Fyctia
Chapitre 2 Partie 2
L’ascendant des fées sur le paysage qui s’étalait sous leurs yeux était indiscutable. Tandis que l’aurore se dévoilait par-delà les cimes qui caressaient l’horizon, une myriade de délicates perles de rosée exhalaient les mille senteurs des bois environnants et des rivières qui les traversaient. La majesté des grands arbres touffus, résistant à toutes les saisons, se déclinait en ombres inégales sur la vallée en contrebas. Nichés dans les replis protecteurs des Monts Sylvestres, la faune et la flore des fées étaient tenues sous bonne garde, comme autant d’oasis sacrées, oubliées des humains et de leur folie des grandeurs. Nélia inspira profondément, soulagée dans sa chair, comme chaque fois qu’elle rentrait auprès des siens. Pour une fée, aussi jeune soit-elle, il était toujours douloureux d’évoluer dans le quotidien pollué et grisonnant de la ville. Plus que douloureux, cela constituait un véritable danger pour celles qui naissaient et vivaient ainsi, en parfaite osmose avec la nature.
- C'était risqué quand même.
Nous y voilà, pensa Nélia en détaillant le profil soucieux de la petite fée qui refusait obstinément de croiser son regard. Le nez en trompette de son amie, couvert de taches de rousseur, pointait vers le ciel.
- Je sais que tu t’en es très bien sorti, et tout s’est très bien terminé, mais imagine qu’il s’en soit pris à toi. Nous n’avions pas les bonnes informations. Les chambres étaient censées être vides, ça ne t’inquiète pas ? C’est certainement lui qui a prévenu la sécurité ! Il aurait pu être armé ou…
- Luciole…
- Non, mais je sais, je sais. Tout s’est bien terminé ce soir. Mais Néli, pense à ta mère si elle l'apprend, ou pire, s’il t’arrive quelque chose. Tu sais que c’est dangereux, tu le sais. Là, c’est autre chose que de distribuer des tracts. Si on se fait coincer... Qui sait ce qu’ils peuvent nous faire ? Pense à Fanfreluche…
- Fanfreluche a fait n’importe quoi, il a été vraiment stupide, l’interrompit Nélia.
- Il est peut-être mort ! s’écria Luciole. On ne sait pas ce qu’il est devenu, sa famille est désespérée. Et Tempête elle-même n’y peut rien...
Lors d’une réunion quelques semaines auparavant, elles avaient appris par d’autres Green Guardians ce qui était arrivé à ce pauvre Fanfreluche, dont l’absence les avait étonnées. L’imprudent aurait pris à partie des Ombres gradées lors d’une soirée de beuverie avec des camarades. La situation aurait, selon divers témoins, très rapidement dégénéré. Ce jeune homme très enthousiaste, qui ne passait pas inaperçu du fait de ses manières extravagantes, avait payé le prix fort pour son impertinence. Personne n’était parvenu à avoir de ses nouvelles depuis qu’il avait été arrêté. Peut-être croupissait-il dans une cellule en cet instant, mais Nélia en doutait. Les Ombres de Néo, l’impitoyable garde armée du Gouvernement, étaient réputées pour leurs procédés expéditifs. Elle croisa les bras sur sa poitrine en se remémorant les terribles sanglots de la jeune sœur dudit Fanfreluche, effondrée.
- Tu veux arrêter ? questionna Nélia en enfonçant ses mains dans ses poches. Tu peux arrêter si tu veux, vraiment, rien ne t’oblige à continuer. Personne ne te le reprochera.
- Bien sûr que non… Mais je t’avoue que ça ne m’empêche pas d’avoir peur.
Apercevant du coin de l'œil un buisson de bruyère s’agiter à leur droite, les deux fées se firent attentives, espérant apercevoir son petit occupant. Leur vigilance fut vaine, hélas, ce n’était que le vent.
- Ce qu’on fait a du sens. Tout ce qui nous entoure est en danger, je le sens…
- Je le sais bien. Je le sens aussi. Ce serait faux de prétendre que la surexploitation de sève n’a pas eu de conséquence ici aussi. J’entendais encore maman et tante Camélia, ce matin, s’inquiéter de ne plus croiser autant d’animaux ces temps ci. Je vois nos amies s’épuiser pour continuer à végétaliser de la sorte les Monts Sylvestre…
- Ça vaut le coup tu ne crois pas ? questionna Nélia, de se battre pour ça.
Elle désignait de ses deux paumes ouvertes, la beauté du panorama qui se déployait en cet instant sous leurs yeux. Un paysage au sujet duquel les anciennes s’accordaient pour dire qu’il n’était en rien comparable à la splendeur passée qui le caractérisait.
- Oui mais est ce la solution ? Parfois je me demande si ça vaut le coup, de se mettre autant en danger pour quelques médicaments… Ou de s'épuiser à sermonner des gens qui n’y peuvent rien. D’expliquer à des personnes qui ont déjà si peu, que leur mode de vie est répréhensible.
Ce n’était pas la première fois que Luciole lui faisait part de ce genre de craintes. Et Nélia la comprenait. Le jour même de leur première rencontre avec Tempête, les deux amies avaient compris qu’on leur indiquait là une voie bien différente de celle à laquelle leur éducation les destinait. Il était difficile, pour ces deux très jeunes filles, d’être en paix avec leurs engagements, qui étaient contraires en tout point à la philosophie des fées. Celles-ci avaient pour tradition de ne pas se mêler des conflits des humains. Éprises de liberté, et vivant à l’écart de leur société, elles ne se connaissaient pas d’autres maîtres que la nature elle-même. S’insurger, et faire corps pour faire valoir ses droits, s’unir pour remettre en question une autorité qui ne les concernait pas, voilà qui était tout à fait à l’opposé des mœurs de ces créatures douces et paisibles.
- Je vois tout à fait ce que tu veux dire. Mais j’ai ce sentiment d'injustice insupportable qui m’empêche de dormir la nuit. Ce sentiment grandit, il empire chaque fois qu’on reçoit au cabinet un type malade qui ne peut même pas payer une foutue tisane pour calmer sa toux. Je ne sais pas si ce que font les Green Guardians peut vraiment faire la différence, mais au moins ils m’ont permis de mettre des mots sur ce sentiment d’injustice. Je sais maintenant ce que je reproche à ce système que je trouve injuste. Et je sais que si on veut essayer de changer les choses il faut qu’on le fasse tous ensemble. Je ne dis pas qu’on va sauver le monde en volant des médicaments ou en distribuer des tracts mais au moins on essaye, on ne reste pas là regarder notre avenir partir en fumée sans rien faire …
- Tu as raison, tu as raison… Tu m’agaces, tu as toujours les mots qu’il faut Néli. Tu parviens inévitablement à rendre mes craintes si dérisoires… Maintenant cesses de t’enflammer, je les entends qui arrivent.
Nélia aurait voulu lui expliquer à quel point elle avait peur elle aussi, elle aurait voulu lui parlait des milles angoisses en tout point similaires aux siennes qui l’assaillaient régulièrement. Ce n’était pourtant pas utile, Luciole savait. . Elle la connaissait aussi bien qu’elle se connaissait elle-même, comme seules les amies savent le faire. Depuis cette ferveur si téméraire qui les entrainaient toutes les deux dans des situations fort délicates, jusqu’aux craintes qu’elle ne pouvait formuler. Et elle ne l’ en aimait que davantage.
2 commentaires
Le Mas de Gaïa
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Il y a 6 mois