la pièce elle-même conservait les stigmates de ce qui s’était passé.

Le corps était figé dans une rigidité absolue. Les doigts recroquevillés, agrippés à un vide invisible, témoins muets d’une tentative avortée de s’accrocher à quelque chose.

Le regard d’Étienne glissa lentement sur la chemise entrouverte.

Le tissu froissé dévoilait une marque.

Gravée dans la chair, juste sous le sternum.

Un cercle parfait.

D’une netteté dérangeante.

Pas d’irritation. Pas de brûlure.

Comme si elle avait toujours été là.

Un schéma qui se répétait, une signature qui se confirmait. Comme sur les deux autres scènes de crime.

La légiste soupira et se redressa légèrement, massant sa nuque d’un geste las.

— Même mode opératoire, confirma-t-elle. Aucune trace de lutte. Aucune injection. Juste… un arrêt brutal.

Elle marqua une pause avant de poursuivre, sa voix plus grave :

— Et cette marque…

Étienne releva la tête.

La légiste pinça les lèvres, hésita.

— Impossible à dater précisément.

Un battement de silence.

Puis, plus bas, presque à contrecœur :

— C’est comme si elle était là avant sa mort… mais sans aucun processus de cicatrisation.

Un frisson remonta lentement le long de la colonne vertébrale d’Étienne.

Il se redressa et son regard fut immédiatement attiré par le verre de whisky, toujours posé sur la table basse.

Sa présence était presque plus oppressante que le cadavre lui-même.

Toujours le même rituel.

Toujours ce foutu verre.

Il savait déjà ce que les analyses allaient révéler.

— Whisky classique, lâcha-t-il d’une voix plate. Aucun poison. Aucun sédatif.

Toujours rien. Comme les deux fois précédentes.

Mais ce n’était pas ça, le plus troublant.

Une sensation s’accrochait à son esprit. Un détail infime.

Son regard plongea dans la surface ambrée du liquide, lui renvoya son propre visage, distordu sous l’effet des ondulations du whisky.

Il plissa les yeux.

Un clignement de paupières.

Son reflet…

Non.

Un temps de retard.

Infime.

Mais bien réel.

Un souffle glacé. Pas le sien.

Un frisson brutal lacéra sa colonne vertébrale.

Vite.

Détourner les yeux.

Ne pas fixer trop longtemps.

Ne pas chercher à comprendre ce que ça voulait dire.

Mais déjà, une décharge glaciale s’insinuait sous sa peau.

Un froid inexplicable, profond, viscéral.

Un frisson insidieux lui traversa la nuque, semblable à un souffle invisible, juste derrière lui.

Il déglutit.

Un battement de cœur trop lent, trop lourd.

Puis…

Un détail.

Un faux mouvement.

Son regard revint, attiré malgré lui, sur la surface ambrée du verre posé devant lui.

Un instant.

Un battement.

Son reflet.

Il cligna des yeux.

Le reflet ne suivit pas immédiatement.

Un décalage.

Minuscule.

Mais immensément troublant.

L’espace autour de lui… se contracta.

L’air devint froid, trop dense, épais comme du goudron.

Son estomac se contracta violemment.

Quelque chose n’allait pas.

Le verre bougea.

Juste une oscillation.

Ou…

Une illusion ?

Un pas en arrière.

Le vertige le frappa de plein fouet.

Comme si l’espace autour de lui s’était tordu, compressé, rétréci à l’infime.

Une pression invisible s’enroula autour de sa poitrine.

Un étau.

Une étreinte étouffante.

L’air devint poisseux, saturé d’une présence qu’il ne voyait pas, mais qu’il ressentait.

Un son distordu vrilla son tympan.

Le verre vacilla. Lentement. Trop lentement.

Son cœur explosa dans sa poitrine.

Le sol disparut sous ses pieds.

Un bruit sourd.

L’obscurité.

Le vide.

Pas une chute.

Pas un mouvement.

Juste… une absence.

Un trou noir engloutit tout.

Plus d’air.

Juste un silence béant, abyssal.

Le néant.

Puis…


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1 commentaire

Carl K. Lawson

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Il y a un mois

☺️👌🏾
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