Fyctia
3.1 Plans
Aaron
— Les Las Vegas Raiders utilisent souvent le même schéma défensif, déclare Tim, notre coordinateur offensif. Les deux safeties* se partagent la profondeur du terrain en deux zones égales, mais j’ai remarqué que leur safety gauche est la plupart du temps en retard sur ses rotations.
— Ça veut dire qu’on pourrait essayer plus de tracés en post-route côté droit, ajoute Dale à mon intention, avec notre deuxième receveur qui attire l’attention en drag-route* en dessous.
Emmy, qui gère les quarterbacks*, ne me laisse pas le temps d’intervenir et de donner mon avis au coach des running backs*.
— Seulement si la ligne tient sous pression, précise-t-elle. J’ai noté qu’ils envoient beaucoup de blitzs* en troisième tentative.
Assise au bord de sa chaise, elle se penche encore plus vers le tableau géré par Tim. Ses lunettes se trouvent aussi dans un équilibre précaire sur le bout de son nez. Sa passion et son implication lui ont permis d’arriver à un tel poste dans une équipe de la NFL, malheureusement toujours trop masculine à notre époque.
— OK, on va inclure plus de passes rapides sur les premières séries, confirme Tim, puis on exploitera les tracés longs une fois qu’ils reculent en défense. Ça te va, Aaron ?
— Oui, ça peut le faire.
— Parfait !
Mon rôle dans l’équipe consiste à coacher les receveurs, qui réceptionnent les passes du quarterback et essaient de gagner du terrain. C’était mon ancien poste. Bien que j’aie toujours apprécié l’enthousiasme de mes collègues lors de nos réunions préparatoires, j’ai hâte de rentrer chez moi. Les journées sont aussi longues pour les joueurs que pour le staff. Et je fatigue un peu plus vite qu’avant, car de nombreuses actions basiques du quotidien me demandent plus d’effort. Même aller aux toilettes est toute une aventure !
Je m’étire sur mon fauteuil, tandis que mes collègues réunissent leurs affaires. Les derniers rayons du soleil résistent et zèbrent d’ombres le logo de l’équipe qui occupe tout un pan de mur : un drapeau pirate du plus bel effet, clin d’œil aux buccaneers, les boucaniers.
Notre patron, Gary, le head coach, nous rejoint. Petite taille, ventre rond, barbe assortie à son halo de cheveux poivre et sel, tout chez lui respire la bienveillance. Il nous implique toujours dans ses décisions et traite tout le monde avec respect, joueurs comme staff.
La phrase qui suit ses salutations me fait changer d’avis sur le champ.
— Emmy, Aaron, vous pouvez rester un moment s’il vous plaît ? Je dois vous parler de la fête de Noël du club.
Je fronce les sourcils. Que se passe-t-il ?
— Comme vous le savez, débute-t-il une fois nos collègues partis, Joan avait commencé à bosser dessus avec toi, Emmy. Elle vient de me prévenir que son médecin l’arrête plus tôt que prévu dans sa grossesse. Bon, elle m’a épargné les détails techniques, elle doit se reposer.
— J’espère que ce n’est rien de grave, avancé-je, soucieux.
Joan est l’une des comptables de l’équipe, elle a réussi à tomber enceinte après un éprouvant parcours de PMA.
— Je ne crois pas, répond Gary, elle n’est pas loin du terme, elle doit juste le garder au chaud le plus longtemps possible. Bref, Aaron, je me suis dit que tu pouvais aider Emmy.
— L’aider à quoi ? demandé-je bêtement.
— Pour la fête de Noël, je pense, intervient ma collègue sur une intonation douce.
J’éclate de rire et m’interromps d’un coup lorsque je me rends compte qu’ils ne partagent pas mon hilarité.
— Ce n’est pas une blague, ? vérifié-je.
— Non. Ceux qui s’en sont occupés l’année dernière ne travaillent plus ici, on avait besoin de sang neuf. Emmy s’est proposée d’elle-même et elle est arrivée en même temps que toi dans le coaching staff.
— Elle apprécie peut-être Noël, elle, répliqué-je, les lèvres pincées.
— Oui, j’adore cette période de l’année, confirme-t-elle.
— Voilà, c’est bien ce que je pensais...
Grâce au sourire d’Emmy, la tête de mort du logo de l’équipe sur sa casquette semble joviale. Son enthousiasme mignon me déprime encore plus. Je soupire, dépité. Ce doit être une blague grandeur nature orchestrée par Brad et nos potes. Je m’attends à ce qu’ils débarquent et crient “on t’a bien eu”.
Rien de tel ne survient néanmoins.
— Vois ça comme une sorte de bizutage, Aaron, reprend notre patron.
— Oui, Gary, j’ai saisi l’idée...
— Eh, je vous laisse en discuter entre vous, OK ? intervient Emmy.
Gary opine et lui souhaite une bonne soirée. Je lève les yeux vers lui pour le défier dans la salle vide. Avant, avec mes un mètre quatre-vingt-dix, c’est moi qui devais baisser la tête pour le regarder. Il capitule en premier.
— OK, bon, tu me détestes, là, je comprends. Je suppose que ce Noël qui se profile ne sera pas le meilleur de ta vie. Mais je voyais ce projet comme une façon de te changer les idées et de t’impliquer encore plus pour l’équipe.
Je sais qu’il essaie de bien faire, ça ne m’empêche pas de fulminer.
— C’est vrai, je ne suis plus sur le terrain, je reste au bord. Bien que ce soit douloureux pour tout un tas de raisons, j’aime être coach, vraiment. Je ne te remercierai jamais assez pour cette opportunité. Je fais partie de l’équipe, je t’assure, affirmé-je avec emphase.
— Très bien. Tu vas donc aider à finaliser la fête de Noël. Je sens que ça peut beaucoup t’apporter, je ne saurais dire pourquoi. Comme un pressentiment...
Il accompagne sa remarque d’un haussement d’épaules. Je pourrais lui rire au nez ; or, les intuitions de Gary ont souvent bénéficié à l’équipe. Un changement de stratégie à la dernière minute, sur une impulsion ; deux joueurs inversés avant de rentrer sur le terrain ; un enchaînement rare testé à l’entraînement et qui nous apporte le point décisif pendant le match suivant. Tout cela grâce à des pressentiments...
— Je ne vois pas ce qu’organiser la fête de Noël pourrait m’apporter, répliqué-je sans conviction.
— Allez, ça va être sympa. Déjà, tu pourrais avoir pire partenaire. Emmy est un vrai soleil.
Je plisse les yeux et avance mon buste sur mon fauteuil pour mieux l’observer.
— Attends, tu n’essaies pas de me caser avec elle, j’espère ?
*********
Désolée pour le vocabulaire technique (j'ai appris plein de choses moi aussi ! ça donne un peu mal à la tête ce sport) : 😁
Safety : joueur évoluant au sein de la formation défensive d'une équipe, il en est le dernier rempart défensif
Drag-route et post-route : type d'itinéraires différents sur le terrain pour le receveur qui a la balle
Quarterback : poste offensif, il est placé derrière sa ligne offensive et dirige l'attaque. En connexion avec le centre, le quarterback récupère le ballon à la remise en jeu et distribue le jeu
Blitz (différent de celui de Londres 😁) : tactique défensive qui consiste à envoyer au moins 5 joueurs au-delà de la ligne de mêlée afin de mettre une intense pression sur le quarterback adverse
Running back : coureur qui se place derrière la ligne offensive situé en position de recevoir le ballon du quarterback pour exécuter un jeu de course
56 commentaires
Nina Fenice
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Il y a 5 jours
Marie Andree
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Il y a 5 jours
Daphnée Wood
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Debbie Chapiro
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Eden Rei
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Il y a 13 jours