Fyctia

Margaux composa le numéro de son ex pour la quatorzième fois.

Et cette fois encore, elle tomba sur la messagerie.

« Kevin t’es une véritable ordure, tu te rends compte de ce que tu as fait ? Pourquoi tu m’as fait ça, de quel droit ? C’est pour notre bien à tous les deux que j’ai décidé de mettre un terme à cette relation, tu n’avais pas le droit de faire ce que tu as fait, c’est notre intimité que tu dévoiles à des milliers de pervers sur le net ! T’es fou, ou quoi, pourquoi tu cherches à m’afficher comme ça ? Ce genre de chose ne concerne que nous, c’est interdit de diffuser ça ! On voit bien mon visage, en plus ! J’ai la haine contre toi Kevin, si tu savais à quel point… Sois un homme et rappelle-moi pour qu’on discute ensemble. Si tu as besoin de parler, ou de… je ne sais pas quoi, appelle-moi et on en parlera ensemble mais par pitié, retire ces vidéos ! On voit mon visage, on voit tout, je… »

Elle raccrocha, à bout de souffle. Ses yeux boursouflés de chagrin peinaient à distinguer ce corps mince, ces seins ronds et fermes et cette taille de guêpe qui se tortillaient sur l’écran de son ordinateur. Ce corps, c’était le sien. Ces longs cheveux blonds, épais et ondulés, étaient les siens. Ce salon, ces néons rouges éclairant ces courbes, tout, absolument tout lui appartenait.

Dépitée, elle se laissa tomber sur son lit. Elle était dévorée par cette horrible sensation qu’on lui volait sa vie, qu’on la dépossédait purement et simplement de ce qu’elle avait de plus intime, de plus sacré. Ses larmes dévalèrent ses joues en cascade. Son mascara coula en laissant des traînées qui terminèrent dans le creux des petits ourlets de chairs qui séparaient ses joues de ses lèvres.

Seule dans sa chambre et désormais seule dans sa vie, puisqu’elle avait tourné le dos à tous ses amis pour affronter la jalousie maladive de son ex petit-ami, elle accusa le coup. Je n’ai plus personne, pensa-t-elle. Plus personne pour en parler, pour me conseiller ou pour me rassurer. Cette insupportable sensation de vide la tourmentait d’autant plus que depuis petite, elle souffrait du sentiment de ne pas être comprise, d’être toujours seule avec ses problèmes, livrée à elle-même dans un univers qui lui paraissait si éloigné de celui dans lequel évoluaient ses semblables…

Quelques années plus tôt, à la fac, Alix était sa meilleure amie. Elle, elle aurait su trouver les mots. Mais aujourd’hui, l’eau avait coulé sous les ponts et en essayant de la contacter, tout à l’heure, Margaux avait découvert que son numéro de téléphone n’existait plus. Avant de lui tourner le dos, elle passait aussi beaucoup de temps avec Gaylord. Gaylord portait bien son nom, disait-elle pour plaisanter à l’époque, compte tenu de son orientation sexuelle. Mais cela, Kevin n’avait jamais voulu l’entendre.

« C’est moi ou ce type, la menaçait-il fréquemment dans l'espoir qu'elle craque, comme le pervers narcissique incurable qu’il était. Le coup du type qui se fait passer pour gay alors qu’il est fou amoureux de toi, c’est du déjà vu ! »

C’est ce qu’il prétendait. Et Margaux, dans sa grande naïveté, avait fini par craquer. Elle s’était pliée à tous ses désirs, sans exception. Même lorsqu’elle se sentait dégradée par ses requêtes, elle acceptait. Par amour, elle se trouvait désormais sur le net, dans une série de vidéos numérotées intitulées In Bed with Xua. Xua, c’est ainsi qu’il la surnommait. Elle se figurait avec horreur que ce sobriquet la poursuivrait longtemps.

En désespoir de cause, comme elle avait épluché tout son répertoire, elle se rappela de cette fille du lycée qui venait de commencer à la suivre sur Instagram. Mannie. Elle postait des photographies assez bizarres, très glauques et très sombres. Elle n’avait pas l’air d’avoir beaucoup changé. En un sens, cela rassura Xua, de se dire que certaines choses demeurent immuables malgré le temps qui passe. A l’époque, déjà, elle faisait bande à part, toujours habillée avec des loques, le teint pâle et peu bavarde. Xua traînait avec elle quand il n’y avait personne d’autre. Et une fois, dans les vestiaires avant le sport, elle s’était interposée entre elle et une autre, quand la situation s’apprêtait à dégénérer.

Elle lui envoya alors un message privé.