Mélanie Chloé Sevilda Eurybia et le Hollandais Volant Charybde et Scylla 1/2

Charybde et Scylla 1/2

Alors que nous échangeons sur le pont quant à la marche à suivre, l’équipage - tout juste sorti du brouillard des évènements - décide de diriger sa colère vers ses supérieurs. Évidemment. Une mutinerie nous pend au nez.

— D’abord le Cap des Tempêtes, ensuite les sirènes ! s’agace un des matelots les plus proches.

— Je ne serais pas le prochain sacrifié au bon vouloir d’un capitaine égoïste !

— Je n’ai pas signé pour combattre des monstres marins ! clame un autre, parlant de toute évidence de Poséidon.

Le peu d’hommes qui subsiste reste tout de même supérieur numériquement face à Hopkins et moi-même, et leur agitation - justifiée - risque de nous causer plus de problèmes que ce que nous affrontons déjà.

— Messieurs, calmez-vous ! intime Hopkins.

— Comment voulez-vous qu’on se calme ? Je ne sens plus mon cœur battre !

Beaucoup acquiescent du même état et la panique saisit ceux qui ne s’en étaient pas rendu compte. Je saute sur l’occasion, espérant amadouer la foule en leur tendant une très belle carotte :

— Nous étions justement en train d’aborder ce sujet et il n’y a pas lieu de s’inquiéter. Bien au contraire ! Il me semble que nous ayons tous été bénis par les dieux et dotés de l’immortalité.

Un silence parcourt l’équipage.

— « Bénis » ? me chuchote Hopkins. Tu vas un peu loin là, non ?

— Immortels ? murmurent plusieurs marins.

— Comment savoir si ce que vous dites est vrai ? questionne un mousse.

— Moi, j’appellerais plutôt cela être « maudit » ! s’écrie son voisin.

À ce moment-là, ce qui reste des voiles se gonfle et mon bateau vogue seul, comme poussé par une main invisible, vers l’entrée des deux récifs menaçants qui nous ont accueillis à notre arrivée.

— Nous allons vite le savoir ! conclus-je.

Hopkins n’a pas encore compris, mais plus nous nous en approchons, plus j’en suis certain : devant nous se dresse, jusqu’aux cieux, la demeure de la terrible Scylla et non loin doit se tapir Charybde la sournoise, puisque l’une ne va pas sans l’autre.


La proue franchit à peine l’antre du monstre, que le vent cesse et les voiles retombent. Le navire ne s’arrête pas pour autant et il est emporté par le courant ; impossible de faire demi-tour. Nous sommes prisonniers de Scylla, la rocheuse.

La survie de tous prend le dessus sur la révolte sous-jacente de l’équipage qui, sous les ordres d’Hopkins, tente de dominer la voilure en lambeaux pour immobiliser le bateau. Les parois acérées de ce sillon étroit éraflent mon vaisseau qui semble crier sa douleur. Si nous continuons ainsi, il ne restera bientôt plus grand-chose de la coque.

— Qu’ils prennent ce qu’ils trouvent pour s’écarter comme se peut de la roche, ordonné-je à mon second. Balais, planches, leurs propres épées, qu’importe ! Et qu’on fasse ralentir ce bateau, bon sang !

Non sans quelques égratignures, les hommes finissent par maîtriser notre vitesse tandis que je manie avec une délicatesse extrême la barre pour anticiper chaque virage de ce dédale infernal.

Un regard en arrière et les derniers rayons du jour, qui nous a éloignés des sirènes, nous abandonnent alors que la porte de notre nouveau tourment disparaît.

La nuit artificielle de Scylla nous engloutit doucement et seule une faible lueur mystique se réfléchit sur la roche noire et l’eau frémissante.

Pendant un temps indéfinissable, nous voguons lentement dans cette atmosphère pesante, sans que le moindre murmure ne trahisse la peur viscérale qui étreint chaque marin.

Moi y compris.

Car je sais que ce n’est que le calme avant la tempête. Ce que je ne sais pas en revanche, c’est la nature de cette tempête. Qu’est-ce qui va nous tomber dessus ?


Hopkins me rejoint sur la dunette et brise finalement le silence.

— Qu’est-ce que tu ne me dis pas ?

— C’est Scylla.

Il me regarde droit dans les yeux ; plusieurs émotions traversent les siens.

— Je m’en doutais un peu, mais je ne voulais pas y croire. Cependant, non pas que le calme me dérange, n’est-elle pas censée… nous empêcher de passer ?

— C’est pourquoi nous devons rester sur le qui-vive.

— D’après la légende, douze pieds tentaculaires l’aideraient à se déplacer tandis que ses six têtes monstrueuses déchiquettent les malheureux qui osent s’introduire chez elle, énonce-t-il plus pour lui-même que pour m’apprendre quelque chose que je connais et redoute déjà.

— Têtes à moitié chien sauvage, à moitié serpent, complété-je avec autant de stoïcisme que je le peux. Toujours aussi enthousiasmé par l’aventure, mon ami ?

— Plus que jamais ! Et puis il paraît que nous sommes immortels, alors pourquoi s’en faire ?


Nous finissons par déboucher sur un passage plus large qui épargne la coque du navire et permet à l’équipage de souffler.

Le peu de lumière qui se fraye un chemin depuis les cieux, se reflète ici avec plus d’ardeur. La mer, opaque, est quasiment noire et elle vibre étrangement.

— J’ai une autre question…

— Laquelle ?

— Si ces récifs sont la maison de Scylla, où se trouve Charybde ? s’inquiète mon second qui a le don de toujours poser les questions dérangeantes au moment opportun.

— Chaque chose en son temps, Hopkins.

Ma vue s’habitue doucement aux ténèbres et je finis par distinguer tous les recoins de la roche qui nous surplombe. Ça et là, bien au-dessus de nos têtes, de multiples cavités sombres sont creusées à même la pierre.

Hopkins lève les yeux à son tour et nous échangeons un regard entendu : cela n’annonce rien qui vaille.

Comme une réponse à notre inquiétude, un feulement strident résonne sur les parois tranchantes. Le bruit glaçant paralyse les matelots et la peur, endormie par notre avancée jusque-là silencieuse, se propage sur le pont.

Le cri s’intensifie, l’eau vrombit.

L’équipage, quelques heures auparavant prompt à se mutiner, se tourne comme un seul homme vers moi, dans l’attente d’un ordre, d’une solution.

Je sors mon épée, et à ma suite chacun brandit son arme : sabres, pistolets et haches pointent de toutes parts.

— Messieurs, tenez-vous prêts ! L’ennemi arrive et il n’est pas beau à voir !

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15 commentaires

Eva Boh

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Il y a un an

J’adore ce titre. Toutes ces références à l’Odyssee sont super. Tu as déjà lu Ulysses, de Joyce ?

Mélanie Chloé Sevilda

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Il y a un an

Merci :D ! Non jamais lu, mais c'est déjà dans ma wish list ;)

Mary Lev

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Il y a un an

Par contre je trouve Hopkins un peu inconstant. Il me semble qu'il n'y pas si longtemps il était terrorisé ? Le côté léger du capitaine colle bien avec son caractère et fait de plus en plus penser à Jack sparrow (un peu trop peut être mais à toi de voir). Par contre Hopkins prends les choses un peu trop bien je trouve, mais peut être que le fait de lire en pointillés accentue cette impression je ne sais pas. Le reste de l'équipage est toujours aussi flou, on aimerait avoir un ou deux pirates décrits et avec des noms, ce serait plus fun ;)

Mélanie Chloé Sevilda

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Il y a un an

Je suis justement entrain d'organiser l'approfondissement de l'équipage dans la réécriture, ;) c'est en effet un conseil qui est revenu plusieurs fois. Oui, apparemment le Capitaine fait bcp pensé à Sparrow, bien qu'il soit, dans mon esprit, moins extravagant ! Je vais voir pour atténuer la ressemblance. Je ne m'étais pas rendu compte pour Hopkins, j'y ferais attention à la relecture 👍

Mary Lev

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Il y a un an

Tu mélanges bien dans ce chapitre l'univers de la piraterie avec celui de l'Odyssée. On le retrouvait déjà au chapitre d'avant avec la confrontation des sirènes. Je ne sais plus comment Ulysse avait géré le passage charybde et scylla et je n'avais jamais vraiment bien compris la teneur de ces "trucs" mais j'avoue que tes descritpions m'ont bien aidées à visualiser scylla donc je ne sais pas si tu t'es inspirée de l'Odyssée ou si ça vient de toi mais tu as éclaircis une ombre dans ma tête ^^

Mélanie Chloé Sevilda

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Il y a un an

Merci ça me fait plaisir ! Ces "trucs", j'adore et on est d'accord ^^. Oui j'essaie de coller au mieux à la mythologie grecque avec quelques petits ajouts de ma part ;).

clecle

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Il y a un an

j'aime bien la tension que tu instaures ici et la peur générée par ces créatures.

Gottesmann Pascal

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Il y a un an

De Charybe en Scylla le vaisseau n'a pas fini de se heurter à tous les obstacles possibles et imaginables. Courage à tout l'équipage.

Jess Swann

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Il y a un an

Très bon chapitre encore une fois, il y a de l'action et la relation entre le capitaine et son second est dynamique ! J'ai hâte de voir comment ils vont s'en sortir

Mélanie Chloé Sevilda

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Il y a un an

Merci beaucoup ! :D
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