Fyctia
Chapitre 2 partie 1 : Quenan
En cette fin de journée, le regard perdu dans le vide sur cette ville délabrée, je réfléchis à un moyen de l’atteindre. Les feuillages denses et la mousse se mélangent au béton des bâtiments. Les anciennes routes rongées par l’érosion ne ressemblent plus qu’à des allées d’herbes hautes. Aucun doute possible sur le fait que les bêtes nous tomberons dessus dès notre approche. Elles nous traquent chaque jour. A chaque pas. Tapis dans notre ombre lors de nos moindre déplacements. Et pourtant nous continuons d’avancer coûte que coûte à travers cette jungle.
L’espoir nous y pousse.
L’espoir de croire aux paroles et aux légendes de nos ancêtres
L’espoir que cette ville existe
L’espoir de trouver un jour HOPE.
- Quenan, le soleil commence à descendre derrière les vieux grattes ciels. Nous ne pouvons pas rester à découvert une nuit de plus.
- Je sais. je réponds à Alex sans lui faire face.
Mais comment ? Comment approcher cette ville sans risquer de servir de dîner ? Je n’en ai aucune idée. Pourtant nous devons trouver un endroit sûr pour la nuit, voir un peu plus. Le groupe est à bout de forces. Notre sortie ne date que de quelques jours. Au coeur de cette jungle aux multitudes de cris et de bruits plus étranges les uns que les autres, la chaleur et la moiteur du climat nous épuisent après autant de temps passé sous terre. Nous commençons à manquer d’eau potable, sans parler de nos estomacs vides criant presque famine. Tout est plus difficile que nous l’avions envisagé après notre décision de partir en quête d’une légende.
Un bref tour d’horizon de la trentaine d’hommes et de femmes assis sur le sol me confirment leur état semblable au mien.
- Nous devons rebrousser chemin. j’annonce à Alex.
- Tu te fous de ma gueule? Il nous reste à peine moins de cinq cents mètres pour atteindre le premier bâtiment là-bas.
- J’ai l’air de me foutre de toi ?
- J’aurais dû me douter que tu n’aurais pas assez de couilles pour mener le groupe. Tu baisses déjà les bras. Dégonflé.
Sans réfléchir j’empoigne le col élimé de son polo pour approcher son visage à quelques centimètres du mien.
- Tu peux répéter, ALEX ?
- Dégonflé. me cracha-t-il à la figure un rictus de satisfaction étirant ses lèvres.
Je ne me suis pas imposé en tant que leader. Seulement à cause de ma connaissance des légendes transmises de génération en génération par ma famille, la plus part me croit capable de les conduire jusqu’à HOPE. Pourtant je n’en connais pas le chemin.
Avec le temps, certains savoirs élémentaires se sont perdus. Nous avons jugé utile de ne plus les transmettre puis, au fil du temps, une langue commune s’est imposée. Parmis nous, beaucoup ne savent plus ni lire ni écrire.
Nous avons vécu pendant des siècles en autarcie sous terre à fuir le virus responsable de notre extinction et de notre régression. Depuis notre sortie, je me demande à chaque instant si nous sommes les seuls humains foulant encore ce sol.
J’ai eu la chance de naître dans une famille jugeant l’apprentissage et la transmission de notre culture très importante. Mon père m’a enseigné la lecture et l’écriture tout comme ses ailleux l’avaient fait avec chaque génération. Ma mère me contait les légendes de notre espèce chaque soir avant de m’endormir. Jusqu’au jour où…
Je chasse cette pensée. Le sentimentalisme n’est pas un bon allié dans la survie.
Alex me gonfle. Sa jalousie déplacée de mon statut non désiré n’a pas lieu d’être. Je ne suis pas né chef et je ne m’en sens pas la carrure. J’ai endossé le rôle que tout le monde voulait m’attribuer. J’ai pris mon courage à deux mains pour nous sortir de ce bunker au lieu d’y mourir sans jamais avoir revu une dernière fois le bleu du ciel et le soleil. Le désespoir en a tué plus d’un, tout comme la folie de ne pas pouvoir sortir et respirer à plein poumon un air pur, autre que vicié et recyclé depuis des siècles.
Je ne veux pas mourir avant d’avoir tout tenté. Je veux survivre et croire aux légendes. Je veux croire que nous ne sommes pas les seuls et trouver d’autres humains et peut-être cette ville d’espoir où nous pourrions enfin cesser de craindre toute espèce animal.
Je le relâche, l’attrape avec brusquerie par le cou et colle ma bouche contre son oreille afin de ne pas parler trop fort.
- Regarde autour de toi avec plus de précision et de discernement. j’articule entre mes dents.
- Tu m’emmerdes Quenan!
- Ferme ta gueule et regarde. je lui ordonne tout bas en lui flanquant des jumelles dans les mains. A droite du bâtiment. Tapis dans les hautes herbes. Les taches de couleurs. Les mouvements dans les broussailles et les feuillages.
- Bordel de merde.
- Tu piges maintenant?
Alex baisse les jumelles et ses épaules s’affaissent simultanément.
- Mes années de chasse pour vous nourrir m’ont appris à observer le moindre centimètre pour ne pas me faire attaquer et rester en vie. Un moment d'inattention et s’en est fini de toi. Tu croyais peut-être que chasser était une simple promenade de santé? Que je me la coulais douce pendant que tu étais de corvée d’épluchage de patates? Crois-moi aujourd’hui, depuis le virus, la nature a repris ses droits. Les animaux sont supérieurs en nombre et connaissent le terrain beaucoup mieux que nous. Je les soupçonne même parfois d’être plus intelligent que ceux ayant vécu à l’époque de nos ancêtres.
- Ce qui veut dire?
- Tu n’as pas lu les livres relatant l’histoire de l’humanité?
- Je ne sais pas lire correctement Quenan. Tous ces bouquins poussiéreux noircis d’encre ne m’intéressent pas.
- Tu aurais peut-être dû passer plus de temps avec notre père et notre grand-père plutôt qu’à t’adonner aux divers sports du bunker et passer tes heures à la salle de musculation.
- Ne me donne pas de leçons. Tu n’es pas notre père.
- Non je ne le suis pas mais tu vas m’écouter avant de nous faire tous tuer et que la race humaine si nous en sommes les derniers survivants ne s’éteignent à cause de tes conneries. Avant le virus, notre civilisation dominait le monde. Certaines espèces d’animaux sauvages étaient exposés aux humains dans ce qu’ils appelaient des zoos. Des endroits regroupant des échantillons de plusieurs espèces. Dans le monde d’aujourd’hui l’espèce humaine a été décimé. Les rôles se sont inversés. Si tu avais écouter les légendes tu saurais tout cela mais tu n’écoutes jamais rien. Ni personne.
- J’en ai marre de marcher depuis des jours et de dormir dans des cercles de petits feux à même le sol en montant la garde à tour de rôle une arme à la main. Tous ses bruits, ses cris, ses plaintes me glacent le sang ! Je n’en peux plus ! Nous aurions dû rester dans le bunker. Au moins nous y avions un minimum de confort.
- Un confort bien sommaire à mon goût. Et un avenir déjà tout tracé. L’effectif n’a cessé de décroître. Mais libre à toi de retourner avec ceux qui ont choisi de rester là-bas.
- C’est facile de dire ça alors que nous sommes à une demi semaine de marche.
- Tu n’as pas les couilles d’y retourner tout seul comme un grand ? j’ironise.
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