Fyctia

"- Tu veux quoi, un bin’s, un bazar, ou un bordel ?

- Hmmm… pourquoi pas les trois ?Ocean’s Eleven - 2001"

Mars 2002

Dire que je suis hors de moi, ne reflète pas assez mon état d’esprit. Je ressens l’envie de briser quelque chose, de hurler, de le blesser, autant qu’il m’a blessé moi.

Tout en faisant les cent pas, dehors, je tourne et retourne sur moi-même comme un lion en cage, j’allume une cigarette qui se consume sans que je n’y touche.

Bordel ! Il est vivant, et il se trouve à L.A. à quelques mètres de moi.

Je suis trop abasourdie, trop déconnectée, trop surprise. Oui, trop, c’est le mot, c’en est trop pour moi.

Une vive brûlure sur la main me ramène à l’instant présent. Je la secoue, le mégot consumé vole à quelques centimètres, tandis que je pousse un cri plaintif et une flopée de jurons.

- Putain de bordel de merde.

-Tut, tut, tut, c’est très moche dans la bouche d’une demoiselle, me réprimande derrière moi la voix d’Andy.

Je me retourne vivement afin de lui faire face.

-Quand je disais que ce truc était mauvais, il incline la tête en direction de ma main, que je tiens contre moi.

La douleur de la brûlure reste minime comparée à celle de mon cœur.

Je ne relève pas la plaisanterie d’Andy et préfère garder le silence.

Je ne sais même pas si je vais être capable de verbaliser ce que je ressens.

Andy s’adosse au hangar et attend que j’ouvre la bouche.

Mon meilleur ami n’est pas au courant de tout, mais il est celui qui en sait le plus sur mon histoire, enfin si on peut qualifier ce qu’il s’est passé d’histoire. Selon moi oui évidemment, mais selon Jack, clairement ça ne comptait pas.

En revanche Andy, est le seul à savoir que je les pleurais, lui et sa prétendue mort depuis six mois.

Comme je n’ouvre pas la bouche, il se lance

-Tyler m’a dit que tu avais perdu ton sang-froid.

-Légèrement ! quel euphémisme, je rirais presque.

Si je dis à Andy que le type là bas est mon Jackson, enfin LE Jackson, le tournage va virer au fiasco.

-Tu t’expliques, ou je dois utiliser mes talents de télépathe ? ajoute-t-il les bras croisés.

-Sa tête ne me revenait pas, dis je en haussant les épaules et en regardant dans toutes les directions, sauf dans celle du blond.

-Bien sûr Silver, cette excuse pourrait passer avec n’importe qui mais pas avec moi. Tu as peut-être sale caractère, mais tu ne vas pas frapper un mec comme ça, sans raison. Donc ?

Je ne sais pas quoi dire, il va falloir trouver une parade, ce film pourrait asseoir la renommée d’Andy, et lui conférer enfin le statut à Hollywood qu’il mérite. Je refuse que mon histoire personnelle interfère avec sa carrière.

-Ce type m’a manqué de respect, je suis un peu sur les nerfs à cause de la délocalisation du tournage à New York. Donc j’ai réagi excessivement.

Afin qu’il ne décèle pas le mensonge, je prononce ma phrase tout en gardant le visage tourné vers des techniciens s’afférant dehors.

-S’il t’a manqué de respect, j’ai bien fait de lui en mettre une aussi.

Je me tourne vivement vers Andy, oubliant toute prudence dans mes propos.

-Tu as frappé Jackson ? couinant presque de surprise.

Andy me fixe un sourire narquois aux lèvres, et je me rends compte de mon erreur.

Je ferme les yeux, puis expulse l’air bloqué dans ma gorge avant de reprendre.

-Comment tu as su ? Je ne t’ai jamais dit son nom, ni montré une seule photo.

-Effectivement, j’ai toujours eu droit à ‘lui ‘ ou ‘il’… Excepté il y a six mois. Tu as prononcé son nom en hurlant dans ton sommeil. Tu as dû crier au moins une bonne dizaine de fois ‘Jackson ‘ avant que je ne parvienne à te réveiller. Donc je suis peut-être qu’un acteur, mais je ne suis pas débile Sil. Un consultant pompier, qui vient de ton ancien état, qui se présente comme Jack diminutif de Jackson à qui tu fous une droite au bout de deux minutes. Il ne faut pas être Philip Marlowe* pour faire le lien.

Puis il tourne les talons.

Je reste une fraction de seconde coite, avant de le poursuivre.

-Andy attend, pourquoi tu t’en vas ?

Il se retourne vivement.

-Pourquoi tu ne m’as pas dit la vérité de suite ?

-Pour éviter que tu ne le prennes en grippe, marmonné-je, les yeux baissés.

-En même temps, il le mérite, tu prends sa défense malgré tout ? ajoute-t-il une note de fureur dans la voix.

-Tu n’y es pas du tout, ce n’est pas pour le protéger lui, mais toi ! Je ne veux pas que mon passé rejaillisse sur toi. Jackson est un excellent pompier, et s’il peut te donner deux trois infos utiles afin de rendre ton jeu meilleur… Ce film, c’est ta chance, et je… je me tais incapable de continuer, la réalité me heurtant de plein fouet.

Je vais être amenée à le voir tous les jours, jusqu’à la fin du tournage, et je ne parviens pas à savoir comment mon cœur va pouvoir survivre à tous ces rebondissements.

Je me rends compte que des larmes coulent le long de mes joues. D’un geste rageur je m’essuie avec mon avant-bras et peste royalement.

Andy m’enveloppe de ses bras et pose sa tête au-dessus de la mienne, je passe à mon tour mes bras autour de lui.

Il me berce un moment avant de parler.

-Tu m’en veux ?

Sans me détacher de lui, je demande entre deux reniflements.

-De ?

-De l’avoir cogné ?

Je secoue la tête, nous restons ainsi jusqu’à ce que mes larmes se tarissent.

-Andy ?

-Hum ?

-Qui est Philip Marlowe ?

Il se recule vivement me tenant désormais à bout de bras un air profondément choqué peint sur ses traits.

-Je vais vraiment devoir revoir ta culture cinématographique !

Puis, son expression se fait plus douce, et il me ramène à lui, peu à peu mon cœur a arrêté sa cavalcade et retrouve un rythme plus tranquille.

Au moment où je m’apprête à dire que nous pouvons retourner dans le studio qu’un raclement de gorge se fait entendre.

Andy pivote le visage vers la source du bruit, et me place derrière lui d’un geste de bras.

J’imagine qu’un membre de mon équipe cherche à me voir, mais c’est SA voix qui s’élève.

* Philip Marlowe est un personnage de détective privé, créé par Raymond Chandler