Fyctia

Tendue suite à l’arrivée impromptue d’Esmea, Maeva conserve néanmoins son calme, allant même jusqu’à poser sa main sur la tête du phœnix pour le rassurer et éviter qu’il n’attaque sa maîtresse forcée. Un instant, l’adolescente songe à réprimander l’enchanteresse pour son audace de perturber ainsi son intimité, mais l’inquiétude qu’elle observe sur son visage lui suggère de ne pas le faire.

Visiblement troublée, l’enseignante prend néanmoins le temps de s’approcher de Maeva, les mains tendues en signe de paix, surtout à l’endroit de Mitrix qui s’agite dangereusement.

— Je suis consciente que j’ai été odieuse avec toi, Maeva, et ce pendant de nombreuses années. Crois-moi, j’en suis désolée et je t’assure que je ne suis pas ici pour poursuivre les hostilités. Au contraire, je souhaite d’abord te remercier de m’avoir épargnée après tout que je t’ai fait subir.

Quelque peu insensible aux excuses de celle qui l’a tourmentée si longtemps, Maeva se permet de l’interrompre.

— Je suis certaine que vous m’en voulez d’avoir libérer votre précieux phœnix. Soyez honnête si vous voulez que je croie vos paroles.

Sans même relever l’impolitesse de l’adolescente, Esmea répond avec une absolue sincérité.

— Oui, j’ai été furieuse quand j’ai vu l’anneau dans ta main. Oui, j’avais l’intention de forcer Mitrix à te blesser. Oui, je t’ai toujours porté en aversion depuis ton introduction que je jugeais insensée dans cette académie. Par contre, je reconnais que j’ai été égoïste à ton endroit, et ce depuis que tu es apparue comme par magie à notre porte dans ton berceau. Crois-moi, j’ai mérité ce geste audacieux de ta part et même la mort aurait été une punition juste pour mes actes. Honnêtement, je ne comprends pas ta décision de m’avoir épargnée et j’aurais plusieurs questions à te poser à ce sujet. Toutefois, en ce moment, des événements plus importants requièrent notre attention immédiate. Je ne te demanderai jamais de me pardonner, mais la situation actuelle nécessite ta collaboration et je tenais à te l’annoncer moi-même.

Tout aussi confuse que sa fille, Rhina reste muette et observe son ancienne amie avec attention. Craintive à l’idée qu’Esmea révèle des éléments de la prophétie annoncée sur le parchemin doré récupérer à l’époque dans le berceau de Maeva, elle songe l’interrompre, mais elle se retient, de peur des conséquences de ses paroles. Profitant du silence, Esmea poursuit donc sa tirade.

— Je ne sais pas depuis combien de temps tu es réveillée et ce que Rhina a pu te dire, mais beaucoup de choses ont changé ici pendant que tu récupérais.

Intriguée par les derniers propos, Maeva se permet une nouvelle interruption.

— Je suis dans ce lit depuis combien de temps ? s’inquiète-t-elle.

— Quatre semaines, répond simplement Esmea. Crois-moi, cela aurait pu être bien pire. Je ne sais si tu es consciente de ce que tu as fait, mais sache qu’il y avait assez d’énergie dans cet anneau pour détruire la totalité de cette académie, de l’effacer littéralement de ce monde comme si elle n’avait jamais existé. Malgré toutes leurs connaissances combinées, même les Anciennes ne parviennent pas à expliquer comment tu as fait pour le drainer de sa puissance. Ni d’ailleurs comment tu as pu lancer un sort capable d’arrêter un phœnix en plein vol, toi qui ne peux contrôler l’Ether pour lancer le plus simple sortilège. Ma chère Maeva, tu es le plus grand mystère que cette académie ait eu à résoudre dans toute son existence.

Sous le choc depuis l’annonce de la durée de son sommeil, Maeva écoute à peine la suite de son discours. Toutefois, elle en saisit l’essentiel et reconnaît qu’elle n’y comprend rien elle-même. Alors qu’Esmea reprend son souffle, elle en profite pour répondre.

— Je n’ai aucune idée de ce que j’ai fait. J’ai simplement ressenti la souffrance de Mitrix et j’ai voulu le libérer pour qu’il parte retrouver les siens. Ensuite, quand il a voulu vous attaquer, j’ai fait ce qui me semblait juste en lui demandant d’arrêter.

— Tu as fait plus que lui demander, tu lui as imposé ta volonté et cet ordre a été « entendu » non seulement dans toute l’académie, mais aussi sur le territoire elfique. Le temps lui-même s’est arrêté pendant quelques secondes d’après les rumeurs rapportées par les éclaireurs dispersés dans tout le royaume. Tu comprendras qu’un sort de cette ampleur n’est pas passé inaperçu et aujourd’hui, je crains que nous devions répondre des conséquences en découlant. En ce moment même, un groupe d’elfes est présent en nos murs, ce qui n’a pas été vu depuis près de trois cents ans. Ils sont venus en paix, mais tu te doutes bien que les Anciennes craignent que la situation dégénère, d’où ma présence ici.

À l’annonce de la présence des elfes, Maeva sent un grand espoir naître en elle. Plutôt que de craindre les conflits, elle songe à la discussion qu’elle vient d’avoir avec Rhina. Aussi, quand Esmea prend finalement une pause dans son discours, elle intervient sans hésiter.

— Je veux rencontrer ces elfes, lance Maeva en toute innocence.

Éberluée par cette demande inattendue, Esmea observe à la fois l’adolescente et sa mère adoptive d’un regard confus. Certes, elle est venue ici pour emmener Maeva avec elle, mais certainement pas pour la mettre en contact avec les elfes, ces être fourbes et manipulateurs. En toute évidence, jamais les Anciennes n’accepteraient un tel risque, surtout pas avec le risque que les elfes découvrent ce dont la jeune apprentie est capable. Voulant clarifier la situation, l’enchanteresse poursuit sans laisser à Maeva la chance de justifier sa demande.

— N’y pense même pas, ordonne Esmea. Les elfes représentent la plus grande menace qui soit pour nous les humains. Un seul mot de travers et ils pourraient te blesser ou même te tuer avant que nous ne puissions les arrêter. Les Anciennes m’ont envoyée te chercher justement pour éviter une perte de contrôle. Elles veulent te rencontrer en privé pour établir un plan d’action. Crois-moi, cela est nettement mieux que ce qu’elles voulaient faire au départ.

— C’est-à-dire ? demande Maeva, méfiante.

— Leur première idée était de te cacher aux elfes en t’envoyant dans une cellule imperméable à la magie et de prétendre que c’est elles qui avaient déclenché l’arrêt du temps en expérimentant avec un sort ancien.

Enragée en apprenant le plan des Anciennes, Maeva doit se concentrer un instant pour calmer la colère qui monte en elle. À ses côtés, le phœnix devient nerveux, son plumage dégageant une chaleur grandissante. Inquiète, Esmea s’attend à une nouvelle explosion de la part de l’adolescente et regrette ses paroles. Reculant de quelques pas, elle songe un instant à retourner illico auprès des Anciennes pour leur avouer son échec.