Fyctia
Chapitre 2 Partie 4
Il ne lui fallut qu’une petite demi-heure pour arriver à destination. Pressée d’en finir au plus vite, la jeune fée se fit une joie d’emprunter tous les raccourcis qu’elle connaissait, aussi périlleux fussent-ils. C’est un brin haletante qu’elle entreprit de déterminer lequel des nombreux arbres élancés qui l’attendaient là serait le plus à même de satisfaire sa mère.
La carapace argentée de plusieurs d’entre eux était de belle qualité. Elle prit quelques minutes pour arrêter son choix et finit par se décider pour l’un des arbres centraux du bois, le plus haut.
En faisant le tour de sa cible, quelque chose d’incongru attira son attention : un bout de papier avait été glissé dans une fissure de l’écorce interne de l’arbre qu’elle avait sélectionné. Nélia fronça les sourcils, en s'approchant, elle crut lire son prénom inscrit sur le bout de papier. Stupéfaite, elle s’empressa de le dégager de l’écorce craquelée. C’était une enveloppe. Aucun doute possible : “Nélia” y était inscrit en belles lettres déliées. Elle l’ouvrit et parcourut rapidement les quelques lignes tracées à l’encre verte :
Demain aura lieu la cérémonie d’éclosion de tes ailes. Tu dois saisir la main qui te sera tendue et accepter la proposition qui te sera faite. Suis ton instinct.
Perplexe, Nélia regarda autour d’elle. Sa cérémonie avait effectivement lieu le lendemain. S'agissait-il d'une épreuve préliminaire à l’éclosion des ailes dont elle n’avait jamais entendu parler ? La solennité de ce message semblait écarter toute hypothèse de mauvaise farce. Pourtant, elle ne put s’empêcher de se demander si Luciole ou une autre de ses consœurs plus jeunes n’avait pas cherché à la mystifier par plaisanterie.
Partagée entre la curiosité et l’épuisement, elle examina l’enveloppe et le billet sous tous les angles, espérant éclaircir le mystère. Elle relisait encore et encore l’étrange message : cette écriture lui était diablement familière. Elle ne parvenait pourtant pas à dire précisément qui, dans son entourage, aurait pu être l’auteur de ce mot. Ce n’était définitivement pas l’écriture de Luciole qu’elle connaissait par cœur, ni celle de sa mère, qui était plus ronde. Elle put s’en assurer immédiatement en comparant le message au billet transmis par le moineau un peu plus tôt. Quoi qu’il en soit, elle avait une sensation de déjà-vu devant la forme de ces lettres joliment exécutées, mais peut-être était-ce la conséquence de ses mille relectures.
Le craquement d’une branche dans son dos la fit sursauter. Alarmée, elle inspecta le bois, sur ses gardes. La matinée était fraîche, un vent léger agitait les branches des arbres, et les environs semblaient déserts. Une pensée la frappa : sur le billet, il était indiqué que sa cérémonie aurait lieu le lendemain, ce qui était vrai. Toutefois, la matinée était à peine entamée, et la personne qui le lui avait adressé n’avait pas dû le déposer depuis très longtemps pour que la date soit exacte. Qui que soit l’auteur de ce message, il n’était probablement pas très loin.
Bien que le contenu du message n’ait rien de menaçant, Nélia n’était pas très à l’aise. Le mystère lui aurait peut-être paru excitant en d’autres circonstances. Cependant, lassée des inépuisables rebondissements de cette trop longue nuit, et pressée de retrouver sa mère qui l’attendait certainement avec impatience, elle décida de la rejoindre au plus vite. Il était écrit qu’elle devait suivre son instinct, or, celui-ci n'était plus, en cette heure, qu’une petite voix grincheuse évoquant son édredon moelleux et la tisane brûlante qu’elle se ferait en rentrant.
Elle s’empara du joli coutelas au manche sculpté qui était à sa ceinture et taillada habilement l’arbre qu’elle avait choisi. Sa tâche terminée, elle rangea soigneusement son butin et l’étrange lettre au fond de son sac et elle décampa, non sans avoir examiné une dernière fois les alentours de son regard perçant.
- Enfin, Nélia ! Mais où étais-tu passée ?! Tu as l’écorce ?
Rose fondit sur elle à l’instant où elle franchit la porte de l’officine. Les effluves d’herbes médicinales mêlés au parfum entêtant de l’encens qui brûlait, emplirent ses narines. Quelques mèches s'échappaient de l’épaisse tresse couleur de châtaigne qui se balançait dans le dos de sa mère. Bien que le dégradé bleuté sous ses yeux trahisse sa fatigue, elle était tout aussi belle et lumineuse qu’à son habitude. Elle venait de raccompagner deux hommes, l’un maintenant l’autre debout, en leur faisant mille recommandations. Lou s’écarta pour les laisser sortir avant d’embrasser sa mère.
- Je l’ai !
Soucieuse de parer à toutes inquisitions concernant sa sortie nocturne, elle lui tendit le fruit de sa récolte et s’empressa d’aller se laver les mains pour se mettre au travail.
Il n’y avait là qu’un couple de personnes âgées dont le mari était allongé sur l’unique petit lit de bois au fond de la pièce. À l'opposé de la pièce, près d’une table en bois sur laquelle reposaient d’énormes piles de livres médicaux et un assortiment varié de cristaux multicolores, se tenait une femme et une petite fille. La fillette pleurait doucement, et celle qui devait être sa mère, accroupie face à elle, lui parlait à voix basse. Elle tentait de la divertir en lui montrant les motifs de papillons gravés sur les pieds de la table. Voyant que Rose échangeait avec le couple, Nélia demanda à l’enfant, qui ne devait pas avoir plus de cinq ou six ans, de s’installer sur un petit tabouret de bois noueux afin d’examiner ses genoux écorchés. Celle-ci s'exécuta entre deux sanglots : sa cheville était enflée.
- Comment t’appelles-tu, petite demoiselle ?
- Élise, lui répondit l’enfant en reniflant bruyamment, tu ne te souviens plus comment je m’appelle ?
- C’est sa cheville, j’ai peur qu’elle ne soit cassée, intervint la mère de l’enfant, inquiète, en sortant de son sac un grand mouchoir à motifs bigarrés.
- Je ne pense pas que la cheville soit cassée, sinon elle ne pourrait plus marcher, expliqua Nélia en examinant la jambe de l’enfant. Vous êtes déjà venues au cabinet ?
- Nous sommes venues l’été dernier, Marcus, mon fils, avait eu une insolation. J’espère que ce n’est pas cassé. Élise, mouche-toi s’il te plaît !
Nélia n’en avait aucun souvenir. Il y avait beaucoup de passages au sein du cabinet, et il arrivait parfois que sa mère fasse venir des consœurs pour prendre la relève lorsqu’elle devait s’absenter.
- Quand s'est-elle blessée ?
- Il y a environ une heure, je pense, répondit la mère en haussant le ton pour couvrir le bruit de trompette que faisait sa fille en se mouchant.
- Bon, le froid la soulagera déjà un peu. Tu vas voir, Élise, on va mettre des glaçons sur ta jambe, tu auras beaucoup moins mal. Et j'ai une petite surprise pour toi.
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Le Mas de Gaïa
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Il y a 5 mois