Fyctia

Heureusement, Maeva reprend rapidement ses esprits et répond aussi calmement que possible aux derniers propos d’Esmea.

— J’aimerais savoir : pourquoi ont-elles changé leur plan ? demande-t-elle, la voix vibrante de colère malgré elle.

— J’ai réussi à leur faire comprendre que cette idée allait toutes nous condamner, répond Esmea en toute sincérité. Elles n’auraient pas pu présenter aux elfes un sort capable d’un tel exploit et cela aurait inévitablement attisé leur rancœur vis-à-vis de notre peuple. De plus, je sais d’emblée que l’académie ne possède aucune cellule capable de résister à la puissance dont tu as fait la démonstration.

Notant une peur évidente dans le regard de l’enseignante qui lui a rendu la vie impossible pendant toutes ces années, Maeva se sent à la fois ravie et inquiète. L’idée de posséder un tel pouvoir est loin de lui plaire, elle qui a toujours voulu vivre une existence tranquille loin de cette magie qu’elle n’a jamais su maîtriser. Néanmoins, le fait qu’Esmea ait pris sa défense la rassure un peu.

— J’avoue que je suis surprise de vous savoir de mon côté pour une fois. Vous avez fait de ma vie dans cette académie un cauchemar et je vous en voudrai toujours pour ça. Je ne souhaite pas pour autant condamner toute l’académie à subir la colère des elfes. Je veux bien vous aider à trouver une solution. Toutefois, je tiens à rencontrer les elfes dans un premier temps.

Étonnée par l’audace de Maeva, Esmea hésite à lui répondre, craignant sa réaction. À ses côtés, Rhina prend la relève.

— Ne te laisse pas emporter par tes émotions, Mavea, commence lentement sa mère. Si tu défies les Anciennes, elles peuvent revenir sur leur décision en t’envoyer dans cette prison. Accepte de les rencontrer, je t’en supplie !

— Non. Si je me fie à notre passé, chaque minute qui passe nous rapproche d’un nouveau conflit. Tu sais tout comme moi que les Anciennes refuseront de me laisser discuter ouvertement avec les elfes et qu’elles imposeront le moindre mot de mon discours. Je veux croire que la paix est possible et je ne veux pas me faire influencer par leurs propos. Si elles ne sont pas d’accord, elles n’ont qu’à m’envoyer dans cette cellule, je ne résisterai pas. Je préfère être enfermée, inconsciente de ce qui se passe dehors, plutôt que de devoir supporter toute une vie de conflits absurdes menant chaque fois à des bains de sang.

Impressionnée par la sagesse de celle qu’elle a cruellement qualifiée de Sans-Magie toutes ces années, Esmea prend une décision qui va certainement changer sa vie à jamais. Puisant dans la moindre parcelle de sa volonté, elle prend la parole avec confiance et détermination.

— Je te promets d’appuyer ta demande auprès des Anciennes, et ce même si cela risque de compromettre mon poste au sein de leur groupe. J’ai moi-même participé à trop de combats contre les elfes. La paix avec ce peuple me paraît utopique, je l’avoue, mais je veux croire en ton projet et me battrai à tes côtés pour y parvenir.

Abasourdie par les propos de son ancienne amie, Rhina reste bouche bée. Il est clair à présent pour elle que la démonstration de puissance de Maeva lui a causé un traumatisme pour qu’elle change à ce point, elle qui a toujours démontrer tant de haine à l’égard du peuple des elfes. Une certaine partie d’elle reste méfiante quant à sa motivation réelle, mais elle choisit de lui accorder sa confiance.

— Maeva, commence Rhina d’une voix douce, ton projet est noble, mais tu dois savoir que les Anciennes conservent la mémoire de nombreux siècles de conflits avec les elfes et eux de même. Je doute qu’elles soient ouvertes à la discussion et encore moins à la présence de nos ennemis entre nos murs. Choisis tes mots avec soin si tu veux qu’elles t’écoutent.

— Le passé ne peut pas être changé, répond Maeva d’une voix calme. Voilà pourquoi je compte placer le sort de notre monde entre les mains d’esprits ouverts au changement. Tant que les Anciennes et leurs équivalents elfiques restent responsables de notre futur, il ne sera qu’une copie du passé.

Consciente de l’audace appuyant ses propos, Maeva n’est pas surprise de voir l’expression horrifiée sur les visages des enchanteresses. Confiante de faire le bon choix, elle se lève d’un bond, prête à affronter le destin qu’elle a décidé de prendre en main. Voyant la nervosité grandissante de sa mère, elle lui prend doucement les mains.

— Je sais que tu as peur pour moi, mais fais-moi confiance, je t’en prie. Pour une fois dans ma vie, j’ai l’impression de pouvoir faire quelque chose de bien pour notre monde et je ne peux pas passer à côté de cette chance qui m’est offerte.

— Ton projet est noble, commence Rhina d’une voix triste, mais tu restes sans expérience quant au monde qui t’entoure. Tu ne connais que cette académie et tu viens tout juste de découvrir cette puissante magie qui t’habite. Le monde extérieur est rempli d’une cruauté dont tu n’as pas la moindre idée.

— Justement, mon esprit n’a pas encore été corrompu par ce mal. J’ose espérer qu’il en est de même pour mes semblables elfiques. Je suis consciente que je ne maîtrise en rien la magie, mais cela ne doit pas m’empêcher de m’ouvrir à de nouvelles expériences. Désolée, mais je ne compte pas reculer. Je veux absolument rencontrer les Elfes et les Anciennes afin de leur présenter mon projet.

Près de Maeva, Mitrix semble partager sa détermination. Posté fièrement près de son lit, il lisse son plumage et reste attentif à la moindre réaction des enchanteresses. Lorsque l’adolescente est prête pour son départ, il se dresse à son tour. Nerveuse, Esmea le fixe intensément lorsqu’elle prend la parole.

— Je ne crois pas que ce soit une bonne idée d’avoir un phœnix à tes côtés pour cette rencontre. Sa présence sera perçue comme une menace et risque d’agir contre toi.

— Je lui ai demandé à maintes reprises de retourner chez les siens, mais il ne m’écoute pas. Il est libre de faire ses choix. Je ne souhaite pas lui imposer quoi que ce soit.

— Tu dois savoir que les elfes sont reconnus pour leur aptitude à communiquer avec les animaux, poursuit Esmea, incluant les phœnix. Ton lien avec cet animal est fort, ce qui pourrait éveiller leur jalousie et les effrayer. Tu dois faire comprendre à Mitrix que sa présence est un risque en ce moment pour ton projet. Ne t’inquiète pas, il reviendra toujours à tes côtés si tu fais appel à lui par la pensée.

D’abord incertaine quant au bienfondé des paroles de l’enchanteresse, Maeva en reconnaît néanmoins la sagesse. Ancrant son regard dans celui de l’oiseau, elle lui communique mentalement sa demande après lui avoir expliquer les raisons l’appuyant. Mitrix dépose alors son bec sur la main de l’apprentie et disparaît.

L’instant suivant, Maeva pose la main dans celle d’Esmea, prête à affronter son destin. Toutes deux disparaissent peu après, laissant Rhina seule avec ses inquiétudes.