Fyctia
Chapitre 1
Ville de Natchez, Mississipi, septembre 1852
Mama Lina, de nature optimiste et joviale, me répète sans cesse que chaque jour que Dieu fait a sa raison d’être. Pourtant, aujourd’hui, je ressens de l’angoisse en arrivant sur ce chemin bordé d’arbres immenses où j’aperçois la demeure de nos nouveaux maîtres.
— Faisons confiance en la vie, Lizzy, me glisse Mama à l’oreille.
Sa voix grave vient réchauffer mon cœur apaisant ma peur de ce nouveau changement de vie. Nous marchons depuis le début de l’après-midi et elle a su m’encourager lorsque je ralentissais le pas.
Aussi loin que mes souvenirs remontent, elle a toujours pris soin de moi. Lorsque je n’étais encore qu’un bébé, elle m’a raconté avoir promis à ma mère, avant sa mort, de me protéger jusqu’à la fin de ses jours.
Ses yeux brillent toujours lorsqu’elle me dit être tombée amoureuse de moi au premier regard, d’un amour filial indéfectible. À chaque fois que j’imagine la scène, je me vois dans ses bras épais et moelleux, positionnée contre sa poitrine volumineuse, tellement rassurante.
Le visage de Mama sourit de lui-même, ses yeux en amande pétillent, elle est ma mère de cœur. Ses cheveux sont presque toujours enroulés dans un fichu, ce qui fait ressortir ses joues saillantes. Sa silhouette est imposante, elle est plus grande que les autres femmes et plus forte. Elle n’a pas peur de tirer un rondin de bois ou encore de porter l’énorme sac pendant la récolte de coton.
Toutefois, cet aspect guerrier n’enlève rien à sa féminité et son côté maternant avec moi mais aussi les autres enfants s’avère très développé. C’est le genre de femme que tout le monde sollicite pour avoir des conseils, elle connaît les plantes qui guérissent et, chose exceptionnelle dans notre milieu, elle sait lire.
Soudain, je sors de mes pensées, car plus nous avançons sur l’allée qui mène à l’énorme bâtisse blanche, typique du Sud, plus la boule qui s’est formée au creux de mon ventre s’accroît.
Arrivé au pied de la demeure, notre groupe composé de dix esclaves patiente, sans échanger un mot. Les trois cavaliers qui nous ont conduits ici restent statiques autour de nous, lorsque notre nouveau propriétaire aux cheveux grisonnants sort de la bâtisse.
D’un pas décidé, il s’avance sur la terrasse qui nous surplombe tout en s’essuyant le front d’un tissu fin d’une main et tenant une pipe de l’autre.
Au moment où celui-ci s’arrête et relève la tête pour nous détailler du regard, la clarté de ses yeux m’interpelle. Ses pupilles semblent transparentes, je n’en avais jamais vu de telles. Sa peau ridée apparaît légèrement dorée, un chapeau vient le protéger de la morsure du soleil. Son costume fluide gris clair et sa chemise blanche soulignent son élégance naturelle.
Il fume sa pipe en silence, en continuant de nous observer quand son regard percute le mien et instinctivement mes yeux s’abaissent en guise d’excuse. Le nouvel arrivant attend quelques secondes avant de retirer l’objet fumant de ses lèvres afin de s’exprimer en adressant un signe de tête aux cavaliers qui nous encadrent :
— Le chemin s’est-il bien passé ?
— La transaction s’est faite comme convenu, nous avons cinq hommes forts, trois femmes et deux enfants. Le planteur devait vendre l’ensemble de son exploitation rapidement.
L’employé à la silhouette filiforme termine son explication en crachant grossièrement au sol du haut de sa monture, tandis qu’un autre précise :
— Ils ont été dociles tout le long de la route, nous n’avons pas rencontré de problème.
Le troisième, qui semble être le plus désagréable, tire sur ses rênes et s’exclame avec un sourire en coin, pour souligner les propos de son compagnon :
— Heureusement… sinon je m’en serais occupé et ils auraient vite compris comment se comporter.
Son cheval entame un demi-tour sur lui-même, quant à notre groupe, il reste silencieux et immobile, condamné à entendre parler ainsi sans broncher.
Le maître chez qui nous venons d’arriver semble réfléchir au compte rendu que l’on vient de lui faire, il continue de tirer sur sa pipe avec décontraction. Après un instant d’attente, il reprend la parole à son tour en s’adressant à son auditoire.
— OK. Nous allons partir sur de bonnes bases. Je m’appelle William Howard, je suis le propriétaire de ce domaine. Je suis venu vous chercher, car mon exploitation de coton se développe et j’ai besoin de monde pour travailler.
Il marque une pause pour reprendre une bouffée de fumée dans sa bouche, avant de la recracher lentement dans l’air. Puis, il ajoute d’un ton égal :
— J’aimerais que vous vous sentiez ici chez vous.
Nos yeux se soulèvent, étonnés par les propos que nous entendons puis comme un mouvement naturel, ils se rebaissent aussitôt.
M. Howard, lui, continue en désignant de la main un par un, les cavaliers qui nous entourent :
— Voici Head, Phil et Roy. Ce sont les encadrants des ouvriers, ce sont eux qui vous expliqueront le travail et qui vous attribueront les différentes tâches à réaliser. Si vous rencontrez des difficultés ou si vous avez des questions, vous pouvez vous en référer à eux. Si besoin est, ils m’interpelleront.
Je lève un œil discret vers le dénommé Roy qui nous scrute l’œil mauvais. Plutôt petit et rondouillard, son regard demeure sombre. Il semble importuné par notre présence. Ce serait la dernière personne à qui je m’adresserais en cas de problème. En revanche, ses collègues nous ignorent sans pour autant avoir l’air gênés par les dernières paroles de M. Howard.
— Vous ne m’appellerez pas « Maître », mais « M. Howard ». L’objectif est que vous puissiez prendre vos marques au plus vite sur l’exploitation. Ce soir, vous vous installerez et ferez connaissance avec les autres. Le dimanche est le jour du Seigneur, donc vous ne travaillerez pas. Head, Phil et Roy, je vous laisse les conduire sur leur nouveau lieu de vie. Bienvenue au Domaine des Roses, mon domaine. À demain.
L’homme tourne les talons, pipe à la bouche pour disparaître dans l’immense demeure.
Quelques secondes s’écoulent sans que personne ne bouge. Cependant, Roy nous ramène vite à la réalité :
— Allez ! On se bouge ! Suivez-nous et on accélère le pas ! Et ne vous inquiétez pas… moi aussi je ferai en sorte que vous vous sentiez ici chez vous…
Son sourire est chargé de sous-entendus.
Nous nous dirigeons aux abords des arbres où un petit village s’est constitué, plusieurs maisonnettes identiques en bois s’y trouvent.
Head, un homme grand et plutôt chétif, nous attribue nos nouvelles habitations. Mama Lina et moi entrons dans le nôtre. La cabane en bois est propre, nous voyons tout de suite qu’elle est neuve. Le logement est petit, mais bien plus agréable que l’endroit d’où nous venons.
— Nous allons faire de cette habitation notre cocon à toutes les deux, me dit Mama d’un ton rassurant.
Cette première nuit au Domaine des Roses, je m’endors dans les bras de ma mère de cœur en me disant que l’endroit n’est pas si mal et, qu’avec elle à mes côtés, tout ira bien.
8 commentaires
Sarah Pegurie
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Laeticia LC
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