Fyctia
Chapitre 2
Quelques mois se sont écoulés depuis notre arrivée au domaine, nous commençons à prendre nos marques sur l’exploitation, mais aussi parmi la communauté. Il y a beaucoup d’esclaves, M. Howard aime nous appeler ses ouvriers. Est-ce pour se donner bonne conscience ?
En tout cas, il fait en sorte d’améliorer nos conditions de vie en nous donnant accès à des objets du quotidien que nous n’avions pas sur notre ancienne exploitation. Nous avons la possibilité d’avoir du savon, des couvertures, des bougies, il fait en sorte que nous soyons correctement nourris, il nous laisse la possibilité d’entretenir un potager, afin de pouvoir diversifier ou agrémenter notre nourriture quotidienne.
Il verse aux adultes une petite solde lorsqu’ils font des travaux supplémentaires pour le domaine, notamment sur le temps du dimanche. Avec Mama, par exemple, nous confectionnons des paniers. Tous ces petits avantages permettent aux esclaves d’avoir plus que le minimum vital nécessaire à leur survie.
Aujourd’hui, je dois aider Bill aux travaux du jardin, Roy m’a attribué cette tâche depuis deux jours, car il estime que le vieil homme « traîne de plus en plus la patte ». Il lui a donc « donné une gamine » pour l’aider à porter ses seaux, aller chercher de l’eau et l’aider à planter.
Je l’ai entendu menacer Bill, même s’il lui parlait tout bas à l’oreille :
— J’espère que ça avancera plus vite, car si ce n’est pas le cas, je n’aurai plus d’autres solutions. Et s’il n’y a pas de solution… il y a sanction.
Le vieil homme a tressailli en entendant ses propos.
— Oui, m’sieur, j’vais faire en sorte d’avancer plus rapidement, la p’tite va m’aider, a répondu Bill.
— J’espère… a rétorqué Roy, le regard dur.
C’est ainsi que je me retrouve sur la propriété de M. Howard à porter mes deux seaux remplis d’eau à l’aide d’un manche en bois sur les épaules.
La chaleur est écrasante, nous sommes au mois de juin. Les cheveux couleur poivre et sel de Bill me font dire qu’il est âgé et que c’est pour cela qu’il rencontre des difficultés à maintenir la cadence. J’ai bien compris les insinuations de Roy si le travail ne se faisait pas assez vite.
Bill est gentil, je ne veux pas qu’il ait d’ennuis par ma faute, donc je m’efforce d’oublier la chaleur et la douleur qui irradie mes épaules pour continuer d’avancer. Pourtant, depuis mon arrivée, je ne m’étais jamais rendu compte à quel point le lac bordé par la forêt était loin de la maison. Aujourd’hui que je traverse cette distance fortement chargée, je n’ignore plus ce détail.
Bill m’explique qu’on ne peut pas utiliser l’eau du puits qui se trouve à côté de l’habitation, car avec cette chaleur il s’assèche et la priorité est de garder l’eau pour les habitants du domaine.
Me voilà donc partie à faire mon premier, mon deuxième, mon troisième aller-retour pour aller jusqu’au lac. Le chemin est parsemé de quelques branches, cailloux, que je mémorise et qui deviennent des repères pour moi.
De telle branche à tel caillou, je compte jusqu’à quinze, le suivant jusqu’à vingt et je vérifie à chaque passage le temps que je mets à avancer, cela me permet de m’évader et de moins penser à ma douleur.
Lorsque j’arrive à la hauteur de Bill une nouvelle fois, il m’interpelle :
— Viens voir par là, ma petite ! Arrête un peu ces allers-retours et bois un coup.
Je pose mes seaux et viens m’asseoir à côté de lui, tandis que je reprends ma respiration.
— Regarde les belles roses que j’entretiens depuis des années... Ne t’inquiète pas pour moi, Roy aussi je le pratique depuis quelques années maintenant. S’il souhaite me reprocher quelque chose, il le fera que le travail soit fait ou non. Alors, ne t’épuise pas pour moi.
Il me sourit, mais semble las, comme résigné.
— Pourquoi fait-il cela ? lui demandé-je.
Il me répond d’un air détaché.
— Parce que… ça l’occupe. Parce qu’il aime nous embêter… parce qu’il est mauvais, parce que c’est Roy, murmure-t-il, même si nous sommes que tous les deux à travailler ici ce matin.
— Un conseil d’ancien, ma p’tite, surtout ne te rebiffe pas contre lui, tiens-toi toujours un maximum à l’écart de cet homme. Il faut qu’il oublie que t’existes et tu s’ras tranquille.
Agenouillée dans la terre à côté du vieil homme, je reste pensive en assimilant ses conseils lorsqu’une calèche s’avance soudain dans la grande allée principale. Étonnée de voir un visiteur arriver en cette fin de matinée, je la suis des yeux tout en continuant de triturer le sol machinalement.
Le temps semble long entre l’arrivée de la voiture au portail et le moment où elle se poste devant la maison tellement cette allée est longue. Le domaine est vaste, les champs de coton s’étendent à perte de vue.
C’est la fin de la matinée, nous sommes bercés par le chant des esclaves qui s’affairent dans les rangées de l’exploitation. Mama Lina m’a expliqué, un jour, que chanter leur donne du courage, comme ils n’ont pas le droit de parler en travaillant.
Souvent, je me joins à leurs voix qui témoignent de notre condition, mais aussi de l’espoir.
C’est dans cette ambiance si particulière que je continue d’observer la calèche fraîchement arrivée.
M. Howard en descend le premier en glissant une main dans la poche de son pantalon, l’autre main portant sa pipe à ses lèvres, il attend que la personne suivante se montre.
Un jeune garçon aux cheveux châtain foncé mi-longs, qui semble légèrement plus âgé que moi, le suit. Lorsque celui-ci se tourne vers nous, repérant Bill dans le parc pour lui adresser un signe de la main, nos regards se croisent et ses yeux d’un vert intense me captivent en un instant. Je ne distingue même pas le reste de son visage, seul son regard compte. Une sensation bizarre me surprend : mon cœur se contracte.
Cependant, le jeune homme se détourne aussitôt, sans m’avoir prêté attention. Il paraît suffisant, mais visiblement moins que le jeune garçon qui lui succède.
Lui est brun et semble plus jeune, peut-être mon âge. Dès qu’il m’aperçoit, un regard dédaigneux s’inscrit sur son visage, ses iris sont bleus comme transparents, similaires à ceux de monsieur Howard.
Tous les trois se dirigent vers la maison en marchant côte à côte quand le plus jeune garçon se retourne de nouveau pour me dévisager. Instinctivement, je baisse hâtivement la tête pour me remettre au travail avec Bill.
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3 commentaires
Mille Tardigrade
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Il y a 8 mois
Jessica Goudy
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Il y a 9 mois