David.J FRACTURE Chapitre 6 (1/3)

Chapitre 6 (1/3)

Chapitre 6 - Une troisième victime


L’averse battait le bitume, traçant d’innombrables rigoles. Chaque goutte résonnait sur les surfaces métalliques des voitures stationnées, créant un cliquetis anarchique, un battement de cœur déstructuré au rythme de la nuit.

Les gyrophares de la police découpaient l’obscurité avec des éclats saccadés, projetant des vagues rouges et bleues sur les façades ternies des immeubles défraîchis. Leurs reflets dansaient sur les flaques stagnantes, se réfractant en longues coulées lumineuses sur les fenêtres humides et les contours effacés des néons fatigués. L’alternance brutale des couleurs accentuait les ombres, les tordant, les étirant dans des formes irréelles, comme des spectres en perpétuelle mutation sous la pluie battante.

L’air, gorgé d’humidité, portait un parfum dense, une odeur de terre détrempée, de bitume encore tiède sous l’averse et d’essence évaporée. Mais il y avait aussi autre chose, une note plus insidieuse, plus dérangeante : un parfum trouble et métallique, celui du sang que la pluie ne parvenait pas à dissiper totalement. Chaque inspiration semblait s’en imprégner, s’y accrocher, comme si l’atmosphère elle-même était marquée par ce qui venait de se produire.

Un sentiment de déjà vu.

Étienne Larue descendit lentement de sa voiture, la semelle de ses chaussures écrasant une fine couche d’eau stagnante. L’averse n’avait pas faibli, transformant la chaussée en un miroir trouble où se reflétaient les gyrophares et les néons délavés des devantures alentours. Il prit une inspiration, sentant aussitôt l’odeur épaisse du bitume détrempé, mêlée à une pointe plus subtile, plus dérangeante… un relent de métal et de froid qui lui fit instinctivement resserrer les pans de son manteau.

Face à lui, l’immeuble se dressait comme un bloc anonyme, ses façades ternes rongées par l’humidité. Une construction sans histoire, sans âme. Un bâtiment quelconque, semblable à tant d’autres dans cette ville où l’anonymat servait de refuge à l’indifférence. Et pourtant, quelque chose dans la manière dont les ombres s’y accrochaient plus longtemps, dans la densité trouble de l’obscurité autour de ses fenêtres, éveilla un frisson instinctif sur sa nuque.

Étienne laissa son regard glisser sur la façade de l’immeuble, sur les quelques fenêtres encore éclairées où des silhouettes furtives se découpaient derrière les rideaux. Des témoins muets, cachés derrière la sécurité de leurs murs, trop effrayés pour s’approcher, trop curieux pour détourner les yeux.

Troisième victime…

Il expira lentement, comme pour évacuer le poids invisible qui semblait s’être posé sur ses épaules à ces mots.

Puis, il franchit le périmètre de sécurité.

L’appartement baignait dans une semi-obscurité épaisse, seulement troublée par la lueur des néons extérieurs qui filtrait à travers les stores entrouverts. Chaque éclat lumineux projetait des ombres déformées sur les murs nus, donnant à la pièce un aspect spectral, comme si quelque chose s’y mouvait en silence, tapi dans les recoins où la lumière ne pénétrait pas.

L’air y était immobile, figé, épais, saturé d’un mélange troublant de renfermé, de bois sec et d’un soupçon d’alcool qui s’accrochait aux murs comme une présence invisible. Étienne inspira lentement, notant cette odeur persistante qui semblait imprégner chaque fibre du mobilier, chaque centimètre de moquette.

Un lieu en suspens, qui ne voulait plus s’écouler.

Son regard balaya lentement la scène.

David ne s’était pas rendu sur la scène de crime cette nuit-là.

Étienne nota ce détail sans trop y prêter attention au départ. Après tout, ils ne couvraient pas toujours les mêmes interventions, et il n’était pas rare qu’ils se partagent le travail.

Pourtant, quelque chose le dérangeait, sans qu’il parvienne à mettre le doigt dessus.

Pourquoi cette fois-ci, David n’était pas venu ?

L’idée resta en suspens, accrochée à l’arrière de son crâne, tandis qu’il poursuivait son inspection.

Le corps gisait au centre du salon, affalé sur le tapis épais, une main crispée contre sa poitrine. Sa tête, légèrement de travers, laissait ses yeux dans un dernier regard d’effroi. Grand ouverts. Trop ouverts. Comme si, même dans la mort, il voyait encore quelque chose.

Sa bouche, semblait figer un cri inachevé.

Ce n’était pas seulement un cadavre.

C’était une silhouette pétrifiée dans la peur.

Dans un coin de l’appartement un agent interrogeait un témoin.

La quarantaine fatiguée, une veste usée trop grande pour son corps maigre. Ses traits étaient tirés, le regard fuyant.

Étienne les rejoignit, les semelles de ses chaussures crissant légèrement sur le sol poisseux.

L’homme leva un regard méfiant vers lui, ses yeux fuyants cherchant instinctivement une issue. Il tira sur les manches de sa veste trop grande, un tic nerveux qui trahissait son malaise.


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1 commentaire

Astrid.D

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Il y a 24 jours

Chapitre débloqué ! 😊 n’hésite pas à laisser quelques likes de mon côté !
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