Fyctia

Le brouillard obscur se dissipant lentement au-dessus de leurs têtes, les elfes évitent au mieux les cadavres jonchant le sol et rejoignent Maeva. Le cœur lourd, Lana se penche et pose doucement une main sur l’épaule de la jeune femme. Témoin de la douleur de la jeune femme, elle ne trouve aucun mot pour la rassurer.

— Je suis réellement désolée pour ton amie, mais il n’y a rien que nous puissions faire. Les spectres drainent leurs victimes de leur essence vitale. Personne ne peut survivre à leur toucher.

— C’est faux ! explose Maeva. J’ai touché cette chose et je l’ai détruite.

N’ayant pas assisté à l’exploit en question, Lana reste sans voix un moment. Pendant ce silence, une forme élancée s’approche. Littéralement nez-à-nez avec un l’immense tigre au pelage blanc, Maeva sursaute. Elle n’est toutefois pas au bout de sa surprise puisque l’animal change soudainement de forme pour laisser place à une jeune elfe aux traits fins et à la longue chevelure d’un blond presque blanc.

— Elle dit vrai, lance la nouvelle arrivante. Je l’ai vu. Elle a pris le spectre par le poignet et l’a fait disparaître sans faire le moindre geste ou dire une quelconque parole.

— C’est impossible, Zanael ! Personne ne peut détruire une telle entité simplement par la pensée. Tu as manqué quelque chose dans la frénésie du combat.

— Je sais ce que j’ai vu et entendu, mère ! se défend la tigresse.

— Arrête ! Je…, réprimande Lana.

— Ça suffit ! interrompt brusquement Maeva. C’est de mes actions dont il est question. Je n’ai jamais menti et je ne commencerai pas aujourd’hui. J’ai bien détruit cette chose simplement par contact. Je n’ai fait appel à aucun sort, qu’il soit gestuel, vocal ou spirituel. Tout ce que je sais, c’est que j’ai ressenti toute cette énergie en moi et je l’ai transférée vers le spectre. Ensuite, cet inconnu a fait resurgir tous ces morts-vivants et vous êtes arrivées. À présent, excusez-moi, mais mon amie a besoin de moi !

Consciente de son impolitesse envers l’elfe de haut rang, Maeva ne regrette pourtant pas un seul mot. Incapable d’accepter la perte de Sacha après seulement quelques heures en sa compagnie, elle n’a qu’une idée en tête, lui insuffler cette énergie dont le spectre l’a privée. À sa poitrine, elle sent encore la douce chaleur du pendentif, mais tout est flou dans sa tête. Un instant, elle craint le retour de la présence obscure, mais c’est une voix pure et cristalline qui résonne cette fois dans sa tête.

« Attention, Maeva. Tu ne contrôle pas encore ta puissance. Laisse-moi t’aider. Ouvre ton esprit à ma présence. »

Encore sous le choc du combat qu’elle vient de mener, la jeune femme hésite. Sur sa poitrine, le pendentif vibre, phénomène qui ne se s’est jamais produit avant et qui a pour étrange effet de la rassurer. Laissant tomber toutes les barrières, elle accueille la mystérieuse voix.

« J’ai la capacité de transférer une partie de ton énergie vitale à ton amie. Tu dois toutefois savoir que tu seras alors liée à elle à jamais. »

« J’accepte ! »

« Tu en es certaine ? Ce n’est pas une décision à prendre à la légère. »

« Tout cela est de ma faute. Aidez-la, je vous en prie. »

« Sache que cela pourrait nuire à ta mission. Les elfes vont croire que tu pratiques la nécromancie, une magie qu’elles méprisent plus que tout. »

« Je leur expliquerai. S’il vous plait, faites quelque chose. Je ne supporte pas l’idée de la perdre. Pas maintenant. »

Maeva sent alors ses mains s’animer d’elles-mêmes, ses paumes se plaçant de chaque côté du visage terne et froid de son amie. Elle sent ensuite une vive brûlure se répandre dans ses veines, puis tout devient noir. À ses côtés, les elfes assistent alors à une scène irréelle. Tout le corps de Maeva s’entoure d’un d’abord halo lumineux, ses yeux dorés brillant tels de véritables soleils. Puis, sous ses mains, la peau de Sacha reprend d’un coup une teinte rosée, ses yeux jusque-là révulsés reprenant leur position normale dans leurs orbites. Sur sa nuque, les lacérations s’estompent, ne laissant que de fines cicatrices comme seules témoins de l’attaque mortelle du spectre. Sacha se redresse peu après d’un bond, son regard hagard ancré sur Maeva qui est encore à genoux.

— Que s’est-il passé ? demande simplement la ressuscitée.

Pour Maeva, le temps est figé. Dans sa tête, la voix résonne à nouveau.

« Je sais que tu te poses beaucoup de questions en ce moment et j’aimerais pouvoir t’en dire plus, mais le temps n’est pas encore venu. Je suis désolée. »

Disparaissant aussi soudainement qu’elle est apparue, la voix quitte l’esprit de Maeva, ne laissant qu’un brouillard épais dans sa mémoire. Incertaine à présent de ce qui vient de se produire, elle n’a conscience que d’une chose : Sacha est vivante. Près d’elle, Lana affiche un regard consterné qui a tôt fait d’inquiéter la jeune femme.

— Comment as-tu fait ? demande l’elfe, le visage déformé par la peur. Seule la nécromancie peut annuler l’effet d’un touché spectral.

— Jamais je ne pratiquerais une telle magie, encore moins sur mon amie ! se défend Maeva. Je n’ai aucune idée de ce qui m’arrive. Je me sentais coupable du sort de Sacha et j’ai voulu la sauver. Ensuite, tout est flou dans ma mémoire. C’est exactement comme la dernière fois, lorsque j’ai lancé ce sort qui a arrêté le temps. J’aimerais vraiment pouvoir vous répondre, croyez-moi, mais je suis complètement perdue.

— Sais-tu au moins quelle est cette chose que nous venons d’affronter ? Je connais peu de créatures capables de résister à un sort combiné comme celui que nous avons lancé.

— Je n’en ai aucune idée. Tout ce que je sais, c’est que cet homme voulait que je me joigne à lui et qu’il était prêt à me faire du mal jusqu’à ce que j’accepte.

— À cette distance, il a utilisé la télépathie je suppose ? s’inquiète Lana.

— En effet. Il a aussi réussi à me paralyser simplement par sa présence dans mon esprit.

— Ayant une bonne idée de ta maîtrise de la magie psychique, j’avoue que c’est particulièrement inquiétant. Cette chose doit être une entité spirituelle très puissante. S’il trouve un nouvel avatar capable de l’accueillir, il reviendra certainement te trouver. As-tu déjà quitté le domaine de l’académie avant aujourd’hui ?

— Non. Pourquoi cette question ?

— La barrière qui protège la Magic Academia est une forme de magie ancestrale excessivement puissante. À l’intérieur, même les plus grandes forces de ce monde ne pouvaient déceler ta présence.

— Est-ce que cela compromet ma visite dans votre école ?

— Si tu t’en sens encore la volonté, tu restes la bienvenue chez nous. Une barrière similaire est en place autour de notre école, donc tu y seras en sécurité. Nous possédons aussi beaucoup d’ouvrages qui pourraient te permettre d’en apprendre un peu plus sur tes étranges capacités.

Ravie par la possibilité d’en apprendre plus, Maeva n’hésite pas une seconde à accepter. Toutefois, dans les circonstances actuelles, elle comprendrait si Sacha ne souhaitait plus l’accompagner.