Fyctia
Chapitre 1 (2/2)
Chapitre 1 – Une enquête ordinaire (2/2)
Au centre du salon, désarticulé, la tête légèrement de travers. Ses yeux grands ouverts, vitreux, fixaient un point invisible au plafond. Pas juste un mort. Quelqu’un qui avait vu… quelque chose.
Une horreur insaisissable.
Sa mâchoire était entrouverte dans un dernier souffle inachevé. Ses pupilles, dilatées, injectées de sang, marbrées de veines éclatées. Son visage crispé en un rictus d’effroi absolu, figé dans une terreur muette.
Mais ce qui frappa Étienne, ce furent ses mains.
Les doigts, recroquevillés avec une force anormale, s’étaient refermés sur ses paumes, les ongles enfoncés profondément dans la chair, traçant des entailles sanglantes.
Comme s’il s’accrochait à lui-même.
Comme s’il repoussait l’invisible.
Un frisson lui remonta la colonne vertébrale. Ce n’était pas une mort ordinaire.
Il n’aurait peut-être pas voulu être ici ce soir.
— Cause du décès ? demanda-t-il, la gorge légèrement nouée.
Accroupie près du cadavre, la légiste releva lentement la tête. Son expression fatiguée trahissait une perplexité qu’elle peinait à masquer. Elle effleura le poignet inerte du défunt, cherchant un indice sous la peau glacée.
— Il était là… et puis plus rien, souffla-t-elle. Pas d’attaque, pas de crise.
Elle haussa les épaules, secoua la tête.
— On dirait qu’il est… mort de peur.
Étienne fronça les sourcils.
— Une crise cardiaque ?
— Peut-être. Mais rien ne colle. Pas d’antécédents médicaux alarmants, pas de substances suspectes. Et surtout… aucun symptôme précurseur.
Elle se redressa légèrement, croisant les bras.
— Ce type était en parfaite santé hier encore.
Elle hésita, pinça les lèvres avant d’ajouter :
— Mais il y a autre chose.
Lentement, elle écarta le col de la chemise de la victime. La lumière crue dévoila une marque circulaire, profondément ancrée sous le sternum. Parfaitement nette. Aucune cloque, aucune rougeur, aucun tissu carbonisé.
Comme si elle avait été imprimée dans la chair… sans jamais brûler la peau.
Étienne sentit son estomac se nouer. Un écho diffus résonna dans sa mémoire, une impression fugace, trop floue pour être comprise.
— Depuis combien de temps cette empreinte est là ? murmura-t-il, son regard figé sur la marque.
La légiste effleura le tracé du bout des doigts, le visage tendu.
— C’est ça qui est troublant, répondit-elle après un instant. À première vue, je dirais une semaine. Mais c’est impossible. Pas d’inflammation, pas de cicatrisation avancée. C’est comme si elle était apparue d’un coup. Exactement dans cet état.
Étienne plissa les yeux. Un frisson lui parcourut l’échine.
— Ce n’est pas une brûlure normale, murmura-t-il.
Il connaissait ce symbole.
Il en était certain.
Mais d’où ?
Un livre ? Un dossier ancien ? Un dessin griffonné dans un rapport oublié ? Ses pensées s’entrechoquaient sans parvenir à saisir l’image complète.
— J’ai déjà vu ça quelque part…, souffla-t-il plus pour lui-même que pour les autres.
Il releva les yeux vers David. Son regard disait la même chose : ça ne collait pas.
Un verre à moitié rempli de whisky trônait sur la table basse. Le liquide ambré vibra légèrement sous un courant d’air imperceptible. Étienne observa la condensation sur le verre. Trop récente pour être anodine.
Puis, un son attira son attention.
Un tic-tac. Lent. Irrégulier.
Il écarta quelques papiers sur la table et découvrit une montre, presque cachée sous un carnet usé. Le bracelet était cassé. Le cadran, figé.
23h13.
Un frisson remonta le long de son échine.
Un fragment de temps. Un avertissement silencieux.
— C’est la sienne ? murmura David, sa voix plus basse.
Étienne secoua lentement la tête.
— Non. Il n’en portait pas.
Un silence flotta entre eux. Si cette montre n’appartenait pas à la victime… alors à qui ?
Un bruit sourd brisa la tension.
Ils échangèrent un regard, puis Étienne s’avança vers la chambre adjacente. Une fenêtre battait doucement sous l’effet du vent. Il s’approcha pour la refermer… et s’arrêta net.
Sur le rebord, de légères traces humides.
Comme si quelqu’un s’était appuyé là.
Un frisson remonta lentement sa nuque. Une sensation désagréable s’insinua sous sa peau, comme si l’air lui-même vibrait.
— On dirait que quelqu’un était là, murmura-t-il.
David s’approcha, sceptique.
— Depuis le troisième étage ? Peu probable.
Étienne ne répondit pas. Ce n’était pas seulement l’humidité. Ni la marque sur la peau du cadavre. Ni la montre brisée.
C’était autre chose.
Un malaise primitif, viscéral.
Il referma la fenêtre d’un geste sec. Son regard glissa sur les gouttes éparpillées sur le rebord. Toujours fraîches. Trop fraîches.
Il sentit un frisson remonter le long de son échine.
Rien dans la pièce n’avait changé.
Pourtant, il savait.
Quelqu’un avait été là. Tout à l’heure. Juste avant lui.
Mais la sensation persistait.
À la sortie du salon, il s’arrêta près de la légiste.
— Le labo peut analyser la marque sur sa poitrine ?
Elle releva la tête, l’air troublé.
— Je vais envoyer des prélèvements dès ce soir, dit-elle. Je n’ai jamais vu un symbole pareil.
Étienne hocha la tête, mais son regard resta sur le cadavre. Une intuition lourde et inéluctable lui broyait la poitrine.
Il quitta l’appartement.
Un grincement ténu résonna derrière lui.
Il se retourna.
Rien.
Juste la pénombre oppressante.
Il inspira profondément et s’éloigna de l’immeuble.
Mais il savait déjà qu’il allait y revenir.
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