Fyctia
7.1 Proposition
Aaron
Quel abruti ! Je suis mortifié d’avoir mentionné ma mère. Cette chère Eileen Mackenzie n’avait rien demandé, en plus.
Nous passions un si bon moment. Je suis ravi d’être tombé sur Rose pendant ma promenade. Je n’avais pas envie de sortir, ce matin. J’ai dû me mettre un coup de pied aux fesses.
Quand j’ai reconnu Rose qui glissait vers moi parmi les autres promeneurs, je me suis félicité d’avoir réussi à me motiver pour cette balade. Royale sur ses rollers, queue de cheval au vent, jambes fuselées dans un pantalon moulant. Vision extraordinaire. Même sa veste en polaire l’avantage. C’est de la sorcellerie, à ce stade. Présentement, c’est surtout la gênance, comme disent les ados.
— Je suis ravi d’apprendre que tu apprécies mes blagues, déclaré-je avec une grimace, il n’empêche que je suis navré.
— T’inquiète, ça va. Je vais un petit peu mieux, chaque jour. Je n’ai pas le choix, de toute façon, pour Calvin.
J’acquiesce, ne comprenant que trop bien ce qu’elle veut dire. Des enfants passent derrière nous en criant. Je l’interroge lorsqu’ils se sont éloignés.
— Arrête-moi si je suis trop indiscret, mais, comme votre père est aussi, hum, décédé... du coup tu es sa tutrice légale ?
— Oui... Quand maman est tombée malade, elle a rédigé une lettre très claire en ce sens, afin qu’il n’y ait aucun doute possible. J’ai quand même dû effectuer toutes les formalités et me plier aux contrôles obligatoires.
Et moi qui pensais lui parler de Gary qui m’a forcé à faire partie de l’organisation de la fête de Noël du club ! Même ma raison de détester Noël me semble dérisoire face à son deuil et à la charge qui pèse sur elle. Me plaindre de la demande de mon patron aurait été malvenu. Si ma colonne vertébrale est brisée, ma famille, elle, est entière et nous serons ensemble pour Noël.
— Bravo, tu m’impressionnes, affirmé-je plutôt. Toutes ces responsabilités, si jeune...
— Merci. Tu sais, ce n’est rien d’extraordinaire. Je n’ai pas le choix, surtout. Le plus dur c’est l’attitude de Calvin depuis la mort de maman. Il a dressé des murs autour de lui, je n’arrive plus à l’atteindre.
— C’est compréhensible. Et difficile à gérer pour toi, je n’en doute pas.
— Oui ! Il m’adresse à peine la parole et est obnubilé par le football. Même si je comprends sa passion et son implication, parfois ça me fait peur. Je n’ai jamais apprécié une activité à ce point, j’ai du mal à me projeter. J’aimerais pourtant, afin de mieux le connaître.
Je pousse un long soupir et quitte un instant le bleu de ses yeux pour me fixer sur celui de l’eau face à nous.
— Forcément, je peux m’identifier à ton frère. Pour moi aussi, le football était toute ma vie. Là, en plus, Calvin a traversé un drame terrible, ça doit représenter le parfait exutoire. Et même sans ça, ce sport peut te dévorer complètement.
— Oui, j’imagine. Chez lui, c’est venu peu à peu, je trouve.
— Ça dépend des gens. De mon côté, dès la première fois où j’ai tenu un ballon, à cinq ans, j’ai su que je ne le reposerai plus. Je n’ai jamais envisagé une autre carrière. Collège, lycée, université. Chaque jour, chaque entraînement me rapprochait de mon objectif : être recruté dans une équipe professionnelle. C’est pareil pour Calvin. Des heures passées sur le terrain, par tous les temps, à supporter les ordres de nos coachs successifs. Des heures passées à bosser nos cours, pour ne rien négliger. L’abnégation la plus totale.
Rose fronce le nez et secoue la tête.
— Calvin fait le minimum en classe... C’est bien sûr une source de tension à la maison.
— Il va falloir qu’il fasse attention, alors. Ça compte pour être recruté par une bonne équipe universitaire, puis par une équipe pro. C’est très dur. S’il y arrive, il réussira là où des milliers échouent chaque année. C’est la consécration. Tu es respecté par tes pairs, tu inspires des jeunes qui nourrissent ce même rêve, qui respirent football H24, comme Calvin. C’était mon cas, jusqu’à ce qu’on m’arrache la possibilité de pratiquer de nouveau.
Ma voix se brise sur les derniers mots. Des larmes brûlantes s’agglutinent derrière mes paupières ; mes poings, appuyés sur mes jambes inutiles, se serrent. Zut, ce n’était pas le sujet de conversation idéal. Rose se rapproche de moi et pose sa main sur mon épaule. Je garde mon regard dirigé vers la rivière, car lire la pitié dans ses yeux ne m’intéresse pas.
— Je ne peux pas me mettre à ta place, déclare-t-elle sur une douce intonation, donc je ne vais pas dire que je comprends ce que tu vis. Je ne vais même pas te dire que je suis désolée pour toi, tu dois l’entendre trop souvent. Mais sache que tu inspires encore de nombreuses personnes, grâce à ton nouveau poste, au talent que tu mets au service de l’équipe et au programme jeunes espoirs.
Je tourne enfin le visage vers elle et reste saisi un instant. Il n’y a pas de pitié sur ses traits, seulement de la bonté et quelque chose qui ressemble à de la tendresse. Je dois me tromper. Je me racle la gorge afin de dissiper mon trouble — ses doigts toujours posés sur mon épaule n’aident pas.
— Merci. Pardon, tu parlais de Calvin et j’ai parlé de moi.
— Pas de souci.
— Non, vraiment, ce n’est pas cool. Je suis très égocentré, tu vois. Pas agréable du tout à fréquenter.
Elle retire sa main, s’esclaffe et secoue la tête. Sa queue de cheval remue de gauche à droite, jolie vision qui atténue le manque de son contact.
— Je ne suis pas d’accord.
— Quand bien même, pour me faire pardonner, je peux vous offrir des places à ton frère et toi pour le match de demain.
Son visage s’illumine à cette idée. Mieux, elle se penche vers moi et se saisit du haut de mon bras. Si elle n’était pas juchée sur des rollers, je pense qu’elle sautillerait sur place.
— Oh ! Ce serait top ! Calvin daignerait peut-être prononcer une phrase entière à mon intention grâce à ça. Tu es sûr que c’est OK pour toi ?
— Sûr. Envoie-moi ton adresse mail par texto, je demande à ma collègue tout à l’heure quand j’arrive au stade, elle te transmettra les tickets avec leur QR code. Deux, donc ?
— Hum, je peux abuser et en prendre trois ?
Un poids tombe au fond de ma poitrine au moment même où elle lâche mon bras et se redresse. Elle n’est pas célibataire... Je me crispe sur mon fauteuil. Qu’est-ce qu’il me prend ? J’ouvre la bouche et fournis des efforts surhumains afin de pouvoir parler. En vain.
Ça ne tourne pas rond chez moi, depuis quelques jours...
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