Fyctia
Chapitre 2 : Une grosse erreur
Deep, c’était son nom d’artiste.
Il se présentait en tant que tel lorsqu’il rencontrait du monde. Ça plaisait aux gens, surtout aux filles. Il plaisait beaucoup aux filles. Pour cacher ses premiers cheveux gris, il les avait décolorés, puis teints en blond. Malgré ses excès, sa peau n’accusait aucune imperfection. Comme il essayait d’avoir l'air plus jeune, il avait dû faire une croix sur sa barbe de trois jours.
En général, avec la boucle d’oreille, le jean troué et les dernières baskets chinées dans d’obscures boutiques éphémères du web profond, les gens ne lui donnaient jamais plus de vingt-cinq ans. Cela le flattait beaucoup, parce qu’il mettait autant voire plus d’énergie dans son allure que dans sa musique. Avec le temps, son art était devenu froid, presque mécanique. Dès qu’il entrait en cabine, son logiciel mental se mettait en route ; il n’écrivait même plus ses textes à l’avance. L’amour, la déprime, le spleen et la mort, voilà ce qui ressortait de ses improvisations démentes. Ces thèmes adolescents lui collaient encore à la peau, même s’il venait d’avoir trente-trois ans.
Et ce soir-là, en regardant l'horloge digitale du studio, il se rendit compte qu’il était déjà très en retard.
« Merde. »
Il posa le casque autour du micro et sortit de la cabine. Comme il avait gesticulé dans tous les sens pour ajouter de l’émotion à sa dernière prise, des mèches peroxydées zébraient son champ de vision.
« Il faut que j’y aille, dit-il entre deux quintes de toux. Je suis à la bourre. »
Yoom le considéra avec étonnement. En tant qu’ingénieur du son, il classait son client dans la catégorie des acharnés. Pour lui, Deep était l’un de ceux qui vont toujours au bout de leur session et qui n’hésitent pas à rogner un peu sur le forfait, dès lors qu’ils sont convaincus de tenir quelque chose d’accrocheur.
« Toi, tu n’as pas l’air très en forme, aujourd’hui.
— C’est fini avec Xua.
— Encore ?
— Cette fois, c’est elle.
— C’est peut-être mieux comme ça. », argua Yoom.
L'ingénieur se remémora cette session studio, durant laquelle Kevin avait convié sa chère et tendre, afin qu’elle puisse assister à l’un de ses enregistrements. Il se souvenait qu’elle pouvait se montrer très avenante, voire un peu assez tactile, parfois. Surtout quand son mec s’époumonait dans la cabine.
« Je te fais un virement dès que je touche mon chômage, expliqua Deep en enfilant son blouson. Tu m'enverras la maquette sur ma boîte mail ?
— Pas de soucis mon pote, passe une bonne soirée.
— Tu parles, je vais dîner chez ma mère. »
Il courut sous la pluie battante et se réfugia dans sa 106, trempé des pieds à la tête. Il mit le chauffage et ralluma son portable. Il se délecta des SMS et des appels manqués de son ex-copine. Rancunier, il réécouta plusieurs fois le long message vocal que Margaux lui avait laissé, si bien qu’il arriva chez sa mère avec une demi-heure de retard. Ils passèrent ensuite à table, et de fil en aiguille, l’artiste fut contraint d'aborder sa séparation. En apprenant la nouvelle, Clarisse entra dans une colère noire.
« Qu’est-ce que tu vas faire de ta vie, maintenant ? Cette fille, c’était la meilleure chose qui pouvait t’arriver, vue ta situation.
— Ma situation me convient très bien, ce n’est pas la mort, non plus.
— Kevin, à cause de ce tatouage que tu t’es fait sur le visage, tu ne trouveras jamais un emploi correct ! Si ton père voyait ça, il serait fou de rage.
— C’est mon nom de scène, précisa-t-il en pointant le lettrage gothique sous sa paupière gauche. Ça veut dire beaucoup, pour moi. C’est profond.
— Tu ne t’appelles pas « Deep » et tu n’es pas chanteur, protesta Clarisse. Tu t’appelles Kevin, tu es au chômage et maintenant tu es célibataire ! »
Kevin se leva. Il y avait autant de haine dans son cœur que d’encre sur ses bras. Dans ces conditions, il ne se sentait pas la force d’aller au bout de cet insupportable dîner. Il était à deux doigts de balancer sa cuisse de poulet contre le mur du salon.
« Je me casse.
— Tu fais une grosse erreur, Kevin, insista sa mère. Une de plus.
— Ce sera le nom de prochain album. »
Et il claqua la porte sur cette raillerie.
22 commentaires
Elsa Carat
-
Il y a 5 ans
Chyr
-
Il y a 5 ans
Rose Lb
-
Il y a 5 ans
L. Azarii
-
Il y a 5 ans
Drillski59
-
Il y a 5 ans
L. Azarii
-
Il y a 5 ans
Sonja Kourakine
-
Il y a 5 ans
Oly-Aline
-
Il y a 5 ans
TaeLee
-
Il y a 5 ans
Drillski59
-
Il y a 5 ans