Natia Kowalski Et que tombe la neige... Chapitre 13 : Géraldine ❄️

Chapitre 13 : Géraldine ❄️

Centre-ville d'Yvoire


Après avoir pris le Chemin de Feycler, je rejoins la Place de la Mairie. Sur ma droite, à une cinquantaine de mètres, s'étend la Cité Médiévale, emblème et symbole touristique de notre village avec le château d'Yvoire qui se tient près des berges du lac Léman.


En été, une armée de touristes vient savourer le cadre paradisiaque et pittoresque de notre village, mais en hiver, ils se font plus rares. Ils préfèrent sans doute se presser dans les stations de sport d'hiver, armés de leurs skis et de leurs lunettes dernier cri sur les pistes, plutôt que de se geler les miches dans un village où le château, propriété de la famille d'Yvoire depuis le XVIIe siècle, n'est pas soumis à la visite. Ce qui, évidemment, leur fait grincer des dents, mais c'est ce qui contribue à son charme unique et chargé d'histoire, qui a traversé les siècles.


Les lumières du grand sapin de Noël qui trône sur la place centrale d'Yvoire resplendissent et confèrent aux lieux une atmosphère indescriptible, nostalgique, et je m'arrête un instant. Cette année, il brille de mille feux. Ses couleurs, dorées et blanches, lui donnent cet aspect discret, magique, éternel, qui émerveille les yeux des enfants.


Autour du conifère, la foule est en effervescence. Il ne reste que quelques jours avant Noël. Les gens se pressent dans les rues étroites en babillant, des étoiles collées dans les rétines. Ils se rassemblent et s'extasient devant mille et une douceurs exposées sur les étals en bois du Marché de Noël installés depuis le début du mois de décembre. L'ambiance, glaciale, est pourtant empreinte d'une chaleur à l'odeur alléchante où se mêlent des notes de cannelle, de vin chaud, de raclette, et de chocolat chaud. Je m'imprègne des odeurs, ferme un instant les paupières...


— Géraldine ? Qu'est-ce que tu fais ici ?


Une voix me sort de mon havre de paix intérieur. Je m'apprête à me retourner pour maudire l'intrus mais, lorsque je le fais, mon fiel s'amenuise immédiatement dans ma bouche et je contemple, interdite, l'immense bouquet de fleurs derrière lequel se cache la femme de mon frère, Marie. Ses yeux d'un vert aux reflets bruns se glissent subtilement entre un camaïeu de roses blanches et roses.


— Ta mère m'a chargée d'aller chercher les fleurs, dit-elle dans un murmure confus.

— Il est superbe.

— Je n'y suis pour rien, ta mère l'avait commandé.


Marie esquisse un sourire, comme pour me dire qu'elle n'aurait jamais eu le privilège ultime de choisir elle-même les fleurs. Ma mère contrôle tout, et c'est certainement le cas pour cet enterrement. Des fleurs au cercueil, en passant par la musique et, bien entendu, la société de pompes funèbres.


— Et toi ? Tu n'es pas avec les autres ? me demande-t-elle, sceptique.


Elle baisse la tête sur sa montre. Une montre simple avec un bracelet fin en cuir marron et un cadran doré où tournent des aiguilles argentées. Le cadeau de mon frère pour leur premier anniversaire de rencontre. Je me souviens de ses larmes d'émotion et de l'air emprunté de Clément qui n'osait plus la regarder.


— Dix heures. Ils doivent commencer à partir pour l'église.


— Si tu essaies de me dire que ma mère va devenir folle si elle ne me trouve pas, je le sais déjà, dis-je avec une moue ironique. Mais elle s'en remettra...


Je fais un léger signe de la main, démontrant à quel point je m'en balance, et Marie, en rajustant sa prise sur le bouquet, laisse échapper un petit rire. Elle fait quelques pas maladroits dans l'allée avant de se tourner vers moi.


— On dira que tu m'as accompagnée au village.


Cette affirmation, surprenante, est dite d'un ton déterminé et sans fausse amabilité. J'acquiesce sans surenchérir. Je pourrais décliner la proposition ou, pire, lui demander de quoi elle se mêle, mais je ne le fais pas.


Cette manière de se positionner de mon côté pour m'éviter les foudres maternelles me touche bien plus que je ne veux l'admettre. Alors, je marche aux côtés de Marie et de ce bouquet qui lui mange la moitié du visage. Je la suis, je m'arrête devant certains étals, je ravive mon esprit de souvenirs flous et depuis longtemps oubliés. J'achète une dizaine de marrons chauds à un vendeur frigorifié, seulement réchauffé par les braises quasi éteintes de son brasero et les vapeurs fumantes de sa poêle à trous, et je prends le temps d'en déguster quelques-uns, trois pas en arrière de ma belle-sœur.


Elle m'attend sans en avoir l'air. Sans trop en faire.


Et, aussi surprenant que cela puisse paraître, sa présence me réchauffe le cœur.


Eglise Saint Pancrace - Centre-Ville d'Yvoire


C'est le grand jour, mamie.

Est-ce que tu es prête pour ta dernière entrée en scène ?


Je me stoppe, à quelques mètres de l'église Saint Pancrace où une trentaine de personnes se tiennent, attendant de pénétrer dans l'office religieux. Les proches, mais aussi les amis et nombreuses connaissances de ma grand-mère.


Marie, son lourd bouquet dans les bras, se presse pour rejoindre les autres. Elle m'adresse un dernier sourire, auquel je réponds discrètement. De loin, je repère une partie de ma famille dont mon père, ma mère, mon frère et mon neveu. Mon regard s'attarde sur la tête rousse du gamin qui court vers sa mère dès qu'il la voit. Je me demande ce qu'il ressent, à six ans, s'il était proche de ma grand-mère, ce qu'il a vécu avec elle durant ces cinq dernières années...


Je détourne les yeux immédiatement, sentant les larmes affluer sous mes paupières. Je les repousse d'un geste de la main et mon attention se concentre sur la façade de l'église.


Le clocher en inox s'élance vers le ciel, le coq sur sa croix traversant les nuages chargés d'une brume compacte. Les yeux levés vers le ciel, je l'observe, un long frisson me parcourant l'échine. Je n'ai jamais aimé les lieux sacrés. Ils m'ont toujours donné cette impression bizarre d'osciller entre rêve et réalité, de ne pas être tout à fait ancrée dans le moment présent. Comme si un voile se levait pour vous aspirer dans une autre vérité. J'ai toujours trouvé cela effrayant, mais mamie trouvait que c'était apaisant.


C'est pour elle que je suis là.


Les discussions, autour de moi, n'ont aucun sens. Je perçois quelques mots mais sans en retenir la substance. Des phrases banales, vides. De celles que les gens disent par politesse lors d'un enterrement. C'était... brave femme... toujours prête à rendre... aimable.


Conneries.

Ma grand-mère pouvait les envoyer se faire foutre si elle n'avait pas envie de se casser la binette, comme elle le soulignait.


Une grimace, à mi-chemin entre le rire et les larmes, se dessine sur mes lèvres et j'avance vers un renfoncement, près d'un petit escalier qui monte sur le côté de l'église. Un endroit à l'abri des regards où je pourrais souffler, respirer, et fumer.


Pardon, mamie.

Je te promets que ce n'est pas un blasphème à ton très cher Jésus.

J'ai juste besoin de... je ne sais pas ce dont j'ai besoin. Mes doigts tremblent.

De froid, d'appréhension, d'émotions.


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36

36 commentaires

Emilie Hamler

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Il y a 4 jours

Purée qu'il est poignant ce chapitre ! J'adore tes descriptions de la ville on visualise très bien. Et à travers les pensées de Géraldine, je vois carrément comment était sa grand-mère, bravo ✨️

Natia Kowalski

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Il y a 4 jours

Merci beaucoup 💖💖

Leroux Ophélie

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Il y a 4 jours

Elle n'est pas si seule qu'elle le pense :)

Natia Kowalski

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Il y a 4 jours

Oui, Géraldine a tendance à s'auto-saboter 😌

Scriptosunny

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Il y a 7 jours

Bon je me répète peut être mais j'aime beaucoup la façon dont tu décris les émotions de Géraldine. C'est très réaliste, du coup on s'y croirait.

Natia Kowalski

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Il y a 7 jours

Merci beaucoup, ça me touche ! 🥰

Ady Regan

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Il y a 11 jours

Riche en émotions ce chapitre😪 très beau et immersif ♡

Natia Kowalski

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Il y a 11 jours

Merci beaucoup, je suis ravie qu'il ait transmis toute l'émotion souhaitée 🥰

Ama Ves

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Il y a 11 jours

J'ai beaucoup aimé le petit passage avec Marie, l'étincelle de complicité entre les deux est émouvante !

Natia Kowalski

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Il y a 11 jours

Merci 🥰 Marie est un personnage un peu à part des tensions donc ça permet à Géraldine de souffler un peu avec de la bienveillance 🥰
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