Fyctia

Toutefois, dans les circonstances actuelles, Maeva comprendrait si Sacha ne souhaitait plus l’accompagner.

— Je souhaite toujours y aller, commence Maeva d’une voix triste. Mais toi, Sacha, tu as la possibilité de retourner auprès de ta mère et de tes amies. Tu n’as pas à craindre cette menace qui pèse principalement sur moi.

Encore confuse, Sacha n’a pas entièrement saisi toute la conversation, mais une chose est claire : elle doit la vie à son amie. Puisant dans tout son courage, elle lui prend la main.

— J’ai senti ta présence dans mon esprit et je sais très bien que je n’aurais pas dû survivre à cette attaque spectrale. Grâce à toi, je suis toujours là. Il est hors de question que je te laisse affronter seule des ennemis dont nous ne connaissons pas la nature. Même si je suis terrifiée, je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour t’aider.

— J’ai très peur moi-aussi, mais ta présence à mes côtés me rassure. Ce que tu as fait tout à l’heure était très impressionnant.

— Malheureusement, ce sort m’a pris toute ma force, me rendant ensuite vulnérable. Désolée, mais je suis loin d’être assez puissante pour te défendre contre une telle menace.

— Peut-être pas aujourd’hui, mais cela viendra. Nous en avons encore beaucoup à apprendre, moi encore plus que toi.

Touchée par le lien qui unit les deux jeunes femmes, Lana les laisse discuter un moment et s’éloigne afin de discuter en privé avec ses compagnes.

— Vous avez une idée de ce qu’était cette chose ? demande-t-elle d’une voix inquiète.

Inconfortables, aucune des deux ne répond, ce qui laisse la chance à Zanael de prendre la parole même si la question ne s’adressait pas à elle.

— Quand je suis arrivée dans la clairière, j’ai tout de suite senti une présence obscure. Ces soldats n’étaient pas le résultat d’un sort d’invocation, mais bien des cadavres humains réanimés par une magie sombre. Mêmes démembrés, les corps cherchaient encore à se relever jusqu’à ce que le phœnix élimine cette silhouette encapuchonnée. Quoi qu’ait été cette chose, elle maîtrise la nécromancie.

— Ça nous l’avions déjà compris, Zanael, répond Lana, exaspérée. Tu es encore jeune, il y a encore beaucoup de choses que tu ignores sur notre monde et sur les menaces qui le hantent.

— Votre âge ne semble pourtant pas vous apporter plus de réponses puisque tu te questionnes. Si tu veux mon avis, sachant que tout ceci tourne autour de la nécromancie, les elfes ne seront pas la meilleure source de connaissances et tu le sais.

Sur ces mots, Zanael reprend sa forme animale et s’éloigne sans attendre la réponse certainement exaspérée de sa mère. Un peu plus loin, Maeva n’a rien manqué de leur conversation tendue et s’approche, intriguée.

— Excusez-moi de me mêler de ce qui ne me regarde pas, mais comment votre fille peut-elle se transformer ainsi sans recourir à aucun sort de métamorphose ? Je n’ai rien lu à propos d’un tel don inné chez les elfes.

— Tu as le droit de savoir, commence Lana d’un ton solennel. Zanael n’est pas une elfe. C’est une métamorphe orpheline que j’ai adoptée il y a plus de cinquante ans dans des circonstances pour le moins difficiles.

La gorge nouée suite à ses dernières paroles, Lana s’arrête un moment. Cette pause permet à Maeva de chercher dans sa mémoire toutes les informations accumulées au fil de ses lectures. Tout lui revient en un flash : les métamorphes, avec leur soif de pouvoir et de conquête, ont toujours été la principale menace pour les elfes, bien au-delà des humains. Cette information laisse la jeune apprentie perplexe : pourquoi avoir accueilli Zanael chez-elle ? Incapable de garder l’hypothèse qui germe dans son esprit pour elle, Maeva se lance, espérant de pas brusquer l’elfe.

— Vous êtes responsable de la mort de ses parents, n’est-ce pas ?

— Effectivement. Notre armée a complètement rasé son village en représailles à une attaque contre les nôtres. Ses parents ont refusé de fuir, prétextant être pacifiques et nos soldats les ont abattus. Quand je suis arrivée, ils s’apprêtaient à exécuter Zanael, mais je les ai arrêtés. Je voyais bien dans le regard terrifié de cette enfant qu’elle ne leur voulait aucun mal. Sous leur forme humanoïde, elle et sa famille ne représentait même pas une menace. Je l’ai dès lors pris sous mon aile et, avec son aide, j’ai pu convaincre un certain nombre de métamorphes pacifistes de revenir au village en leur assurant ma protection et de l’aide pour la reconstruction.

— Et vous êtes parvenue à maintenir la paix ? se permet de questionner Maeva, émerveillée par les actions de Lana.

— Il y a des tensions par moments, mais rien de grave. Comme tu peux voir, j’ai une vision très semblable à la tienne en ce qui a trait aux conflits entre nos peuples. Si nous laissons les choses aller et répétons continuellement les erreurs du passé, les guerres viendront à bout de tout ce qui nous est cher. Voilà pourquoi je tiens à t’appuyer. Le conflit entre les elfes et les humains doit cesser et cela ne sera possible que si cette génération en comprend la nécessité. Malgré tout ce qu’elle a vu, Zanael pense comme toi. Certes, elle est réticente à faire confiance aux elfes, surtout nos soldats, mais elle ne cherche pas la vengeance, ce qui est déjà un exploit à mes yeux.

— Merci de vous être ouverte à moi. Je comprends mieux votre appui et cela me motive à poursuivre ma mission. En plus, je suis ravie d’apprendre que moi et Sacha ne seront pas les seules non-elfes présentes dans votre académie. Zanael pourrait peut-être nous aider à nous intégrer ?

Voyant le doute déformer les traits de Lana, Maeva comprend que son souhait cause une certaine appréhension. Néanmoins, l’elfe lui répond en toute sincérité.

— Disons que Zanael peine à se mêler aux élèves. Plusieurs la craignent et sont mesquins à son endroit à cause de ses origines. Vous allier à elle risque au contraire de rendre votre intégration plus compliquée.

— Croyez-moi, je sais ce qu’elle vit. Pour mes semblables, je ne suis qu’une Sans-Magie. J’ai passé dix-huit ans à me faire ignorer et ridiculiser. Aujourd’hui, j’ai appris que ces mêmes personnes me craignent à cause d’un pouvoir que je ne comprends pas. Malgré cela, Sacha comprend mes intentions et m’appuie, et ce malgré tout ce qu’elle m’a fait subir dans le passé. Si Zanael accepte ma présence, je vous assure que ce n’est pas moi qui la tiendrai éloignée. J’ai lu beaucoup d’histoires d’horreur sur les métamorphes, mais la seule qui compte pour moi est celle que vous venez de me raconter. Personnellement, je serais heureuse de l’avoir comme amie et je n’hésiterai pas à lui dire.

— Nul besoin de lui répéter, indique simplement Lana.

Suivant le regard amusé de l’elfe, Maeva tourne la tête et se retrouve face-à-face avec Zanael. Dès qu’elle croise son regard émeraude pétillant de joie, elle comprend à quel point son discours l’a touchée.