Fyctia
Chapitre 3 (3/4)
Le hall du commissariat résonnait des éclats de voix, des sonneries de téléphone, des bruits de claviers qui créaient un fond sonore constant. Étienne et David marchaient d’un pas rapide, l’esprit encore imprégné des paroles de Sophie.
— T’en penses quoi ? souffla David en attrapant son manteau sur le dossier d’une chaise.
— Elle en sait plus qu’elle ne le dit, répondit Étienne sans hésiter.
David hocha la tête, enfila son manteau et poussa la porte du commissariat.
L’air du soir était plus frais qu’ils ne l’avaient anticipé. La lumière du jour s’accrochait aux dernières heures, baignant la rue d’une lueur pâle qui s’effaçait lentement. Ils prirent place dans la voiture, le claquement des portières résonnant dans l’habitacle silencieux.
— Clinique Renard, 18h18, annonça Étienne en démarrant.
Le moteur ronronna, et la voiture s’élança dans les rues déjà marquées par la nuit naissante.
Le bâtiment s’élevait devant eux, impassible, sa façade de béton grise marquée par le temps, ses lignes austères renforcées par la froideur de la nuit. Derrière les vitres sombres, aucune lueur ne filtrait, comme si l’endroit avait depuis longtemps été vidé de toute vie. Les rares néons vacillants du parking projetaient des éclats blêmes sur l’asphalte, accentuant l’impression de vide et de silence.
Aucune voiture stationnée. Pas un bruit, si ce n’est le grondement feutré du tonnerre lointain. Le vent sifflait à travers les interstices des fenêtres, soulevant des tourbillons de feuilles mortes qui s’accumulaient contre les marches de l’entrée. Tout semblait désert, comme abandonné depuis des années.
Étienne coupa le moteur et jeta un coup d’œil aux fenêtres du deuxième étage. Rien. Aucune lumière. Aucune silhouette derrière les rideaux opaques. Un bloc de béton mort, vidé de toute âme.
— Ambiance chaleureuse… murmura David en claquant la portière, son ton empreint d’ironie, mais son regard légèrement plus méfiant qu’il ne l’aurait voulu.
Ils franchirent les portes vitrées.
L’intérieur était glacial. Un hall aseptisé, des murs d’un blanc trop parfait, un sol carrelé qui reflétait froidement le halo des néons. Aucune trace de vie. Pas de bruit de pas, pas de voix, pas de standard téléphonique en arrière-plan. Seul le bourdonnement électrique des lampes brisait le silence.
Derrière un comptoir en verre dépoli, une femme en blouse blanche releva la tête, ses yeux d’un bleu trop clair fixant les nouveaux arrivants avec une pointe de surprise.
— Vous avez rendez-vous ?
Son ton était poli, mais Étienne remarqua l’infime tension dans sa mâchoire, ce léger plissement des sourcils qui trahissait un éclat de nervosité fugace.
— Inspecteurs Larue et Morel, brigade criminelle. Nous devons parler au Dr Renard.
Un battement de silence. Presque imperceptible. Mais suffisant.
L’éclat d’inquiétude traversa fugacement son regard.
— Il termine une consultation. Je vais voir s’il peut vous recevoir.
Elle disparut rapidement derrière une porte marquée PRIVÉ, comme si elle voulait écourter l’échange avant d’en révéler trop.
L’atmosphère pesait sur les épaules d’Étienne.
Il promena lentement son regard autour de lui.
Des cadres accrochés au mur. Des diplômes soigneusement encadrés, alignés avec une rigueur presque maniaque. Aucun faux pli dans la disposition, aucun écart entre les cadres. Tout était parfait, trop parfait.
Plusieurs photographies en noir et blanc, de patients en cercle, dans ce qui ressemblait à une séance de thérapie de groupe.
Des visages figés. Des sourires crispés.
Puis, un détail glaçant.
Marc Lambert.
Là, au centre d’une des photos. Son sourire semblait tendu. Et surtout… son regard fuyait l’objectif.
Comme s’il savait déjà.
Comme s’il tirait les ficelles.
— Regarde ça.
David s’approcha, son expression se durcissant immédiatement.
— Merde…
Un grincement imperceptible retentit derrière eux.
Un bruit trop léger. Presque intentionnel.
— Inspecteurs ?
Une voix calme.
Victor Renard, immobile dans l’encadrement de la porte.
Impeccable. Costume sombre, posture mesurée. Mais ce fut son regard qui accrocha Étienne.
Un regard tranchant, scrutateur. Il évaluait, mesurait chaque détail.
D’un pas maîtrisé, Renard s’avança et les invita à entrer d’un simple geste. Son bureau reflétait son apparence : ordonné, froid, presque clinique. Un vaste meuble en bois massif trônait au centre de la pièce, sa surface immaculée à l’exception d’un sous-main de cuir noir et d’un stylo aligné avec une précision chirurgicale.
Derrière lui, une large bibliothèque en verre et métal renfermait des ouvrages méthodiquement classés, tous reliés de cuir sombre. Aucune photo, aucun objet personnel ne venait troubler l’ordre sévère de la pièce. Juste des lignes nettes, une rigueur implacable. Même l’odeur y était différente, plus sèche, imprégnée d’un parfum discret aux notes boisées et de la cire du mobilier.
Renard s’installa derrière un bureau en bois massif, chaque geste mesuré, chaque mouvement empreint d’une rigueur méthodique. Il croisa les doigts, posant ses mains jointes sur le bois poli avec une patience étudiée.
Son regard, lui, restait fixé sur les deux enquêteurs, scrutateur, presque analytique, comme s’il les évaluait plutôt que de leur répondre.
— Alors ? lâcha-t-il enfin, d’un ton maîtrisé.
Étienne sortit son carnet, un automatisme, mais il sentait déjà que l’entretien serait plus compliqué qu’il n’y paraissait.
— Deux de vos patients sont morts récemment.
Aucune réaction. Aucune crispation. Aucune surprise feinte. Juste ce même calme implacable.
David, impassible, ajouta :
— Marc Lambert et Alexandre Giraud.
Renard inclina légèrement la tête, comme s’il pesait le poids de ces noms avant de répondre.
— Oui, je les connaissais. Ils faisaient partie de mes groupes de soutien.
Son ton était parfaitement lisse, professionnel. Mais quelque chose sonnait faux. Comme une réplique apprise par cœur.
— Pourquoi ?
Renard s’adossa légèrement à son fauteuil, prenant le temps, trop de temps, pour répondre.
— Troubles anxieux sévères. Peur d’être observés. Impulsions paranoïaques.
Chaque mot tomba avec précision, comme s’il récitait un diagnostic préétabli.
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