Fyctia
Chapitre 2 Partie 1
- Il était nu ?!
Luciole s’arrêta net, obligeant Nélia à faire de même. Elle s’esclaffa en esquivant une branche de mûrier qui s’était déployée brutalement dans sa direction lorsque son amie s’était retournée pour lui faire face. Son expression stupéfaite vraiment l'amusait beaucoup.
- D’après ses dires, oui, nu comme un ver. Mais ce qu’il y a de plus étonnant, c’est qu’il ne semblait pas surpris le moins du monde de voir une inconnue masquée faire irruption dans sa chambre d'hôtel. Il ne devait avoir qu'un ou deux ans de plus que nous, pas plus… poursuivit Nélia. Elle fit signe à son amie de continuer d’avancer.
- Et il était très beau. La pièce était sombre, pourtant je peux te dire que c’était le plus bel homme que j’ai jamais vu. Et il n’avait pas l’air de savoir grand chose mais ça il le savait, crois moi !
Son amie lui jeta un regard en biais, un brin désarçonnée par la tournure que prenait la conversation.
- Mais il pensait que tu voulais le tuer ?
- Ou l'enlever, oui. Mais ça n’a pas eu l’air de le perturber plus que ça. Il se tenait là, vautré dans son lit, à m’expliquer qu’il avait trop bu et que c’était souvent comme ça en fin de semaine, quelque chose comme ça… Il n’en avait rien à faire en gros.
- Peut-être qu’il pensait que tu voulais demander une rançon ? questionna Luciole à voix basse en s’assurant qu’il y avait toujours suffisamment de distance entre elles et les garçons pour qu’ils n’entendent pas ce dont elles parlaient.
- Ce qui avait surtout l’air de l'inquiéter, c'était de devoir se lever ! Il n’était pas disposé à se déplacer immédiatement. J’ai cru qu’il allait me donner rendez-vous pour revenir l’enlever plus tard, s’indigna Nélia en l’imitant. Nathan et Olivier étaient loin derrière elles et semblaient absorbés par leur propre échange.
Le chemin qu’elles suivaient pour rejoindre le village caché des fées, longeant les parois escarpées des Monts Sylvestres, était assez étroit. Seules, elles n’auraient pas choisi cet itinéraire, qui était plus long que celui qu’elles empruntaient d’ordinaire. Toutefois, en la présence d'Olive et surtout de Nathan, qui n’avaient pas grandi au sein des sommets vertigineux de l’Ouest, ils avaient choisi un sentier plus praticable. Les jeunes fées qui n’ont pas encore obtenu leurs ailes apprennent tôt à suivre leurs aînées dans les hauteurs. Elles sont toutes d'excellentes grimpeuses, et ne craignent pas l’altitude. L’ascension qu’ils avaient entreprise aux ultimes heures d’une nuit mouvementée n’était pour les deux amies qu’une promenade de santé. Il en allait autrement pour le frère de Luciole et leur ami qu’elles avaient semé depuis longtemps. Ce qui, somme toute, était bien plus pratique pour discuter en paix. Elle avait choisi de ne rien raconter aux Green Guardians : il lui aurait fallu expliquer comment elle s’était extirpée de cette fâcheuse situation. Et il était inenvisageable de leur parler de la poussière de fée.
Les fées vivaient cachées, à l’écart des humains. Elles évoluaient à leurs côtés, elle savait se fondre dans leur quotidien. Elles les soignaient, et prenaient soin de leurs animaux, les aidaient à entretenir la fertilité de leurs terres, et exauçaient même parfois certains de leurs vœux. Cependant, eux, ignoraient tout de leur qualité de fée ou de leurs dons, et elles prenaient bien garde à ce qu’il en soit ainsi. Lorsqu’une fée choisissait d’unir sa vie à celle d’un humain, et à cette occasion uniquement, le secret lui était révélé. Mais — et il s’agissait de la seconde raison pour laquelle Nélia ne s’était pas inquiété d’informer ses compagnons — il était très facile pour une fée de faire oublier à un humain ce qu’elle ne souhaitait pas qu’il sache. La poussière de fée, de minuscules particules chatoyantes libérées par leurs ailes, avait la faculté d’effacer la mémoire des humains qui l'ingéraient. Le joli jeune homme à qui elle avait subtilisé un flacon de sève ne serait donc pas en mesure de vendre la mèche à son réveil.
- Ne t’inquiète pas, il ne gardera aucun souvenir de notre échange. J’en ai utilisé une bonne poignée, assura Nélia, montrant sa bourse de poudre, pratiquement vide, à son amie. Il a immédiatement perdu connaissance, à l’heure où nous parlons il doit encore être plongé au royaume des songes…
Il était rare, à sa connaissance, qu'un humain s’évanouisse lorsqu’il était exposé à la poussière de fée. Il arrivait parfois qu’ils soient pris d’un léger étourdissement, mais le plus souvent, les personnes exposées à la sève étaient seulement un peu désorientées et reprenaient immédiatement le cours de leur vie. Par précaution, elle avait peut-être eu la main un peu lourde… Enfin bon, se dit-elle, le mal est fait et j’ai pu m’enfuir en toute tranquillité.
- Luciole ? Ne va pas si vite on va les perdre ! Luciole ?
Mais la petite fée qui allait de plus en plus vite fit mine de ne pas l’entendre. Elles commencèrent toutes deux à courir parmi les fourrés comme lorsqu’elles étaient enfants. Nélia oublia rapidement sa fatigue et se laissa gagner par le plaisir de cette course improvisée. Une brise légère vint caresser ses joues rosies par la fraîcheur de l’aube. Quel soulagement c’était de sentir à nouveau sous ses pas le craquement des épines de pin.
Ils avaient dépassé depuis longtemps les rares habitations humaines occupant le flanc de la montagne et, peu à peu, la nature semblait retrouver ses droits. Ici et là, la terre battue du sentier était marbrée de parcelles d’herbe tendre, parsemées de minuscules fleurs sauvages. Un voyageur non averti se serait étonné de trouver là une telle concentration de rosiers sauvages et de framboisiers fleuris en pareille saison. Il aurait été surpris par le nombre d'oiseaux qui chantaient en chœur au-dessus de sa tête, en parfaite harmonie avec le roulis tapageur de la rivière voisine. Sûrement se serait-il pâmé d’admiration face à ce tableau enchanteur. Il en aurait probablement conclu qu’en des temps pareils, il y avait là quelque chose de magique, et il aurait eu raison.
Toute à son admiration, elle perdit Luciole de vue. Elle la retrouva, quelques mètres plus loin, juchée au sommet d’un massif rocheux, surplombant l’horizon. Elle observait les montagnes. Nélia la rejoignit silencieusement, attendant patiemment que son amie lui parle de ce qui la dérangeait.
8 commentaires
mimilarouge
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Il y a 5 mois