Fyctia
6.2 Ça roule
Aaron est beau, au soleil. Ses cheveux et ses yeux verts paraissent plus clairs qu’à la lumière artificielle et se parent de mille étincelles. Ses taches de rousseur sont bien plus charmantes que n’importe quel bibelot de Noël.
Mince, je le mate sans vergogne. L’inspiration pour un sujet de conversation survient enfin dans ma tête fatiguée.
— Je suis surprise de te trouver en train de te la couler douce ici, je pensais que tu préparerais le match de demain avec les Buccaneers.
Il s’esclaffe et pivote de quelques centimètres pour laisser passer un homme avec une poussette double.
— Alors, tout d’abord, je ne me la coule pas douce. Je travaille ma vitamine D, c’est très important, ainsi que les muscles de mes bras sur les conseils de mon coach sportif, de façon différente de la muscu. L’équilibre est nécessaire d’après lui.
Mon cerveau, le traître, démarre au quart de tour et m’assaille d’images d’Aaron, torse nu, effectuant des exercices pour renforcer le haut de son corps.
— C’est peut-être important tout ça, contré-je tant bien que mal, cela dit, ça ne justifie pas d’abandonner ses collègues la veille d’un match crucial, si ?
— Probablement pas, rassure-toi néanmoins : j’y vais cet après-midi ! Gary, notre head coach, nous a interdit de venir ce matin. Il nous a conseillé de nous vider la tête de quelque manière que ce soit. Je crois qu’il n’a pas réalisé que pour certains ça équivaut à une beuverie hier soir plutôt qu’une heure de promenade au soleil.
— C’est sûr !
— Ce n’était pas très malin de sa part, remarque-t-il. Il se comporte de façon bizarre, à l’approche des fêtes.
— Bah, au moins, vous jouez à domicile demain, vous n’avez pas à prendre l’avion et à subir le décalage horaire, même minime.
— Certes.
Il regarde autour de lui. Des promeneurs doivent faire des écarts pour nous contourner.
— On devrait bouger, reprend-il. Je peux faire un bout de chemin avec toi si tu veux.
— Oh, ce serait avec plaisir, mais ça va te faire un détour.
— Pas vraiment, j’habite juste à côté, sur Davis Island. Je n’aurai qu’à revenir sur mes pas. Enfin, sur mes tours de roues, donc.
Il accompagne sa précision d’un clin d’œil. J’admire sa capacité à l’autodérision. J’enregistre aussi qu’il réside, sans surprise, dans l’un des plus beaux quartiers de la ville.
— OK, alors, accepté-je.
Son sourire me réchauffe plus que le soleil de Floride. Il disparaît néanmoins tandis que nous doublons un groupe de personnes qui déclame des chants de Noël. Je me raidis aussitôt. Ma mère en écoutait en boucle durant tout le mois de décembre. Deck the halls, celui qu’ils chantent à cet instant, figurait parmi ses favoris. Leurs “fa la la la la” me tordent le ventre, je me penche en avant et donne une impulsion afin d’accélérer et de m’éloigner au plus vite.
Aaron me suit. Quand je ralentis, je sens son regard sur moi.
— Tu n’aimes vraiment pas Noël, lâche-t-il.
— Pas du tout. Et puis c’est ridicule, à Tampa, le nombre de décorations et d’événements liés. C’est la surenchère chaque année. Sur le trajet en bus pour venir ici, un sapin s’était décroché et était tombé sur le trottoir.
— N’importe quoi, c’est clair ! Je déteste aussi. L’année dernière, je sortais à peine de l’hôpital, j’étais en rééducation. On ne l’a pas fêté... Cette année, j’ai l’impression que mes parents et ma sœur se sont persuadés que tout est revenu à la normale et que je peux célébrer Noël comme si de rien n’était. Ils viennent le passer avec moi. J’ai peur de ne pas être de très bonne compagnie...
— Ça sera sûrement sympa, tenté-je de le rassurer.
— Tu ne dirais pas ça si tu connaissais ma mère...
En guise de répartie, un son bizarre se faufile entre mes lèvres. J’hésite entre rire et pleurer. Je ne veux pas le mettre mal à l’aise, je ne veux pas qu’il pense qu’il a commis une bourde avec cette blague innocente. Sa phrase suivante manque de me faire trébucher.
— J’ai dit une bêtise.
Ce n’est pas une question. Je ne me savais pas si expressive. Comment arrive-t-il si aisément à lire en moi ? Je roule encore quelques secondes avant de m’arrêter dans une zone plus large. Je m’accoude à la rambarde tandis qu’il immobilise son fauteuil à côté de moi. Je cherche mon courage dans les reflets du soleil sur l’eau, puis dans le regard émeraude d’Aaron. Un soupir douloureux m’échappe.
— Non, tu n’y es pour rien... notre mère est morte en début d’année.
— Oh merde, Rose, je suis navré.
La tristesse rend ses yeux plus sombres et sa mâchoire encore plus carrée.
— Il n’y a pas de mal. Les infos sur la situation familiale sont confidentielles dans les dossiers pour le programme jeunes espoirs, et Calvin n’en parle pas, tu ne pouvais pas savoir.
— J’aurais tout de même pu éviter ma blague pourrie.
— Bah, j’aime bien tes blagues pourries.
Il émet un petit rire, une étincelle se rallume dans ses iris. Mon estomac, qui s’était comprimé lors de mon aveu, se détend. Ce n’est pas douloureux de se confier à lui. Au contraire.
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clecle
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