Fyctia
Chapitre 9 : Rendez-vous 1
Encore trempée du lait changelin, Mannie contempla son reflet.
Elle était de nouveau cette femme qu’elle ne voulait pas connaître.
Elle l’avait prénommé Gisèle, en hommage à ce mannequin qui ne manquait jamais de la ramener à son ingratitude physique au fil de ses publications sur Instagram. En choisissant Abramovic, patronyme hérité du puissant mage noir qui avait pris son aïeule sous son aile, elle se rattachait tant bien que mal à une partie de son identité. Malgré l’aisance qu’elle éprouvait à manier les courbes vertigineuse de ce corps étranger, sa fierté demeurait intacte, plus forte que jamais.
Elle effrayait la plupart de ses camarades, au temps du lycée. A juste titre, sans doute, tant sa marginalité la tenait à l’écart des affres du monde des communs. Cette souffrance, devenue force au fil des années, la préservait de l’amertume et des regrets. Même laide, elle se savait supérieure.
Le niveau d’excellence qu’elle avait atteint au cours ses études occultes en témoignait admirablement. Elle ne nourrissait aucune rancœur à l’égard des communs, faibles et incultes. En revanche son exécration du système qui les avait façonnés demeurait intacte.
Sa quête spirituelle la rendait plus forte, si forte d’ailleurs qu’elle en venait à se méfier de Gisèle, de l’influence qu’elle pouvait exercer sur sa foi. Les regards des hommes sur ce corps épanoui la révulsaient. Le videur de la boîte de nuit lui apparut en flash. Puis le grand maigre, puis Deep.
Surtout Deep.
C’est donc cela, déplora-t-elle, la féminité. Se sentir proie et sentir autour de soi la présence de prédateurs, embusqués partout. Pouvoir les contrôler, les dompter et les faire ramper au sol. De la fragilité et de la puissance. Voilà ce que lui inspirait sa nouvelle condition.
Désormais, elle comprenait comment l’esthétique standardisée d’une enveloppe charnelle pouvait mener vers la lumière et au mépris des ténèbres. Dans l’humidité de sa salle de bain, elle brossa ses cheveux blonds, se glissa dans une robe noire, sans bretelles. L’eau laiteuse brillait encore sur ses épaules nues. Autour de son cou, une croix à cinq branches rappelait au monde sa véritable appartenance.
Elle avertit Margaux quand elle arriva en bas de chez son ex. Celle-ci lui répondit aussitôt. Elle lui souhaitant bon courage et la pria de la contacter dès qu’elle en aurait "terminé ».
« Tu n’as rien ramené, s’étonna le garçon sur le pas de sa porte. C’est marrant.
— Qu’est-ce que… bredouilla Mannie, décontenancée.
— Quand on est invités quelque part, on ramène quelque chose, comme une bouteille de vin, par exemple.
— Je ne bois pas. »
Kevin considéra son invitée avec curiosité. Elle était encore plus belle que lors de leur rencontre au Kiosque, mais elle semblait moins confiante. Plus froide, aussi. Je la déstabilise, supposa-t-il, elle est totalement sous mon charme.
« Tu as raison, louvoya-t-il, trop complaisant pour être honnête. Les conventions, c’est un truc de vieux con. Entre, je t’en prie. »
Il s’écarta et tendit son bras pour lui montrer le chemin à la façon d’un vrai gentleman. Mannie s’exécuta. A ce stade de la rencontre, elle ne pouvait déterminer si l’emphase de ce chanteur de pacotille l’agaçait ou l’intimidait.
Elle sentit regard vicieux dans son dos tandis qu’elle se dandinait difficilement avec ses talons compensés.
« Bienvenue chez moi. »
Une forte odeur de désodorisant bon marché emplissait le petit appartement de Deep. Ces effluves chimiques écœurèrent la sorcière, trop habituée aux produits qu’elle confectionnait elle-même.
« C’est là que tu dors ? »
Elle pointa le clic-clac qui faisait face au téléviseur
« Ouais, confirma-t-il. On fait ce qu’on peut. »
Mannie désigna ensuite alors la table basse en verre, sur laquelle reposaient deux assiettes en carton, deux gobelets en plastique et deux jeux de couverts.
« C’est là que tu manges ?
— Pour toi, j’ai mis les petits plats dans les grands. »
Sa connaissance aiguisée des comportements humains ne permit pas à la sorcière de déceler les motifs de l’ironie ici employée par son interlocuteur. Le cadre inédit de cette rencontre, qui s’apparentait à un rendez-vous galant, la perturbait de plus en plus. Un commun pensait-il séduire une femme en la dévalorisant à coups de vaisselle jetable ?
« C’est du papier toilette ? demanda-t-elle en agitant dédaigneusement le petit carré de serviette à motifs animalier.
— J’ai des torchons, mais ils sont sales. Il y a des kleenex, sur ma table de chevet.
— Ça ira.
— Assieds-toi, fais comme chez toi.
— Ok.
— Elle est jolie, ta robe.
— Merci.
— Tu veux boire quelque chose ?
— Je veux bien du thé.
— J’ai du coca, si tu veux.
— Je préfère du thé.
— Je n’en ai pas.
— Alors du coca, c’est très bien. »
Kevin ne se démonta pas. Il aimait le challenge, la difficulté. Celle-ci était déjà tombée dans ses filets mais elle jouait la fille retorse, parce qu’il fallait bien mettre les formes. Elle pense avoir du caractère, se gaussa-t-il en dégoupillant une bière, toutes les mêmes.
Le canapé n’était pas très grand. Assez cependant pour qu’il puisse s’asseoir à côté d’elle sans que leurs cuisses ne se touchent. C’est pourtant ce qui se produisit et cela fit comme un choc électrique à Mannie. Elle recula d’un poil, pas trop brusquement, cependant. Elle gardait en tête que la séduction était un moyen comme un autre pour parvenir à ses fins.
Elle avait l’intention de déverser la fiole dès qu’il tournerait le dos, mais visiblement, ce n’était pas d’actualité. Il la dévorait des yeux, complétement focalisé sur sa beauté artificielle.
Pragmatique, elle convint qu’elle pouvait améliorer sa connaissance du genre humain tout en explorant les possibilités égotiques que lui offrait son corps d’emprunt. Il posait toutes les questions. Elle répondait brièvement, forçait le mystère.
Elle se pencha. Il regarda, débusqua une aréole. Elle le surprit, il détourna le regard, ne s’excusa pas. Elle se dit que les communs n’avaient vraiment honte de rien. C’était fascinant, ce mépris de l’amour-propre qui gouvernait tous les aspects de leur vie.
Ses yeux pernicieux s’engouffrèrent dès qu’elle décroisa les jambes. Elle les recroisa aussitôt et ramena sa robe sur ses genoux.
« Je t’ai préparé une bolognaise, c’est ma spécialité, se targua-t-il.
— Je ne mange pas de viande. »
Kevin faillit se renfrogner, mais son goût du défi l’emporta une fois de plus.
« Pas d’alcool, pas de viande… tu es une vraie sainte, toi.
— Pas vraiment, non. »
Elle le gratifia d’un sourire impétueux et Kevin décela une allusion perverse dans son propos.
Alors il présuma qu'il était temps de passer à l'action
4 commentaires
Chyr
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Il y a 5 ans
TaeLee
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Il y a 5 ans
TaeLee
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Il y a 5 ans