Fyctia
Chapitre 2 partie 2 : Quenan
Alex me fusille des ses yeux sombres.
Les joues de mon frère se sont creusées ces dernières semaines. Les ressources ont beaucoup diminué depuis quelques années autour du bunker. Chaque chasse ou cueillette nous entraînaient plus loin nous obligeant même parfois à devoir dormir perché dans un arbre, un fusil à la main, cran de sûreté déverrouillé. Beaucoup trop ne sont pas revenus. Nous avons dû rationner. La viande a commencé à manquer. Les réserves de munitions ne nous auraient pas permis de continuer très longtemps. Ce mode de vie qui avait assuré la survie de nos ancêtres n’étaient plus en mesure d’assurer la nôtre sur du long terme. Nous devions penser aux générations futures. Mais quelles générations au final? Notre refuge sécurisé n’avait pas vu la naissance d’un nouveau né depuis celle de mon frère il y a de ça quinze ans.
Mon regard balaie mon groupe. Toutes les femmes y sont plus âgées qu’Alex et moi. Ses gens, je les ai toujours connu. Kate, Airell, Laurie, Zwen. Sarah. Elle a soufflé sa trentième bougie juste quelques jours avant de partir. Au fil des années et des générations les sentiments sont devenus secondaires. Seule la survie de l’espèce comptait. Les dernières époques n’ont vu la naissance que de garçons. Avec le recul, j’en suis venu à penser que le virus n’avait pas fait que de nous épargner, il nous avait sans doute changé. A vingt ans, je n’ai jamais embrassé une fille ni éprouvé les sentiments similaires à la description de mes ancêtres. Comment appelaient-ils cela déjà? Ah oui, de l’amour. Des picotements de la poitrine. Une attirance. Des palpitations. Tout cela m’est inconnu et le restera peut-être jusqu’à ma mort.
La sortie du bunker et la recherche de potentiels survivants est devenu petit à petit un évidence mais surtout une nécessité.
En restant cloisonné sur place, notre groupe de survivants ne passerait pas ce siècle.
Je serre l’épaule de mon frère avant de me redresser, me saisit de mon fusil et rejoins notre petit groupe à bout de forces, Alex sur mes talons.
- L’accès à la ville est impossible pour le moment. Nous allons rebrousser chemin jusqu’à la grotte aperçue tout à l’heure.
Je désigne les femmes de la main.
- Essayez de cueillir un maximum de fruits.
Je désigne quelques hommes.
- Vous vous chargerez du bois. Nous devrons maintenir un feu dissuasif à l’entrée et un autre nous sera nécessaire à l’intérieur pour l’éclairage.
- Tu n’as pas peur que cette grotte soit habité par un animal ? me demande notre infirmière Sarah, une jolie femme au sourcil barré d’une cicatrice écopée lors d’une partie de chasse en ma compagnie. Un ours peut-être ou quelque chose de pire? ajoute-t-elle la voix tremblotante.
- C’est un risque à prendre mais si ça n’est pas le cas, nous n’aurons que l’entrée à garder et cela permettra à plus d’entre nous de se reposer.
J’essaie de conserver un minimum d’assurance et pourtant, en dehors de mon frère, je suis plus jeune que tous les membres de mon groupe et me retrouve responsable de leur vie.
- Je prends la tête. Alex fermera la marche. Vous deux, mettez vous au milieu et restez sur vos gardes. Dans une végétation si dense, une attaque peut survenir de n’importe où.
Arme au poing, j’ouvre la route. Les femmes cueillent ce qu’elles parviennent à trouver sans s’éloigner du petit sentier que nous suivons. Le ramassage de bois est beaucoup plus productif. Je complète mon grand sac à dos avec quelques morceaux supplémentaires et scrute le haut des arbres pour y déceler de quoi nous nourrir. Grimper ne me dérange pas mais je n’y aperçois aucunes denrées comestibles..
Le groupe avance trop lentement. Si ma mémoire est exacte la grotte se trouve encore à une heure et la luminosité décline déjà. Personne ne pose de questions et je me garde bien de les informer de la durée restante à parcourir encore. Je presse le pas. Tous s’alignent sur mon rythme. Nous devons y parvenir avant la nuit. Le jour, les attaquent sont plus faciles à détecter mais la nuit, sans lumières, nous allons nous faire massacrer par les animaux. J’ai appris dans mes livres que les félins voyaient dans l’obscurité comme en plein jour. Nous ne possédons pas cette faculté.
La tension m’habite.
Ma mâchoire se crispe.
Pourvu que mon sens de l’orientation ne m’ai pas joué un mauvais tour et que je ne nous ai pas égaré au milieu de cette jungle.
Des bruissements sur ma gauche me font sursauter. Sarah et Laurie étouffent un cri alors que les hommes armés pointent leur fusil dans la direction du bruit. Je distingue à peine Alex en fin de groupe.
Mes doigts se resserrent autour de mon arme.
- Nous devons accélérer encore. j’ordonne tout bas.
Le groupe se remet en mouvement en passant à la vitesse supérieure.
La tension est palpable.
Tout le monde retient son souffle à chaque pas.
Nous n’y arriverons jamais avant la pénombre.
Les mots de mon frère tournent en boucle dans mon esprit. Je n’avais peut-être pas les compétences pour mener un groupe du haut de mes vingts ans.
Des branches craquent et tombent dans les fougères.
Des braillements raisonnent en cacophonie au-dessus de nos têtes.
J’aperçoie la grotte.
J’ordonne à tout le monde de foncer droit vers elle sans se poser de questions.
Je tire un salve de mon automatique vers le ciel.
Tout s’agite autour de nous.
Ils sont très nombreux et grouillent partout.
Je dois protéger mon frère.
- Alex, va avec eux. Allumez un grand feu à l’entrée.
- Je peux rester avec toi!
- Fais ce que je te dis.
- Et si elle est habitée ta putain de grotte?
- Nous n’avons pas le temps de faire une visite guidée pour le savoir. DEGAGE ALEX! Christian, va avec lui. COURREZ !! je leur ordonne.
Alex jette un dernier regard dans ma direction avant de s’élancer à la suite des autres.
Des salves de tirs résonnent de leur côté.
Celles de Ronan et moi leurs font échos. La luminosité entre chien et loup trompe notre regard. Nous sommes encerclés d’ombres et de silhouettes en mouvements dans les herbes hautes.
La psychose s’installe petit à petit dans mon esprit.
Ronan semble dans le même état de stress que moi.
Des bruits s’élèvent.
Sont-ils réelles ou imaginaires?
Mes mains sont moites.
Mon arme glisse.
La tension et l’angoisse me dévorent.
Des cris humains m’alertent. Des appels au secours.
- ALEX! je hurle en courant vers la grotte, Ronan sur mes talons.
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