Fyctia
4.2 Football
Cette voix rauque et douce à la fois me fait sursauter et je me cogne au capot. J’émets un grognement peu élégant et me retourne en me massant la tête.
— Aïe, désolé, je ne voulais pas te surprendre, s’excuse Aaron. Un problème de voiture ?
— Oui, mon épave ne démarre plus. Tu t’y connais ?
— Absolument pas, répond-il dans un éclat de rire. Enfin, je peux faire un peu semblant, si tu veux.
Il s’approche de l’avant du véhicule, enclenche le frein de son fauteuil et s’appuie sur les accoudoirs afin de se soulever et de regarder à l’intérieur. Mon cerveau fatigué possède assez de ressources pour m’indiquer que le spectacle aurait été encore plus intéressant s’il ne portait pas de veste. Je secoue la tête face à ma propre bêtise. Ma voiture ne démarre plus et, pire, je suis en train d’objectifier un homme très gentil !
— Hum, c’est bien ce que je craignais : je n’y connais rien du tout, confirme-t-il.
Nous nous esclaffons de concert et restons un instant à nous observer. Sous les lumières du parking — et des fichues guirlandes, omniprésentes ici aussi —, ses cheveux paraissent plus châtains que roux. La portière qui claque rompt notre bulle. Mon frère daigne enfin s’inquiéter de la situation.
— Qu’est-ce que vous foutez ? s’enquiert-il, les sourcils froncés.
— Calvin, ton langage ! m’écrié-je.
— Pardon, coach.
Évidemment, il s’excuse auprès d’Aaron Mackenzie, mais pas auprès de moi. Je prends une grande inspiration afin de rester polie moi-même.
— Bon, tu n’aurais pas un talent caché en mécanique, par hasard ? demandé-je à Calvin.
— Non.
— Bien, on va prendre le bus, déclaré-je, blasée. Je reviendrai demain, elle se montrera peut-être plus coopérative.
— Je peux vous ramener chez vous, intervient Aaron.
Je sens que je rougis. Pourquoi est-ce que je rougis ?
— Oh, c’est... non, on ne veut pas te déranger.
— À moins que vous vous rendiez à Miami, je pense que le détour sera minime, non ?
— Oui, nous habitons juste à côté, confirmé-je. En dessous de l’aéroport.
— Parfait, on y va.
Je ferme le capot, Calvin et moi récupérons nos sacs. Aaron pivote sur son fauteuil et nous conduit du côté des places pour personnes à mobilité réduite, face à une berline noire rutilante. Sans surprise, le contraste avec mon vieux tacot est saisissant. Alors que mon frère se dirige vers la gauche à l’arrière, Aaron lui barre la route.
— Attends, Calvin, tu dois te mettre de l’autre côté ; là, c’est la place de mon fauteuil.
— Oh bien sûr, pardon.
C’est la première fois depuis des mois que je vois mon frère contrit pour quelque chose.
— Il n’y a pas de mal.
— Je peux ranger ton fauteuil, si tu veux, proposé-je.
— Merci, mais, hum... Ce ne serait pas très pratique, car ensuite je n’aurais aucun moyen pour le sortir, une fois arrivé chez moi... Tu vois, c’est ce bras motorisé qui le charge et le décharge du véhicule de la façon adéquate pour que je puisse remonter dessus...
Son visage se ferme à la fin de ses explications. Mince, quelle conne. Je l’ai mis mal à l’aise avec mon idée stupide. Je m’apprête à m’excuser quand il reprend la parole.
— Remarque, peut-être que dormir dans sa bagnole n’est pas si terrible. Il paraît qu’il faut tenter de nouvelles choses, dans la vie.
Il m’adresse un clin d’œil. Mes épaules se relâchent.
— Oui, voilà, tu rates à coup sûr une expérience inoubliable.
— Certainement ! Allez, en route.
Désireuse de ne pas plus le gêner, je fais mine de m’intéresser à mon téléphone tandis qu’il passe de son fauteuil au siège de la voiture. La manip avec le bras articulé est plutôt rapide. Aaron démarre en attendant : aucun problème ici, il n’y a même pas de clé et un simple appui sur le bouton dédié suffit. La voix de Taylor Swift remplit l’habitacle.
— Hum, je peux mettre autre chose, si vous voulez, marmonne-t-il.
Il est mignon. Dans la version moins mignonne, Calvin ricane. Je vais le tuer.
— Non, c’est très bien. C’est toujours mieux que ces chansons de Noël à la noix.
— C’est sûr !
La porte arrière se referme alors dans un bruit discret. Aaron entre notre adresse dans le GPS, recule et sort de la place de parking grâce à des commandes au volant. Seules les paroles de Long Story Short résonnent dans l’habitacle jusqu’à ce que la voiture s’insère dans la circulation au-delà du stade. Notre conducteur se racle la gorge.
— Tu as bien travaillé aujourd’hui, Calvin, bravo.
— Oh, euh, merci. J’étais pas satisfait du premier entraînement, là je me suis senti mieux. Une meilleure lecture du terrain.
— Je suis d’accord, approuve Aaron, continue comme ça, c’est prometteur.
— Merci, coach. C’est un honneur de bosser avec vous et Scott.
— C’est un plaisir pour nous.
Je reste figée sur mon siège. On pourrait croire que j’admire ces fichues décorations de Noël. C’est juste que je regarde droit devant moi et que je retiens ma respiration, de peur de tout gâcher en émettant le moindre minuscule son. Mon frère n’a pas tenu une discussion aussi longue en ma présence depuis la mort de notre mère.
Si j’avais besoin d’une autre preuve que son salut passera par le football, la voici.
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clecle
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