Fyctia
Chapitre 2 (1/2)
Chapitre 2 – Une deuxième victime
Cinq jours s’étaient écoulés depuis la découverte du corps. Cinq jours de rapports, d’hypothèses sans réponses et de nuits trop courtes.
En cette fin de journée, l’odeur de café froid stagnait dans l’air, mêlée aux relents de papier jauni et de tabac incrustés dans les murs. Dans sa tasse, le liquide noir s’était figé sous une pellicule huileuse. Distraitement, il faisait tourner son mug entre ses doigts, son pouce effleurant la céramique tiédie, tandis que son regard restait suspendu au rapport d’autopsie posé devant lui, sans vraiment le voir.
Quelque chose clochait.
Une crise cardiaque sans cause apparente. Un corps sans la moindre trace de lutte, dans un appartement trop ordonné pour être anodin. Et ce symbole… Une empreinte circulaire, marquée dans la chair, trop nette. Pas de cloques, pas de lésions typiques d’une brûlure récente. Une marque qui ne devait pas être là.
Rien ne collait.
Il soupira, son index effleurant machinalement les pages du dossier. Comme si, par un éclair d’intuition, il pouvait déceler le détail capable de briser l’opacité du mystère. Mais rien.
La porte du bureau s’ouvrit brusquement.
David Morel entra d’un pas vif. Son expression fermée suffisait à comprendre. Un problème venait d’émerger.
— Prépare-toi, on a un autre corps.
Sa voix était plus grave, plus tendue. Il balança son manteau sur une chaise, le froissement du tissu résonnant dans le silence oppressant de la pièce.
Étienne redressa lentement la tête. Il n’avait pas besoin de poser la question. Il savait déjà.
— Où ?
David croisa les bras, inspira profondément avant de répondre :
— Quartier résidentiel, en périphérie. Même profil. Même mise en scène.
Chaque mot résonna comme un verdict.
— Cause du décès ?
David haussa les épaules, un tic nerveux qu’Étienne ne lui connaissait que lorsqu’il était troublé.
— Officiellement, arrêt cardiaque. Mais il a… la même marque sur le torse.
Un silence pesant s’installa.
Une victime, c’est un fait isolé. Deux, c’est une signature.
Étienne expira lentement et se leva, repoussant sa chaise d’un geste mesuré.
— On y va.
David hocha la tête et attrapa son manteau sans un mot. Il l’enfila rapidement avant de se diriger vers la porte. Étienne le suivit, saisissant ses clés et son carnet dans un réflexe ancré par les années.
Dans le couloir, leurs pas résonnèrent sur le carrelage froid. L’air portait déjà le poids de ce qu’ils allaient découvrir.
Étienne poussa la porte du commissariat et fut aussitôt frappé par le souffle glacial du soir tombant. Le ciel, teinté de nuances orangées et pourpres, étirait de longues ombres sur la chaussée. Il plissa légèrement les yeux avant de s’engouffrer dans la voiture.
David s’installa à son tour et claqua la portière.
— Toujours pas les résultats d’autopsie ?
— Juste des suppositions. Mais après ce soir… On peut oublier l’hypothèse de l’arrêt cardiaque.
Étienne serra la mâchoire, enclencha les gyrophares et accéléra. À mesure qu’ils s’enfonçaient dans la ville, une tension sourde s’installait. Le ciel mourait lentement, les dernières lueurs du jour noyées dans un crépuscule incertain. Les réverbères tardèrent à s’allumer, prolongeant l’incertitude des ombres.
Le silence pesait dans l’habitacle.
David fixait la route, le regard sombre. Étienne, lui, ressentait une gêne diffuse, comme un sentiment de déjà-vu trop précis pour être une simple impression. Il fronça les sourcils, hésita un instant avant de briser le silence.
— On est déjà passés par là ?
David tourna légèrement la tête, surpris.
— Non. Pourquoi ?
— Rien. Juste une impression.
Il serra les doigts sur le volant, chassant la sensation désagréable qui lui collait à la peau.
Lorsque les gyrophares déchirèrent enfin l’ombre, projetant des éclats fantomatiques sur les murs, Étienne sentit un frisson remonter le long de sa nuque. Il coupa le moteur et observa un instant le ballet silencieux des agents derrière la bande jaune. La nuit venait de tomber, et avec elle, la promesse d’un nouveau mystère.
L’immeuble était nettement plus moderne que le précédent. Façade lisse, balcons vitrés, hall marbré. Ici, tout semblait parfait, impersonnel, une bulle de tranquillité bourgeoise. Rien à voir avec le quartier délabré où ils avaient trouvé la première victime.
Pourtant, dès qu’il posa le pied hors de la voiture, quelque chose changea.
L’air semblait plus épais. Trop chargé. Comme si le lieu lui-même retenait son souffle.
Il échangea un regard avec David. Pas besoin de mots : lui aussi le sentait.
En franchissant le seuil, Étienne inspira profondément. Chaque enquête avait son propre langage, ses propres anomalies. Ici, l’incohérence était subtile, presque imperceptible. Mais elle existait bel et bien, tapie sous la perfection artificielle du décor.
David jeta un regard circulaire autour de lui, jaugeant l’environnement avec sa nonchalance habituelle, mais Étienne capta un infime changement dans son langage corporel. Lui aussi ressentait cette étrangeté.
— Qui a découvert le corps ? demanda-t-il en rejoignant le brigadier sur place.
L’homme en uniforme releva les yeux de son carnet et inspira légèrement avant de répondre, cherchant à structurer une réponse banale dans un contexte qui ne l’était pas.
— Son colocataire. Il est rentré du travail et l’a trouvé dans le salon, allongé par terre. Aucune trace de lutte. Aucune anomalie apparente.
David consulta ses notes, griffonnant quelque chose rapidement avant de relever la tête.
— Nom de la victime ?
— Alexandre Giraud. Trente-huit ans. Architecte.
Les portes de l’appartement s’ouvrirent devant eux.
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