Drillski59 Et tu pourriras avec les vers... Chapitre 4 : Par fierté

Chapitre 4 : Par fierté

Avant, c’était un entrepôt.


Désormais, il s’agissait d’un club. Chaque week-end, des fêtards désœuvrés y échouaient ; c'était le dernier arrêt, avant le terminus. Quand Deep et ses deux acolytes se présentèrent devant le portail du Kiosque, vers quatre heures du matin, le videur les scanna de haut en bas.


Le premier se faisait appelait Shattam. Les traits de son visage étaient émaciés, sa peau grêlée de boutons. Pour camoufler la déchéance physique qu’impliquait son hygiène de vie déplorable, il arborait un bonnet et des lunettes de soleils à verres fumés, même la nuit. L’autre se prénommait Paul, mais on l'appelait Cure-Dent. Il mesurait près de deux mètres et que les gens se demandaient comment il faisait pour tenir debout avec ses jambes minuscules. Tout le monde l’appelait comme ça, même le videur du Kiosque.


« Eh, Cure-Dent, pas d’embrouilles, ce soir.

— On veut juste faire la fête. », mentit Deep.


Le vigile les laissa passer même s’il ne les portait pas vraiment dans son cœur. La fréquentation du Kiosque s’étiolait chaque semaine et si ces petites frappes n’étaient pas très fréquentables, en revanche, ils consommaient plus que de raison. On ne leur demandait rien de plus.


Le groupe traversa la cour et pénétra dans l’entrepôt. Il était quatre heures du matin. L’heure à laquelle les noctambules les plus désœuvrés venaient se terminer. Deep et ses copains nourrissaient exactement les mêmes desseins. La mezzanine était inondée par les lumières vives et épileptiques des stroboscopes du Kiosque. Ils s'y installèrent avec leur magnum de vodka.


« Alors, ça monte ? lui demanda Shattam.

— Ouais, c’est fort ton truc, affirma Deep.

— Je t’avais dit de le couper en deux.

— Fous-moi la paix. »


Deep balaya les boniments de son complice d’un revers de main. Ce soir, deux envies l’animaient : tout oublier et ne rien écouter. Il sirota son verre debout, les coudes sur la rambarde en arc-de-cercle. Sous lui, une foule clairsemée de danseurs excentriques. Il scruta les environs à la recherche d’une proie potentielle.


Son sang ne fit qu’un tour lorsqu’il la repéra. Elle dansait avec grâce et outrance, comme elle. Elle était grande, mince, presque maigre, mais toute en souplesse, toute en sensualité. Sa chevelure dense et blonde ondulait en rythme. Cette chevelure, c’était la sienne.


« Tu devrais boire de l’eau, j’entends tes mâchoires qui claquent ! »


En lui criant dans les oreilles, Cure-Dent l’avait arraché à sa rêverie. « Fous-moi la paix ! », rétorqua-t-il encore une fois, avant de chercher la trace de Xua parmi les freaks de l'aube naissante. Il voulait se convaincre qu’elle était là, avec lui. Mais elle n’y était pas. Elle ne lui appartenait plus. Après quatre années d'une rare intensité, elle l’avait abandonné. Pour de bon, cette fois. L’amertume persistait et signait dans son cœur tuméfié, malgré la débauche à laquelle il s’adonnait sans discontinuer depuis la rupture.


Il transpirait abondamment, son dos était glacé. Il descendit l’escalier lentement, main sur la rambarde. Il dévisageait la fille qu’il venait de repérer.


« Elle fera l’affaire. Elle ou une autre, c’est pareil… »


Adossée au mur qui jouxtait le fumoir, elle pianotait sur son smartphone. Elle semblait plus jeune que lui. Deep adorait les plus jeunes. Elle cherchait la passion, elle pensait tout savoir, c’était facile de les duper et de passer pour quelqu’un d’autre, avec elles.


« Je te cherchais depuis tellement longtemps… bafouilla-t-il, la bave aux lèvres.

— On se connaît ? »


Deep n’avait plus rien en stock. Ni réplique, ni répartie. La détresse engourdissait sa langue bien pendue. Il se contenta de faire non de la tête. Ses lèvres se déformèrent dans un sourire dément.


« Je m’en fous, je suis pas jaloux.

— Mon mec, si…»


Il venait de sortir des toilettes. Deep sentit une pression désagréable sur son épaule. Le vide l’aspira et il reprit connaissance quelques minutes plus tard, quand le vent glacial d’automne fouetta son visage détrempé. Ses mains étaient pleines de sang, son tee-shirt aussi. Il sentit une gêne au niveau de la mâchoire, mais il était encore trop saoul pour ressentir la douleur.


****


Margaux se réveilla en sursaut.


Elle soupçonna d’abord l'un de ces cauchemars dont on ne garde aucun souvenir notable, mais au fond d’elle, elle savait que ce n’était pas ça. Son réveil indiquait six heures du matin.


Elle s’était endormie un peu plus tôt, toujours animée par ce dilemme qui se jouait entre sa raison et sa fierté. Sa raison l’enjoignait à rire grassement de ces histoires de sorcellerie et de cette fille bizarre qui lui paraissait encore plus malsaine que dans son souvenir. Sa fierté, au contraire, l’incitait à tout mettre en œuvre pour nuire à ce manipulateur qui n’avait cessé d’abuser d’elle au fil des années.


Aussi, lorsqu’on tambourina sur sa porte, elle devina immédiatement l'auteur du tapage. Elle n’était pas spirituelle pour un sou, mais elle présuma que le destin s’en mêlait, puisqu’il venait à elle.


« Ouvre ! Je sais que t’es là ! »


L’espace d’un instant, Margaux resta plantée devant la porte. Tout son corps fut assaillit de tremblement. Derrière la vitre fumée, l’ombre menaçante de son ex se dessinait. Elle savait parfaitement ce qui l’attendait.


Un dernier sacrifice, une dernière fois.


Et elle compris que sa fierté venait de l'emporter.


Il y eut d’abord l’air glacé. Il enveloppa son visage tout engourdi de sommeil. Puis la paume de Kevin. Impitoyable, rugueuse. Elle ne connaissait que trop bien cette paume.


« Tu as foutu ma vie en l’air ! » rugit-il.


Il la domina, à califourchon sur elle. Margaux reçut un crachat au visage, comme un jet d'acide Pourtant, elle encaissa en silence. Elle savait ce qu’elle avait à faire. Tandis qu’il forçait son intimité, elle posait une main derrière le crâne de son ancien petit ami.

« Tu m’aimes encore… lui susurra-t-il en la besognant. Dis-le, que tu m’aimes encore… »


Ses gémissements allèrent croissants jusqu’à ce qu’il décharge, mais la douleur succéda rapidement au plaisir quand elle fit mine de venir.


« Tu m’as fait mal, sale garce ! »


Elle sentit à nouveau l’air frais sur ses cuisses nues. Quand la porte claqua, elle sursauta. Ses muscles étaient si crispés qu’elle peina à ouvrir le poing. Elle s’évanouit sur le carrelage, une mèche blonde peroxydée au creux de la main.


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22 commentaires

L. Azarii

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Il y a 5 ans

Plus je te lis et plus je ressens, me demande pas pourquoi, une pointe de *Livre sans nom* teinté de balance ton porc. Je suis intrigué

Chyr

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Il y a 5 ans

J'espère qu'il va bien bien souffrir lui !!

Little-Lilah

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Il y a 5 ans

Je viens de découvrir ton histoire, et j'aime beaucoup! Hâte de voir ce que tu nous prépare pour la suite! (si tu as un peu de temps, j'ai besoin de d'avis pour mon roman, La Promesse) Bonne soiréee! :)

Drillski59

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Il y a 5 ans

je passe prochainement Lilah, merci pour ton avis.

Rose Lb

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Il y a 5 ans

bouh... Mon sang ne fait qu'un tour, il me dég.... J'espère que tu réserves une belle vengeance !

TaeLee

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Il y a 5 ans

Un chapitre bien écrit qui ne nous incite que davantage à prendre le parti de l'héroïne. J'ai hâte que la vengeance commence !

Eva Sparkles

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Il y a 5 ans

J'ai aimé aussi l'intensification à la fin qui amène le déclic pour ton héroïne . Horrible mais bien mené.

Eva Sparkles

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Il y a 5 ans

Je sais pas s'il y a une inversion dans tes répliques "je m'en fous je suis pas jaloux" et "mon mec..." Mais j'ai eu du mal à suivre cette partie là. Sinon le reste est très bien . J'ai particulièrement apprécié la description du chemin dans le précédent chapitre mais je ne me suis pas arrêtée pour commenter.

Drillski59

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Il y a 5 ans

Hello Eva. Il n'y a pas d'inversion. Je vais juste rajouter une incise pour qu'on capte bien qui parle : "Je suis pas jaloux, postillona Deep. Je m'en fous. - Mon mec, si." rétorqua la jeune fille. Et ensuite son mec qui vient de sortir des toilettes bouscule Deep. Bref je vais essayer de clarifier tout ça.

Oly-Aline

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Il y a 5 ans

Wow on sent que ça embraye là ! C'est vraiment une grosse enflure. La vengeance va être dégustée vu comment elle encaisse encore.
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